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Témoignages sur le massacre censuré de Deir Yassin: « ils ont empilé les corps et les ont brûlés »
Ofer Aderet – 16 juillet 2017
Un jeune attaché à un arbre et mis en feu. Une femme et un vieil homme touchés par des tirs dans le dos. Des filles alignées le long d’un mur et mitraillées. Les témoignages collectés par Neta Shoshani sur le massacre de Deir Yassine sont insoutenables, même 70 ans après les faits.
Depuis deux ans maintenant, un document difficile à lire se trouve dans les archives de l’association pour la commémoration de l’héritage de Lehi, la milice clandestine pré-étatique des Combattants pour la Liberté d’Israël. Il a été écrit par un membre de l’organe clandestin il y a 70 ans. Sa lecture pourrait réouvrir une blessure encore saignante des jours de la guerre d’Indépendance qui, jusqu’à aujourd’hui provoque beaucoup d’émotion dans la société israélienne.
« Vendredi dernier avec Etzel » – l’acronyme de l’organisation militaire nationale connue également sous le nom d’Irgoun, une autre milice pré-étatique dirigée par Menahem Begin – « notre mouvement, a mené une opération énorme pour occuper le village arabe sur la route de Jérusalem à Tel Aviv, Deir Yassine ». « J’ai participé très activement à cette opération » a écrit Yehouda Feder, dont le nom de guerre dans Lehi (également connu sous le nom de Groupe Stern) était « Giora ».
Dans la suite de la lettre, il décrit en détails le rôle qu’il a joué dans le massacre qui a eu lieu à cet endroit. « C’était la première fois de ma vie que des Arabes tombaient de mes mains et devant mes yeux. Dans le village j’ai tué un Arabe armé et deux filles arabes de 16 ou 17 ans qui venaient en aide à l’Arabe que je mettais en joue. Je les ai fait mettre contre un mur et les ai démolies en deux rafales de mitraillette, a-t-il écrit, en décrivant comment il a procédé à l’exécution des jeunes filles à la mitraillette.
Et avec ça, il raconte comment lui et ses copains ont pillé le village quand ils l’ont occupé. « Nous avons confisqué pas mal d’argent et des bijoux d’argent et d’or nous sont tombés dans les mains » écrivait-il. Il conclut la lettre par ces mots : « C’était vraiment une super opération et c’est pour cette raison que la gauche nous dénigre encore.
Images de l’occupation de Deir Yassine. La plupart des chercheurs établissent que 110 habitants du village y ont été tués. Archives de l »armée / Ministère de la défense
Cette lettre est un des documents historiques apparaissant dans un nouveau documentaire titré « Nés à Deir Yassin », réalisé par Neta Shoshani, qui a récemment consacré plusieurs années à une recherche historique exhaustive sur le massacre de Deir Yassin, qui a été un des événements constitutifs de la guerre d’indépendance qui entachent Israël jusqu’à aujourd’hui.
Avant la première projection du film au Festival du Film de Jérusalem, Shoshani a montré à Haaretz les témoignages qu’elle a rassemblés sur cet événement, en se plongeant profondément dans les archives et en conduisant des interviews des derniers participants vivants à cette action. Certains d’entre eux ont rompu un silence de dizaines d’années en s’adressant à elle, étant souvent pour la première fois face à une caméra.
L’assaut sur le village de Deir Yassine a commencé le matin du 9 avril 1948, intégré dans l’opération Nachson destinée à rompre le blocus de la route vers Jérusalem, avec la participation de 130 combattants de Lehi et de l’Irgoun qui ont reçu l’appui de la Haganah – l’armée d’avant l’indépendance. Les combattants ont eu affaire à une dure résistance et à des tirs de snipers et ont avancé lentement dans les rues du village en lançant des grenades et en faisant sauter des maisons.
Jeunes orphelins et orphelines dont les parents ont été tués à Deir Yassin. Archives de l’armée / Tirées du film ‘Born in Deir Yassin’
Quatre combattants furent tués et des dizaines blessés. Le nombre d’habitants arabes tués et les circonstances de leur mort ont fait l’objet de débats depuis de nombreuses années, mais la plupart des chercheurs établissent que 110 habitant du du village, dont des femmes, des enfants et des personnes âgées ont été tuées là.
« Ils couraient comme des rats » a rapporté le commandant de l’opération, Yehoshua Zettler, le commandant de Lehi pour Jérusalem, en décrivant les Arabes fuyant leurs maisons. Shoshani l’a interviewé en 2009, quelques semaines avant sa mort. Zettler a nié que ses troupes aient perpétré un massacre dans le village mais il n’a pas mâché ses mots pour décrire comment ses habitants étaient morts. « Je ne te dirai pas que nous avons pris des gants. Maison après maison… on mettait des explosifs et ils fichaient le camp. Un explosion et on bouge, une explosion et on bouge et en quelques heures, la moitié du village n’a plus existé » a-t-il dit.
Zettler a aussi apporté un compte rendu sévère sur le brûlage des corps des tués, après l’occupation du village. « Nos gars ont fait là-bas un certain nombre d’erreurs qui m’ont mis en colère. Pourquoi ont-ils fait cela ? » a-t-il dit. « Ils ont pris des morts, les ont empilés et ont mis le feu. Ça a commencé à puer. Ce n’est pas si simple ».
Un autre rapport sévère a été fait par le Professeur Mordechai Gichon, un lieutenant colonel des forces de réserve de l’armée d’Israël, qui était un espion de la Haganah envoyé à Deir Yassine à la fin de la bataille. « À mes yeux c’était un peu comme un pogrome » a dit Grichon, qui est mort il y a environ un an. « Si vous occupez une position militaire – ce n’est pas un pogrome même si cent personnes sont tuées. Mais si vous arrivez dans une localité civile et que des morts y sont répandus, alors ça ressemble à un pogrome. Quand les Cosaques faisaient irruption dans des quartiers juifs, ça a du ressembler à quelque chose comme ça. »
Selon Grichon, « il y avait un sentiment que c’était une véritable boucherie et il m’a été difficile de m’expliquer à moi-même que cela avait été fait en autodéfense. Mon impression était plus celle d’un massacre que de quoi que ce soit d’autre. Si on tue des civils innocents, alors on peut appeler ça un massacre ».
Yaïr Tsaban, un ancien député du Meretz et ministre du gouvernement, a raconté dans l’interview qu’il a donné à Shoshani qu’après le massacre, auquel il n’a pas participé, il avait été envoyé avec des collègues de la Brigade des Jeunes, pour enterrer les cadavres des morts. « La raison était que la Croix Rouge était susceptible de se montrer à tout moment et qu’il fallait effacer les traces (des meurtres) parce que la publication d’images et de témoignages de ce qu’il s’était passé dans le village seraient très dommageables à l’image de notre guerre d’indépendance » a-t-il dit.
« Ils couraient comme des rats » a raconté le commandant de l’opération, Yehoshua Zettler, le commandant de Lehi pour Jérusalem, décrivant ainsi les Arabes fuyant leurs maisons à Deir Yassin. Archives de l’armée/Ministère de la Défense
« J’ai vu un bon nombre de cadavres » a-t-il ajouté. « Je ne me souviens pas être tombé sur un cadavre de combattant. Pas du tout. Je me rappelle surtout des femmes et des vieillards. » Tsaban a témoigné qu’il a vu des habitants visés dans le dos et il a écarté les allégations de certains participants à l’action selon lesquels les villageois avaient été frappés dans des échanges de tirs. « Un vieil homme et une femme assis dans l’angle d’une pièce, visage tourné vers le mur, et on leur tire dans le dos » se rappelait-il. « Ça ne peut pas s’être passé dans le feu d’une bataille. Impossible. »
Le massacre de Deir Yassine a eu beaucoup de répercussions. L’Agence Juive, les Grands Rabbins et la direction de la Haganah l’ont condamné. La gauche l’a utilisé pour dénoncer la droite. À l’étranger, cela a été comparé aux crimes des Nazis. De plus, en tant qu’historien, Benny Morris note dans son livre Righteous victims, « Deir Yassine a eu un effet démographique et politique profond » : il a été suivi d’une fuite massive des Arabes de leurs localités ».
Shoshani a commencé à s’intéresser à l’histoire de Deir Yassine il y a une dizaine d’années, alors qu’elle travaillait à son projet de fin d’études à l’Académie Bezalel d’Arts et Design de Jérusalem, qui était centré sur la documentation visuelle de l’hôpital psychiatrique de Kfar Shaül construit sur les terres de Deir Yassine après la guerre. Après s’être documentée sur le lieu tel qu’il est maintenant, avec les bâtiments qui ont servi aux habitants du village dans le passé et qui font aujourd’hui partie de l’hôpital, elle a aussi voulu trouver des images historiques du massacre qui y avait eu lieu il y a 70 ans.
Une rue de Deir Yassin, aujourd’hui et en 1948. « En quelques heures, la moitié du village n’a plus existé » a écrit Zetter à propos de ce jour-là. Itai Raziel (aujourd’hui), Archives Sionistes (1948) / Photos du film ‘Born in Deir Yassin’.
Elle a été surprise de découvrir que la tâche n’était pas si simple. « Sur internet, il y a des photos de cadavres légendées comme si elles avaient été prises à Deir Yassine, mais elles sont de Sabra et Chatila » dit-elle, en se référant au massacre de 1982 par des milices chrétiennes de centaines d’habitants de ces camps de réfugiés palestiniens au Liban. « Dans les archives de l’armée israélienne qu’ils m’ont sorties pour publication, voici des photos de combattants de Deir Yassine » a-t-elle continué et elle a disposé une série de photos montrant des membres armés de l’Irgoun et de du Lehi, mais pas trace des Arabes qui ont été tués.
Aux archives de la Haganah, où Shoshani a poursuivi ses recherches – « comme une enfant naïve » comme elle a dit – une autre surprise l’attendait. « Un très vieil homme est venu vers moi, très chut-chut, m’a emmenée dans une salle voisine et m’a dit qu’il avait pris des photos immédiatement après le massacre » a-t-elle dit.
Cet homme était Shagra Peled, 91 ans, qui, à l’époque du massacre, était dans le Service d’Information de la Haganah. Il a dit à Shoshani qu’après le combat, on l’avait envoyé dans le village avec un appareil photo pour rapporter des documents sur ce qu’il y aurait vu. « Quand je suis arrivé à Deir Yassine, la première chose que j’ai vue, c’était un grand arbre auquel était attaché un jeune gars arabe. Et cet arbre avait été incendié. Ils l’avaient ligoté à l’arbre et avaient mis le feu. J’ai photographié ça », a-t-il raconté. Il a aussi déclaré qu’il avait photographié de loin ce qui ressemblait à quelques dizaines de cadavres rassemblés dans une carrière attenante au village. Il a remis le film à ses supérieurs, dit-il, et depuis, il n’a pas vu les photos.
‘Quand les Cosaques faisaient irruption dans les quartiers juifs, cela devait ressembler à quelque chose de similaire’, a écrit le lieutenant-colonel Mordechai Guichon à propos de Deir Yassine. Source : archives FDI / Ministère de la Défense
La raison en est peut-être que ces photos font partie du matériel visuel caché jusqu’à aujourd’hui dans les Archives des FDI et du Ministère de la Défense, ou dont l’État interdit la publication même 70 ans après les faits. Shoshani a envoyé il y a dix ans une requête à ce sujet à la Haute Cour de Justice comme faisant partie de son projet final à Bezalel. Haaretz s’est joint à sa requête.
L’État a expliqué que la publication de ces photos était susceptible de nuire à ses relations internationales et au « respect dû aux morts ». En 2010, après avoir visionné les photos, les juges de la Cour Suprême ont rejeté la requête, gardant ce matériel loin des yeux du public. Entre temps, Shoshani s’était arrangée pour obtenir quelques autres photos liées au massacre, parmi lesquelles une série de photos qui montraient de jeunes orphelins dont les parents avaient été tués à Deir Yassine.
Le massacre de Deir Yassine continue à bouleverser tous ceux qui s’y intéressent, même 70 ans plus tard. Tout le monde n’est pas d’accord sur la caractérisation de « massacre ». L’historien Dr. Uri Milstein, qui étudie les guerres d’Israël, se démène beaucoup pour répandre la thèse comme quoi il n’y a eu aucun massacre dans le village. Dans beaucoup d’articles qu’il a écrits, il prétend qu’il s’agit d’un « mythe mensonger »et d’un « meurtre rituel » [accusation antisémite] et que les Arabes morts ont été tués dans « des combats dans une zone urbanisée ».
Jeunes orphelins et orphelines dont les parents ont été tués à Deir Yassine. Source : Images tirées du film « Nés à Deir Yassine »
« Je ne pense pas que quiconque sur place était venu avec l’intention de tuer des enfants », dit Shoshani en rassemblant les documents qu’elle avait collectés sur cet événement. Pourtant, dit-elle, « Ce ne fut pas une bataille contre des combattants, mais plutôt la brusque occupation d’un village et la confrontation avec ses habitants qui défendaient leurs maisons avec leurs maigres moyens. Il y a eu aussi des cas, apparemment isolés, où des habitants ont été fauchés, ‘exécutés’, alors que les combats étaient finis, à des fins de dissuasion ou par peur. »
Le massacre de Deir Yassine fut le premier d’un certain nombre d’événements dans lesquels des combattants juifs furent impliqués dans des tueries de civils pendant la Guerre d’Indépendance et après sa fin. Un autre incident tristement célèbre fut celui de Kafr Qasem en 1956, le jour où a commencé la bataille dans la Campagne du Sinaï. Quarante-huit citoyens arabes israéliens ont été tués sous les tirs de la Police des Frontières. Comme dans le cas de Deir Yassine, l’État censure toujours le matériel archivé sur Kafr Qasem
Traduction SF et J Ch pour l’UJFP
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