Maya Surduts et nous et nous,
C’est si loin. C’est si proche. Le MLAC rue Vieille du Temple à Paris, en 1972. En mon premier « lieu de féminisme », c’est Maya d’abord que j’ai vue. On ne pouvait guère la manquer. Elle était déjà incontournable. Et si formidablement efficace qu’il ne fut pas question pour moi de la contourner. Cheveux flamboyants qui tombaient jusque sa taille, superbe, impressionnante, lionne en cage marchant de long en large. Est-ce que je savais “écrire à la machine et vite”? Bon, je fus engagée d’office pour les sacro-saints “communiqués de presse” sur la liberté de l’avortement, communiqués impérieux dictés ensuite au téléphone à ceux des (rares) journalistes qui voulaient bien “noter”.
Et tout a continué. Pour moi, à ses côtés d’abord. Dans le courant « Lutte des classes » du féminisme, évidemment, venant moi-même des quartiers « neuf-trois » comme on le dit maintenant et qui étaient à l’époque tout simplement la Seine et Oise. Puis j’ai milité juste à côté d’elle. Puis pas loin. Jamais loin.
Inscrite depuis mes 16 ans dans les groupes communistes de banlieue parisienne, le parcours de Maya à l’extrême-gauche (après son expulsion de Cuba), son inscription au groupe « Révo » puis à la Ligue Communiste Révolutionnaire – m’intéressait . Et puis n’avait-elle pas, comme moi pour le PC, quitté la LCR pour « entrer chez les femmes » ? « Chez les femmes », « Pour les femmes », « Au sujet des femmes », « Les femmes demandent que ». « Les femmes exigent que ». Elle parlait comme ça.
Bien d’autres que moi évoqueront son parcours politique, sa personnalité publique. Sa pugnacité. Son indignation si productive. Et son combat incessant pour les droits des femmes, droits qu’elle a si grandement contribué à obtenir pour le bénéfice de toutes.
Cependant, dans le domaine plus privé, il y a deux ou trois choses que je sais d’elle, et que je voudrais dire.
Elle fut, comme juive, une « enfant cachée » en France pendant la seconde Guerre mondiale. Elle en parlait peu. Je ne peux rien transmettre des « Justes » qui l’ont accueillie à ses 5 et 6 ans. Elle avait toujours été très liée avec sa mère (décédée en fin des années 70). Elles parlaient russe entre elles, riaient beaucoup, s’entraidaient pour tout.
Et si l’on voyait bien que Maya était “entrée en féminisme” comme d’autres entrent en religion, elle avait un quant à soi, fréquentait musées, théâtres et cinémas, voyageait, “voyait” régulièrement des ami(e)s qui n’étaient pas (ou plus) des militant(e)s. Et puis, comme tout un(e) chacun(e) d’entre nous, elle vivait des amours. Des bonheurs et des chagrins. Elle en parlait avec confiance. Je m’en rappelle. Les relations qu’elle développait en privé, en tête à tête, étaient paisibles. Elle décidait vite « d’avoir à relire » tel ou tel passage d’un roman quand nous l’évoquions. Et je me souviens de « tournées » d’expos et de « cinés » qu’on prolongeait jusque tard, en marchant dans les rues.
Parallèlement à toutes les actions féministes communes, je l’ai rencontrée aussi dans les réunions et lors des actions des groupes antifascistes « Ras l’Front » dans les années 90, formation dont je viens d’apprendre qu’elle fut l’une des fondatrices. Elle ne m’en avait jamais rien dit. Elle est venue rejoindre aussi le « Collectif Marina Petrella » en 2007. J’ai appris alors qu’elle s’était préoccupée et se préoccupait aussi, (au nom de « la Parole donnée » par Mitterrand en 1981), du sort des Italiens réfugiés en France et menacés d’extradition.
Au cours des années, à ses invitations à nous voir venir ou revenir à telle ou telle réunion (Oh non ! pas une énième réunion, non !), on répondait présentes le plus souvent. Je sais pas pourquoi. Ou plutôt si : je sais. Parce ce qu’elle nous y attendait. Dès qu’on apparaissait, un peu en retard et en traînant quelque peu les pieds, elle envoyait de main en main la « feuille de présence » à signer. Et le retour de cette feuille de présence, après signature d’un groupe supplémentaire à son appel, provoquait chez elle un sourire content quand elle remisait la feuille sur sa pile de dossiers, devant elle . C’était bien.
Je l’ai vue pendant des années assister à domicile ou à l’hôpital des camarades malades. Elle fut, nuit et jour (comme elle l’avait fait avant et l’a fait après pour d’autres camarades) aux côtés de Giselle Donnard, notre camarade des « Femmes en Noir pour la Paix », décédée en 2006). Et j’ai toujours su que, si elle n’était pas « dans la tendresse », elle était compassionnelle jusqu’à l’oubli d’elle-même (sa lassitude, ses soucis, son sentiment, comme nous tous, d’insuffisance à rassurer l’autre comme elle/il en avait besoin).
Lorsque s’est constituée l’Union Juive Française pour la Paix ( UJFP) , en 2001, groupe revendiquant son ascendance juive pour s’inscrire dans la lutte pour les droits du peuple palestinien, elle a décliné ma proposition de nous rejoindre. Hors le fait qu’elle était si occupée (et préoccupée) par la Cadac (Coordination des Associations pour le droit à l’avortement et à la contraception) et par le Collectif national pour les droits des femmes (CNDF) , je crois que la troublait (comme il en était – et en est toujours d’ailleurs pour nombre d’entre nous à l’UJFP) cette revendication plus qu’étrange d’une ascendance, juive en l’occurrence, pour servir une cause politique (une judéïté que nous avions d’ailleurs peu évoquée, Maya et moi, pendant toutes nos années de luttes communes). Je sais, cependant, qu’elle pensait que cette revendication « En tant que Juifs » s’inscrivait utilement dans une lutte qu’elle considérait juste.
Mais elle rejoignait de temps en temps notre groupe de « Femmes en Noir » à la Fontaine des Innocents, à Paris, rassemblant des femmes de tous horizons et travaillant également sur les droits du peuple palestinien. Ce groupe de femmes (constitué à l’exemple du collectif des « Folles de la Place de Mai » en Argentine et à la suite du groupe créé à Jérusalem par des femmes israéliennes, juives et arabes ensemble) lui semblait plus « œcuménique », et de surcroît féministe. Nos rassemblements étaient décidés silencieux. Et, bien sûr, Maya, quand elle passait nous voir, remplissait le silence de la Place des Innocents de ses commentaires. Nous en étions agacées. Mais nous lui « passions » cela. C’était tout elle.
Oui. Maya était d’une intransigeance difficile à vivre. Mais quand je la voyais, au cours de toutes ces années et jusqu’à sa fin, continuer à être accompagnée comme elle l’était, je me disais que cette femme n’était pas qu’une guerrière intraitable mais continuait à transmettre de l’amitié, aussi. Et que son entourage présent – comme nous l’avions su et vu – le savait et le voyait parfaitement. Et serrait les dents, parfois, sans doute. Mais serrait surtout et encore les rangs, autour d’elle. C’était bien. C’était juste.
Maya était des nôtres.
Elle fut LA nôtre.
Merci, grand merci, Maya. Spassiba bolchoï !
Doucha,
Doucha Belgrave
Nuit du 13 Avril 2016 – Lorient (Morbihan)
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