Tous les sujets tabous intéressent l’opinion publique israélienne, sauf la répression contre les Palestiniens.

Ces derniers vivent pourtant à quelques kilomètres de chez eux, constate le poète Yitzhak Laor.

19.05.2010|Yitzhak Laor

|Ha’Aretz
http://www.courrierinternational.com/article/2010/05/19/ce-que-les-israeliens-refusent-de-voir

Ha’Aretz

Les Israéliens raffolent des secrets militaires. Leurs best-sellers sont des livres écrits par d’anciens militaires, espions ou responsables du Shabak [service de la sûreté] et du Mossad [service de renseignement]. Toute une culture s’est bâtie autour de “ce dont il est interdit de parler mais qu’il faut savoir à tout prix”. Mais il y a une chose que les Israéliens (ou du moins la plupart d’entre eux) ne veulent pas savoir et qui n’a rien à voir avec le secret militaire. La dernière enquête d’opinion réalisée par le Centre Tami Steinmetz de recherches sur la paix indique que, s’il y a un sujet dont l’opinion israélienne ne veut rien savoir, c’est la répression contre les Palestiniens. Ici, il ne s’agit pas de secret mais de déni.

Une enquête n’était sans doute pas nécessaire. Il suffit de regarder les informations sur une chaîne privée pour comprendre que ce qui se passe dans les Territoires palestiniens n’est pas “vendeur”. Non seulement les gens ne veulent rien savoir parce qu’ils savent pertinemment qu’il y a quelque chose à savoir (sinon ils ne refuseraient pas de savoir), mais l’armée israélienne est désormais considérée comme l’unique source légitime d’information sur les Territoires. Or l’armée ment – et c’est une litote. Le vocabulaire dont elle use pour, par exemple, évoquer les tirs contre des manifestants palestiniens non violents est truffé d’euphémismes, et le devoir d’explication ne se fait sentir que lorsque des ONG israéliennes comme B’Tselem diffusent des photos montrant, par exemple, des colons ouvrir le feu sans que l’armée ne bouge le petit doigt. Voilà le genre de choses que les Israéliens ne veulent pas savoir.

Les Territoires sont loin. Les Palestiniens sont loin. Le “mur”, les routes de séparation, l’armée et les journaux télévisés sont responsables de cette hallucination. La “Judée” et la “Samarie” [appellations bibliques de la Cisjordanie] sont pourtant tout près de nous. Les colons vivent parmi nous. Nous les voyons tous les jours, eux et leurs maisons. Ils sont dans l’armée. Ils sont l’armée. Mais la séparation entre, d’une part, ceux qui sont près de nous, qui ont le droit de vote, les armes, les droits et l’appui financier de l’Etat, et, d’autre part, ceux qui vivent à égale distance physique mais qui sont tenus en respect loin de nous, de l’autre côté du mur, des clôtures et des barrages, cette séparation est entretenue par notre refus de savoir, par notre déni.

Les ONG israéliennes défendant les droits de l’homme sont harcelées tout simplement au nom de notre refus de savoir. Il nous est interdit de nous forger librement une opinion sur des faits, des scènes, des voix et des options, toutes choses censées participer à la prise de conscience par l’Israélien – qui vit à cinq minutes – de cette réalité incroyable que représentent quarante-trois ans de dictature militaire exercée sur un autre peuple. Nos arguments sécuritaires sont contredits par un argumentaire diamétralement opposé, selon lequel notre insécurité résulte de la dépossession des Palestiniens, du contrôle que nous exerçons sur leurs ressources naturelles et des entraves infinies que nous imposons à leur vie quotidienne. Mais ce dernier argumentaire ne fait pas le poids face à la perception israélienne du “Nous sommes ici, eux ne sont pas ici”.

Lorsque le principal du lycée Ironi, à Tel-Aviv, a demandé que l’on emmène ses enseignants voir les barrages [israéliens dans les Territoires palestiniens], il s’est fait violemment rappeler à l’ordre par sa hiérarchie. C’est la réalisation d’une prophétie de Karl Marx : “Un peuple qui en opprime un autre forge ses propres chaînes.” On ne saurait mieux décrire notre réalité historique actuelle.