On vous écrit de Gaza
Samedi 4 juin (14)
Rencontre avec deux jeunes francophones
Il s’agit de peaufiner un projet dont le seul coût est d’avoir un sens de l’organisation. D’un côté, les jeunes de Gaza utilisent Facebook. Ils sont francophones et sont capables d’animer chacun une communauté Facebook. De l’autre côté, en France, beaucoup de jeunes manifestent spontanément leur solidarité pour Gaza. Mais ils ignorent tout de cette société, de ses problèmes, de son fonctionnement, de ses aspirations.
Ce besoin de connaître et le travail par réseaux sociaux se rencontrent peu. L’idée est de combler cette lacune en mettant en contact par skype, d’un côté des groupes de jeunes Français, organisés ou non souhaitant dialoguer en direct avec les jeunes de Gaza, et de l’autre côté des jeunes Gazaouis francophones. Baptisée “Gaza en direct”, cette initiative sera coordonnée par nous dans un premier temps avant de prendre son autonomie.
Interview sur Hispan TV
Cette télévision iranienne en langue espagnole a une équipe permanente à Gaza où les médias occidentaux sont absents. Elle a fait une émission sur “l’Initiative française” et la conférence de Paris. Dans ce cadre, l’un de nous a été interviewé. La réponse a porté sur ce que le droit international dit et sur la partialité de la politique étrangère de la France. L’émission a été diffusée le soir et est visible sur youtube : www.hispantv.com
. Puis taper sur Palestina. Elle commence par un discours très radical du secrétaire général du Jihad Islamique, continue avec des images des principaux dirigeants politiques protagonistes de cette guerre et se termine avec l’interview.
Rencontre avec Anthony Bruno, directeur de l’institut français de Gaza.
Le bâtiment est superbe, mais on n’y rentre plus librement. Il faut sonner et passer par un portique de sécurité. Anthony Bruno nous reçoit dans la fraicheur de la cafétéria (la chaleur est accablante, 40° ou peut-être plus) et nous avons un long et agréable échange. Il nous explique pourquoi l’institut a été fermé pendant un an et demi.
Il y a eu un premier attentat en octobre 2014 (peu après la guerre). Le centre a été fermé. Le 12 décembre, alors qu’il y avait une réunion pour organiser la réouverture rapide, un deuxième attentat a eu lieu. Juste après, il y a eu l’attentat contre Charlie Hebdo à Paris. Quand Charlie Hebdo reparaît avec la couverture où la prophète dit “Tout est pardonné”, il y a une manifestation salafiste avec drapeau de Daesh dans Gaza. Jusque-là, ce courant n’apparaissait pas au grand jour et était confiné dans le Sud (vers Rafah). Ce courant se nourrit de la frustration de la population. Les autorités du Hamas ont tardé à réagir. En juillet 2015, les Salafistes ont commencé à s’en prendre à des véhicules du Hamas. La riposte a été très brutale : il y a eu de nombreuses arrestations et on n’a plus entendu parler d’eux depuis. L’institut a réouvert et reprend petit à petit ses activités.
Anthony Bruno est en Palestine depuis 2004. Il nous dit avoir évolué par rapport aux idées qu’il avait en arrivant. Nous évoquons le désengagement décidé par Sharon à Gaza et l’évolution jugée inquiétante de la société israélienne. La classification traditionnelle parlant de la droite israélienne et des modérés (les travaillistes) lui paraît erroné. Stratégiquement, tout le monde est du même côté.
Nous évoquons les lignes de partage idéologiques au sein de la société française : l’affirmation de la légitimité de la ligne verte et l’illégitimité de la présence israélienne au-delà, le mur comme protégeant la civilisation contre la barbarie, la multiplicité des sens derrière l’expression “un seul État en Palestine” et le risque d’un bain de sang dans la région.
Nous lui présentons le projet de coopération avec l’ESPE qu’il trouve intéressant. Dans la discussion, nous comprenons la complexité de la situation : l’institut n’a pas de relations avec le gouvernement de Gaza.
Anthony Bruno pense qu’en France on a souvent une vision “hors sol” de la bande de Gaza vue uniquement comme un territoire réprimé par le Hamas alors qu’il s’agit d’une société éduquée et développée dans une situation carcérale absurde. En France, il y a souvent une vision diabolisée ou au contraire très romantique de Gaza. Il note avec la prolongation du blocus une dégradation progressive. Lui-même a le droit de franchir Erez en voiture. Il y a 13 à 14 portes sécurisées sur ce petit parcours.
Nous terminons cette discussion amicale sur les Français qui partent au Proche-Orient, soit pour s’engager dans Daesh, soit pour s’engager dans l’armée israélienne.
Distribution de colis de nourriture dans un endroit sinistré
Précisons d’abord les lieux. Le Wadi Gaza est une véritable rivière, loin d’être à sec en ce moment alors que les fortes chaleurs ont commencé. Dès qu’on approche d’un des ponts qui le franchissent et qui permettent d’accéder au centre et au sud de la bande de Gaza, l’odeur devient pestilentielle. Les égouts de Gaza s’y déversent et, d’après ce qu’on nous a dit, des déchets israéliens aussi. Lors des inondations de 2013, une des zones sinistrées était les bords du Wadi Gaza avec là encore des accusations lancées contre Israël qui aurait ouvert les vannes d’un barrage situé en amont.
Pourtant des gens habitent sur les bords de cette rivière et de nombreux baigneurs vont sur les plages situées à son embouchure.
C’est tout près de cette rivière que se situe le village de baraquements (bidonville ?) d’al Mugraga. La population, principalement bédouine, vit dans une extrême pauvreté.
L’association française Umma Soul (= l’âme de la communauté des croyants), comme de très nombreuses associations principalement communautaires, collecte des fonds en France. Elle envoie ces fonds à un volontaire palestinien qui achète les produits, fait les cartons d’une valeur variable suivant les donations et, avec une équipe de jeunes volontaires qu’il a réunie, distribue ces cartons aux plus démunis. Ce jour-là, il s’agit d’une distribution pour 30 familles de ce lieu. Le volontaire, guidé par le responsable de ce quartier qui assiste à la distribution, a sélectionné les bénéficiaires à qui on donne un document. Il y a d’ailleurs un petit incident : pour une bénéficiaire arrivée en retard, le colis est donné à quelqu’un d’autre. Sa colère est grande. Chose promise, chose due, elle sera livrée le lendemain.
Les cartons ce jour-là contiennent des produits de première nécessité : huile, lait, jus de fruit, boites de conserve … Dans le bidonville, des pistes de sable et aucune maison en dur. Par endroits, des petits vergers. Les familles sont nombreuses et massivement sans ressources. Les donateurs souhaitent avoir les preuves que les donations ont été faites, aussi des photos sont prises de chaque famille recevant son colis. La petite foule d’enfants que l’événement émoustille est rieuse et très amicale.
Discussion avec de jeunes volontaires
Les volontaires qui ont fait cette distribution sont souvent des garçons très jeunes (3 de 15 ans, 1 de 20 ans). Jusque là, nous avions eu des entretiens avec des gens pouvant encore témoigner (directement ou indirectement) de la Nakba ou qui avaient connu la période où les Gazaouis avaient trouvé du travail en Israël. Là, nous avons affaire à une génération qui n’a rien connu d’autre que le blocus et trois guerres.
Nous leur demandons pourquoi ils ont choisi d’être volontaires. “Pour faire quelque chose de bien”. “Aider c’est un but humain, si quelqu’un ne peut pas, on doit l’aider”. Ce n’est pas leur première expérience de volontariat, ils affirment tous qu’ils continueront.
Nous leur demandons pourquoi il y a des gens si pauvres : “parce qu’il n’y a aucune chance de trouver du travail à Gaza.” ” Parce que ces gens n’ont pas d’éducation.” Ont-ils espoir pour eux-mêmes de trouver du travail ? “Peut-être, on espère” disent les plus jeunes. “Non, aucun espoir” dit celui qui a 20 ans et vient de terminer ses études de cadre hospitalier. Qu’attendent-ils pour eux-mêmes de ce qu’ils sont en train de faire ? “De l’expérience”. Au-delà du mois de ramadan, sont-ils préoccupés par l’aide aux plus pauvres ? L’un explique que sa famille distribue de la viande tout au long de l’année. Un autre a été volontaire pour collecter des vêtements.
Les volontaires présents sont des garçons mais le responsable affirme que c’est un hasard et qu’il travaille le plus souvent avec des filles. Ont-ils été étonnés de ce qu’ils viennent de voir ? “Oui, ces gens n’ont rien, pas d’eau et ils vivent avec les animaux”.
Tous appartiennent à des familles de réfugiés venus d’Abdes, Beersheva et al Jora.
Pourquoi leurs familles sont-elles réfugiées ? “Parce que la mafia juive est venue avec des armes et a commencé à nous tuer”. Pensez-vous que vous retournerez un jour chez vous. Tous sauf un déclarent en être sûr. Pour l’autre, ça va être difficile parce qu’il n’y a pas d’union et que les autres guerres font qu’on nous oublie. Comme leur meilleur point d’appui, ils citent la famille et le fait qu’on se soucie de l’autre “On a de la chance d’avoir des parents, on a la possibilité de rêver”.
Aucun n’est sorti de la bande de Gaza. Tous souhaitent voyager, parcourir le monde, soit pour revenir ensuite à Gaza, soit pour rejoindre de la famille déjà au loin, soit même (le plus âgé) partir définitivement “parce qu’ici vraiment c’est dur”. Que feront-ils d’emblée si un jour il y a la paix ? “Retourner dans mon village, sortir et revenir, visiter al Aqsa, reprendre mes études à l’étranger … Le monde entier peut voir al Aqsa mais pas nous.”
Pourriez-vous vivre avec des Juifs ? La réponse fuse et est unanime : “Non” avec deux arguments : “Ce sont nos ennemis et ils nous tuent” et “Le Coran le dit”. L’un ajoute : “Mais comment pouvez-vous poser une question aussi évidente ?” “On n’a aucun futur ensemble après l’occupation et le blocus”.
Un adulte présent ajoute :”les Juifs ne respectent pas les accords qu’ils signent. Leur programme c’est : de la mer au Jourdain. Notre terre ne leur suffira pas. Ce sont des criminels. Cette jeune fille de 15 ans avec un couteau à la main, le soldat pouvait lui tirer dans les jambes, il l’a assassinée.”
Nous faisons remarquer qu’avant la Nakba, Juifs et Arabes vivaient ensemble. Ils répondent à la fois “on les combattra jusqu’à la fin, c’est ce que dit le Coran” et “notre religion nous dit d’être bon avec tout le monde”. L’un des plus jeunes affirme : “notre combat n’est pas contre une religion, pas contre les Juifs, il est contre Israël, contre les sionistes qui ont attaqué notre pays.” “C’est quand les Juifs sont devenus des Israéliens qu’ils nous ont attaqués.”
En ce qui concerne les pays arabes, ils font une distinction entre les gouvernements qui ne leur veulent pas du bien et les peuples qui, eux, sont bons. Ils protestent contre la fermeture de Rafah : “ils affirment vouloir punir le Hamas, pensent-ils donc que tous les Gazaouis appartiennent au Hamas ?”
Ils soulignent que trop souvent les étrangers qui viennent à Gaza ne sont pas des solidaires et soutiennent de fait Israël.
“On est le dernier pays occupé au monde. Les Juifs ont tué Rabin. Oslo, c’était il y a 23 ans. Il n’y a toujours pas de paix, Nétanyahou est contre.”
Êtes-vous favorables à la solution à deux États ? “La terre est une. Supposez que quelqu’un vienne et vous vole la moitié de votre terre, accepteriez-vous ?”
Repas amical chez des gens de gauche.
On passe deux soirées dans le centre de la bande de Gaza. Les invité-e-s sont très éduqué-e-s, étudient et/ou travaillent et sont clairement à gauche. La majorité sont des jeunes. Deux d’entre eux, plus âgés, sont (ou étaient) les correspondants gazaouis pour l’association B’Tselem qui est le centre d’information israélien pour les droits humains dans les territoires occupés.
L’un est un Druze palestinien plein d’humour.
Une des jeunes femmes présentes est héritière d’une tradition familiale FPLP. L’un (il vient de terminer un projet de 3 ans avec les Quakers) nous raconte l’importance pour sa génération des mouvements des jeunes (2010-2011) à Gaza. Il se souvient de la répression et constate que les plus actifs de cette période, sans avoir rejoint un parti politique, en ont tiré de l’expérience et ont un peu partout des engagements dans la société civile.
Tous racontent avec humour des incidents avec la police de la route : l’un voyant venir la police chez lui parce que son voisin de siège s’était débarrassé à la hâte sous ses pieds d’un paquet de cigarettes “amélioré”, l’autre interrogé sur sa religion par un policier intrigué par sa compagne tête nue et lui lançant : “vous êtes policier ou cheikh ?”
Tous sont critiques et moqueurs sur les deux gouvernements rivaux. Certains sont clairement athées. Les anecdotes qu’ils racontent soulèvent le rire et ne témoignent d’aucune peur. Ils peuvent pourtant être passés par des situations très difficiles.
Ainsi nôtre hôte (34 ans) a été emprisonné par les Israéliens de 2006 à 2010. Il a connu de nombreuses prisons en Israël ou en Cisjordanie. Il dit n’avoir pas pris une peine plus lourde grâce à son avocate Léa Tsémel (femme de Michel Warschawski). Il était à l’époque membre du FPLP. Il a côtoyé des prisonniers de très longue durée et raconte comment, mentalement, on essaie de survivre à une telle épreuve.
Les prisonniers s’organisaient par partis politiques dans les prisons. Le Hamas et le Fatah se regroupaient dans deux quartiers séparés, le Jihad Islamique et le FPLP se retrouvaient logés tantôt avec l’un tantôt avec l’autre.
Il explique qu’en prison, c’est au bout de longues luttes (grèves de la faim) que les prisonniers palestiniens ont obtenu certains droits. Dont celui de pouvoir lire. Une partie des livres (de théorie politique par exemple) circulaient masqués par une couverture anodine, voire les premières pages d’un livre de cuisine. C’est en prison qu’il a pu lire Franz Fanon et les classiques du marxisme. Le changement fréquent de prison qui, pour les geôliers étaient une façon de briser toute forme d’organisation, permettait, à condition d’être particulièrement inventif et courageux, de faire voyager des informations sensibles d’une prison à l’autre. Ces changements de prison donnaient toujours l’occasion de sévères humiliations. Nu, le prisonnier devait effectuer toute une série de mouvements, permettant entre autre une exploration rectale sous la menace de matraques électriques.
Pourtant, clairement, la prison ne l’a pas brisé.
Chroniques de Gaza (15)
Dimanche 5 juin
Quand on regarde la télévision à Gaza (et donc qu’il y a de l’électricité), elle est souvent brouillée. L’image est déformée. Ce sont les drones. Ils ne sont pas visibles à l’œil nu parce qu’ils volent très haut. S’ils descendent c’est mauvais signe, ça annonce une attaque.
On entend souvent un bruit sourd d’avions à Gaza alors que l’aéroport a été détruit sans avoir jamais fonctionné. Ce sont les F16 et d’autres avions de chasse plus modernes qu’on entend alors qu’ils volent très haut. Pendant la guerre, nous a-t-on dit, la bombe explosait avant qu’on entende l’avion.
Il y a bien sûr plein de rumeurs à Gaza. Celle sur l’exécution de 3 condamnés à mort a vite été confirmée. Une autre rumeur parle d’une rixe mortelle entre membres des branches armées du Hamas et du Jihad Islamique. Le mort appartiendrait au Hamas. La rumeur (à l’heure où nous écrivons) n’a été ni confirmée, ni infirmée.
Rencontre avec Ammal Hamed, membre du Comité central du Fatah et dirigeante de l’Union Générale des Femmes Palestiniennes.
Elle s’occupe aussi des relations avec la Cour Pénale Internationale. Elle a de plus en plus de difficultés pour se rendre en Cisjordanie. Les laissez-passer qu’on lui fournit au compte-gouttes ne sont plus que de 1 ou 2 jours.
Nous nous présentons et elle exprime son plaisir pour cette visite.
Nous l’interrogeons sur la division palestinienne : “comme Fatah, nous devons mettre fin à la division. nous avons besoin de l’unité de la terre et du peuple palestiniens. Notre stratégie : faire appliquer l’accord du Caire (2011) pour former un gouvernement d’union et aller aux élections à tous les niveaux (législatives, présidentielles, municipales, syndicales et dans l’OLP). C’est la meilleure façon pour les gens d’exercer leur pouvoir. Jusqu’ici le Hamas refuse de mettre en œuvre tout ce qu’il a signé au Caire.”
Sur le blocus : “on le refuse et on dénonce la fermeture des points de passage. Nous sommes en discussion avec le président égyptien Sissi pour qu’il ouvre la frontière de Rafah. Mais il refuse en mettant en avant des raisons militaires. Rafah n’a ouvert que 2 ou 3 jours et à titre humanitaire exceptionnel. Sissi veut que l’Autorité Palestinienne prenne le contrôle de Rafah en argumentant que l’accord passé l’a été entre deux pays, donc deux gouvernements. Tous les autres partis palestiniens proposent que le Hamas et le Fatah gèrent ensemble Rafah au sens suivant : l’ensemble du personnel mis en place par le Hamas resterait en poste et serait rejoint par des personnels de l’Autorité Palestinienne. Mais le Hamas veut tout contrôler et refuse.
Sur les salaires. “En 2011, lors de l’accord, le Hamas a demandé à l’Autorité Palestinienne de prendre en charge les salaires de 20000 fonctionnaires qu’il avait recrutés. Mais ses exigences ne cessent de croître. Il a demandé successivement 30000, 45000 et à présent 50000 fonctionnaires parmi lesquels une majorité de militaires, ce qui ne laisse aucune chance à l’accord. Pour des raisons de sécurité, ils ne veulent pas donner les listes des bénéficiaires. Le gouvernement d’union est prêt à payer les salaires des travailleurs de la santé, de l’éducation, de la surveillance de la frontière mais pas des militaires.” Notre interlocutrice pense que le Hamas a signé en 2011 à cause de l’arrivée au pouvoir de Morsi.
Sur l’électricité, elle estime que le problème de la pénurie n’a pas été créé par les taxes levées par l’Autorité Palestinienne sur le fuel vendu à Gaza. Elle affirme que 40% de l’électricité produite alimente, au détriment de la population, les installations souterraines créées par le Hamas. Et en surface, les postes de police, les écoles, les mosquées et les parcs d’attraction qui fleurissent le long de la plage (95% appartiennent au Hamas) ne paient pas l’électricité. Sur les factures d’électricité payées par les particuliers, l’argent collecté n’est pas rétrocédé à l’Autorité Palestinienne mais sert à payer les employés du Hamas.
Quand le fuel est acheté en Israël, c’est l’Autorité Palestinienne qui paie tout, y compris la taxe de de 50%, ce n’est pas le Hamas. Quand le fuel arrive gratuitement du Qatar, il est renvoyé gratuitement à Gaza.
Ammal Hamed pense que Mahmoud al Azahar, qu’elle qualifie d’extrême droite et qui est à la tête de la branche armée du Hamas, dirige en fait ce parti, Haniyeh n’étant que la vitrine. Pour preuve elle cite l’incident suivant : quand Haniyeh a invité Mahmoud Abbas, al Azahar a envoyé trois jeeps militaires tourner autour de sa maison jusqu’à ce que le projet soit abandonné.
Sur l’initiative française “on remercie le gouvernement français pour cette conférence. On en attendait plus mais les Américains ont fait pencher la balance en faveur de Nétanyahou. Malgré tout, elle pense qu’il y a des différences politiques entre l’Amérique et l’Europe. En Europe, quelque chose a changé dans la population sur la compréhension de la question palestinienne et on espère que les Français seront indépendants et ne suivront pas les États-Unis. Si la question palestinienne n’est pas résolue, l’Europe souffrira. Daesh (créé par les États-Unis) prendra pied. Le pire est à venir si la Palestine ne gagne pas sa liberté.
Nous en arrivons à Oslo (c’était il y a 23 ans). Sa réponse est claire : “Oslo a échoué, c’est fini. On espérait par Oslo obtenir un État indépendant. Nous ne l’avons pas obtenu, le nombre de colonies s’est multiplié et la division est arrivée. L’occupation a tué Oslo. C’est pourquoi nous acceptons la conférence de Paris Quand elle se tiendra, nous pourrons montrer ce qui est arrivé. Nous avons besoin d’une conférence multilatérale, pas de rencontres bilatérales.”
Sur les réfugiés : il est impensable de renoncer à nos droits. La loi internationale dit que les réfugiés peuvent rentrer chez eux et qu’il y aura un État palestinien indépendant avec Jérusalem comme capitale. Nous devons mettre en œuvre l’affirmation de l’ONU que nous sommes un pays. Si nous n’obtenons pas nos droits maintenant, nos enfants y parviendront.
Sur la corruption, elle balaie une accusation qui avait pourtant fait perdre les élections au Fatah. “La corruption, il y en a partout. Pas dans l’Autorité Palestinienne qui est internationalement contrôlée. Des individus peut-être mais ce n’est pas un système.” Elle parle de la corruption du Hamas, de ceux qui ont fait fortune avec les tunnels (tous ne seraient pas fermés, loin de là). Le trafic des camions à Abou Salem (Keren Shalom, point de passage des camions entre Israël et Gaza) génère de très fortes taxes : 20 millions de dollars par mois.
Elle dit que le Fatah n’est pas petit : c’est le premier parti en Palestine et à Gaza. Il a le soutien des pauvres et correspond à son avis à 40% des votes potentiels. Le Fatah a une longue histoire qui fait dire aux gens “vous êtes la mère”. C’est le seul parti qui est au service de tous les citoyens sans distinction d’appartenance. Les Palestiniens disent que c’est le parti des sans parti.
Sur la liberté des activités du Fatah à Gaza : “actuellement le Hamas interdit les manifestations de rue ou les anniversaires (comme celui de 2012 qui avait mis des centaines milliers de personnes dans la rue). Un peu avant la guerre de 2014, ils ont fait sauter à l’explosif ma maison et celle d’autres dirigeants du Fatah. Là où je vous reçois, il n’y a pas de logo. C’est par prudence. Le Hamas nous a déjà pris deux appartements.”
“Il faut changer la mentalité de ce parti. Il pensent que Gaza est leur État. Les Frères Musulmans affirment que Gaza est la première expérience d’un État qu’ils contrôlent et que cela doit continuer. C’est pourquoi ils soutiennent financièrement le Hamas.”
Reem Abu Jaber et l’association Nawa pour la culture et les arts de Deir al Balah
“Tout en étant une Palestinienne de Gaza, j’ai eu l’occasion de rencontrer des gens de toutes sortes. J’ai eu de la chance pour ça. Je pratique ce à quoi je crois, je n’ai aucun problème à côtoyer des gens différents : j’accepte celui qui est là. On peut apprendre les uns des autres.
Je viens d’une famille avec des racines chrétiennes. D’ailleurs le nom de la ville de Deir al Balah (90 000 habitants) signifie “le monastère des palmiers””. Ce monastère date du 4ème siècle, c’est un lieu historique chrétien. Plus tard, à l’arrivée de l’Islam, une petite partie a été ajouté au monastère (rien n’a été détruit, seulement ajouté).
Aujourd’hui, il ne reste qu’un petit nombre de chrétiens (forte émigration), dans la ville de Gaza , et quelques familles dans le sud.
“Avec les chrétiens, on vit ensemble : on est fait du même tissu”.
Le centre a été crée il y a deux ans, avec une équipe de jeunes femmes. Sa vocation est la culture, l’art, l’éducation des enfants. “Nous sommes implantés dans une zone rurale déshéritée. Le centre emploie 32 personnes et les paie (avec un rire : je suis excellente pour lever des fonds)”. Actuellement 500 enfants fréquentent le centre.
Une sensibilisation aux problèmes environnementaux accompagne toutes les activités, avec l’utilisation de matériaux recyclés, vue la pénurie de bois et de ciment due au blocus. Une des voies en sable toute proche, plutôt malpropre, va également être nettoyée et plantée en oliviers, un travail effectué par les enfants et leur encadrement.
Les voisins comprennent et aident : ainsi, l’électricité du terrain de jeu (voir plus loin) sera fournie par le terrain de sport voisin, et une personne s’est proposée pour apporter l’eau nécessaire aux enfants. “J’avais l’habitude de crier face au monde contre ce qui arrive à Gaza, et ça prenait toute mon énergie. J’ai commencé à travailler pour changer la vie des enfants, au lieu d’attendre que la communauté internationale devienne humaine”.
Cela fonctionne aussi pour le personnel du centre “ils étaient tous sans emploi, déprimés. Maintenant, ils sont ouverts et impliqués”.
Le centre insiste sur une éducation basée sur l’entraide, l’auto-organisation, le respect mutuel et la dignité. L’objectif de Reem, c’est de former chaque salarié à la direction, de rendre chacun autonome sur sa tâche. Elle prévoit de partir dans trois ans, laissant derrière elle un centre parfaitement capable de continuer.
Le centre lui même se compose de plusieurs pièces : une pour les tout-petits (moins de 6 ans), une bibliothèque où l’on écoute aussi des histoires, et de deux pièces d’activités artistiques (le centre privilégie la méthode Steiner). Au delà du centre, trois autres implantations : le monastère, qui sera dans très peu de temps la bibliothèque, un terrain de jeu, inventif et entièrement fait d’objet recyclés, et, encore à peine sorti de terre, un jardin d’enfants.
Dans la situation catastrophique de la bande de Gaza, se heurte-t-elle à des “enfants difficiles”.? “Je dirais des enfants hautement incapables de ce concentrer. Les F16 tournent encore dans leur têtes.
On a commencé ce programme après la guerre, sans argent. On n’a jamais arrêté, même quand on n’a pas pu se payer, les animateurs ont continué. Maintenant, financièrement, le centre est sécurisé pour les trois ans qui viennent.
Auparavant, j’ai été longuement directrice du grand centre pour enfants al Qatan. J’ai reçu l’ordre national du mérite de la part de la France. J’ai choisi de changer de travail pour aller vers les plus déshérités.”
Le centre fonctionne aujourd’hui avec une importante coopération des parents.
Deuxième rencontre avec le Fatah
Qu’on soit d’accord ou non avec Ammal Hamed, celle-ci nous avait parlé avec conviction et sincérité. Nous rencontrons un autre membre de la direction du Fatah de Gaza : Hasan Ahmed. Nous n’aurons que des réponses sèches et convenues à nos questions.
Ainsi sur la division palestinienne “personne ne doit pouvoir en parler s’il n’est pas palestinien. Si les étrangers arrêtaient d’en parler, la division cesserait.”
“Les Palestiniens croient en la solution à deux États. Pourquoi ne pas essayer de vivre en paix ? Les terroristes, ce n’est pas utile. Comme Abou Mazen a demandé la paix, Israël devrait en faire autant.
Sur les réfugiés, la résolution 194 dit “ils retourneront dans leur village”. Comment cela s’articulera avec deux États ? “On trouvera une solution”.
Sur Oslo : “nous respectons ce que nous signons, Israël ne le fait pas. Celui qui veut faire la paix doit respecter la loi internationale. Si les Israéliens sont sérieux, il y aura la paix. Oslo ; c’est bon pour les deux côtés surtout pour Israël. Mais la droite terroriste en Israël ne sait pas ce qui est bon pour Israël. Avec Oslo, cette chance qu’a Israël pourrait ne pas revenir, en particulier celle d’avoir un dirigeant comme Abou Mazen capable de faire la paix.
Sur le chômage : “quand on aura brisé le blocus et qu’on aura l’accès à la mer, la vie sera normale. Occupation = chômage.”
Pourquoi Israël devrait changer ? “Si on a des pressions internationales, Israël changera. Ils devraient arrêter de soutenir Israël. Il faut un accord avec Israël sous l’égide de l’ONU.”
Sur la corruption, il n’est pas au courant.
Sur une possibilité de nouvelle guerre, il n’a pas d’information.
Il souhaite que l’initiative française soit couronnée de succès.
“Le Fatah a payé un prix élevé pour la paix, la perte de Yasser Arafat. Israël traite Mahmoud Abbas de terroriste alors qu’il se bat auprès de la communauté internationale pour conquérir nos droits.”
Rencontre avec Zakaria, dirigeant de la branche pêcheurs pour l’UAWC.
Les violations des droits des pêcheurs sont documentés au jour le jour par ses post Facebook. Zakaria vient de compiler ces informations pour un rapport portant sur l’année 2015. Il nous donne les chiffres des attaques des navires de guerre israéliens sur les pêcheurs pour les cinq premiers mois de 2016 : 13 pêcheurs blessés (le dernier il y a 4 jours), 70 arrêtés, 24 bateaux capturés (dont un sardinier), et 800 filets détruits ou volés. Plus inquiétant encore, l’essentiel de ces chiffres sont réalisés sur les deux derniers mois (3 avril – 3 juin) : 50 arrêtés, 9 blessés, 18 bateaux capturés (soit en deux mois des chiffres équivalents à toute l’année 2015). Auxquels il faut rajouter les 11 bateaux détruits sur le sable ou au port depuis le début de l’année.
Des techniques de plus en plus violents sont utilisées : laisser le bateau se perdre à la dérive après avoir arrêté les pêcheurs, nouveaux canons à eau encore plus puissants, avec lesquels ils fracassent les rampes de lumière des sardiniers, provocation de vagues pour faire chavirer les plus petits bateaux mus à la rame. Ces attaques se passent très près de la côte, typiquement à 1 mille au large.
Jusqu’à récemment, le scénario de capture des bateaux consistait à exiger l’arrêt, et à tirer sur le moteur si le pêcheur n’obtempérait pas. Actuellement, les annexes des vedettes de guerre foncent sur le bateau, le frôlent, et 4 soldats y sautent. “ils se servent de nous, les pêcheurs de Gaza, pour s’entrainer”.
Le dernier blessé l’a été par une balle tirée à bout portant. Pour les pêcheurs arrêtés, leur détention est pour la plupart (80%) d’une dizaine d’heures, mais cela peut aller jusqu’à 10 jours.
Une grande cruauté peut caractériser les arrestations : obliger les pêcheurs à se dévêtir et nager jusqu’à la vedette, par température négative en hiver, sans accepter de prendre en compte que certains ne savent pas nager, tirs dans les jambes à quelques mètres avec des balles en caoutchouc sur des pêcheurs déjà capturés… le 27 janvier, c’est rigide et à demi-mort que le jeune pêcheur de 17 ans a été repêché, puis trainé dans une bouée jusqu’au bateau de guerre. A l’arrivée sur la vedette, son état était tellement critique qu’il a été immédiatement installé près du moteur et perfusé.
Au jour de notre rencontre, Israël annonçait officiellement que la limite des 6 milles était à nouveau imposée. Annoncé à grand coup de trompes, l’élargissement du confinement à 9 milles n’avait de toutes façons jamais concerné que la moitié sud de la bande de Gaza. Le 3 avril, avec cette élargissement, était promis la possibilité d’importer de la fibre de verre (indispensable à la réparation des bateaux) et l’autorisation d’acheter des moteurs. Rien de tout cela n’avait été appliqué.
Zakaria compte avec précision : En 2014, les bombardements sur les installations des pêcheurs ont mis hors d’usage 110 moteurs. Depuis, avec les bateaux capturés, une autre centaine a été perdu. Et l’usure normale, depuis 2006, a mis hors d’usage encore une autre centaine : c’est de 300 moteurs dont la pêche de Gaza a un besoin urgent. Besoin auquel s’ajoute le fait que deux cents hasakas neufs devraient venir remplacer les bateaux que l’absence de fibre de verre ne permet plus de réparer. Un montant d’1 900 000 dollars.
Le but d’Israël ? Que les pêcheurs renoncent à partir en mer, que la perte de cette activité ( la deuxième après les paysans) viennent grossir les rangs des sans-emplois.
Un calcul secondaire peut aussi être à l’œuvre : C’est de 5 à 7 tonnes de poissons venant d’Israël qui entrent chaque semaine dans la bande de Gaza. “Ce sont les poissons de notre mer que nous achetons ! Nous sommes le débouché de leurs produits. On est coincé comme des souris de laboratoires”.
Peut-on envisager un boycott ? On sent qu’il le souhaiterait. Mais les Gazaouis sont déjà très en deçà des normes sanitaires préconisées en matière de consommation de poissons. “Si l’on tente un boycott, par représailles plus rien n’entrera. On est sous la menace : prenez tout ou abandonnez tout.”. Les conditions sanitaires sont désastreuses, les enfants privés d’éducation, les parents criblés de dettes : c’est la destruction de la vie à Gaza qui est à l’œuvre.
La question de la pollution est angoissante. “Pourquoi Israël insiste pour nous confiner dans la bande des 6 miles ? Parce que là se concentrent tous les problèmes : pollution, zone sableuse où les poissons ne restent pas mais où ils pondent, les efforts de pêche à cet endroit détruisant la ressource. C’est une si petite zone, 36 kms de long sur 6 miles de large, dans laquelle se retrouvent 1200 bateaux de pêches !”
Quand aux attaques, elles n’ont rien à faire avec la règle imposée, si injuste soit-elle. C’est dans la zone de 1 à 2 miles qu’ont lieu la plupart d’entre elles. De 2011 à 2014, 3 pêcheurs ont été tués : ils étaient respectivement à 3 miles, à 2 miles… et à 20 mètres de la côte.
“Les trois dernières campagnes de bombardements ont commencé et fini à la mer, par l’interdiction de prendre la mer avant, par une élévation de la violence dans la chasse au pêcheurs après. Et pendant les bombardements, Israël s’acharne sur les équipements de pêche : les hangars abritant les engins de pêche et les moteurs, le port, les lieux de vente, les locaux syndicaux. Contre ces destructions complètes, a-t-on vu une institution demander des comptes devant la justice ?”
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