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Adieu à Evelyne Safir:

Eveline Safir Lavalette est morte, hier à Médéa, à l’âge de 87 ans, rapporte ce samedi l’agenceAPS. Elle est née en 1927, sur le sol algérien, d’une famille de colons. Elle a connu les grands espaces, la richesse agricole, les demeures fastueuses et coloniales à Rouiba où deux générations avant elle, les Lavalette, s’étaient installées.

En 2013, elle publie son autobiographie : « Juste algérienne… comme une tissure ». Elle y explore avec tendresse et poésie les grands moments de sa vie. De son combat. Car en 1955, Eveline épouse la cause nationale de libération. Son engagement s’est fixé alors qu’elle découvre, durant ses années de militante associative à l’AJAAS (Association de la jeunesse algérienne pour l’action sociale), la rude vie menée par les  Algériens indigènes. Elle côtoie juifs, musulmans, catholiques ou laïcs dans ce mouvement disparates où l’objectif ultime est l’aide aux jeunes. Son engagement s’accomplit en 1955 en participant à une revue pro-FLN qui dénonce les exactions commises à l’égard des Algériens musulmans. Elle deviendra agent de liaison pour le FLN et côtoiera Krim Belkacem, Ben M’hidi et bien d’autres.

Eveline Lavalette est arrêtée en 1956. Elle sera torturée. Puis libérée en 1959, soit trois ans plus tard. À demi-mots, elle parlera dans son livre, des années de torture, de ses sœurs de combats. De leurs rêves pour échapper à l’horreur. Dans «  Juste algérienne…comme une tissure », elle fait un tissage de ses moments vécus avec effroi. Elle n’expose pas. Elle laisse deviner ce qu’a pu être la prison et les mains de ses geôliers. Eveline Lavalette rejoint l’Assemblée constituante puis la première Assemblée nationale en 1964, lorsque l’Algérie est indépendante.

En 1967, elle épouse le journaliste Abderkader Safir. Eveline Safir Lavalette, amie du professeur Pierre Chaulet, était installée sur le massif de Médéa. Dans une maison à flanc de montagne, elle revient sur  ses vieux souvenirs d’une voix tout juste audible, le regard posé sur les crêtes des montagnes avoisinantes. L’Algérie n’a pas toujours été hospitalière, ni même reconnaissante des sacrifices des combattants révolutionnaires. Eveline Safir Lavalette devait le savoir. Les mots tissés dans son livre relatent succinctement les années de terrorisme dans la région de Médéa où elle vivait. Comme une tissure, écrivait-elle.

http://www.tsa-algerie.com/2014/04/26/la-moudjahida-et-militante-anticolonialiste-eveline-safir-lavalette-est-decedee/

Hommage à Eveline Safir Lavalette, une “juste Algérienne”

Eveline Lavalette fait partie de ceux qui ont fait « le choix de l’Algérie » pour reprendre le titre du livre de ses amis, Pierre et Claudine Chaulet, paru en 2012. Native de 1927, fille d’Européens installés en Algérie depuis deux générations, elle fera, elle aussi, démentir l’implacable déterminisme social, ethnique ou « racial », en choisissant d’être du côté de ceux que l’ordre colonial a installés dans une altérité définitive et absolue : des humains pas suffisamment humains.

 Dans un pays où les témoignages, souvent tardifs et parcellaires, tentent de guérir d’une amnésie sur l’histoire plus ou moins entretenue pour des raisons politiques, c’est la sortie du livre Juste Algérienneaux éditions Barzakh en juin 2013 qui a fait connaître Eveline Safir Lavalette. Un livre singulier, mélange de poèmes et de prose, où le parcours non moins singulier de son auteure transparaît moins dans le récit des faits que dans les sensations qui s’y expriment.

Eveline Lavalette fait partie de ceux qui ont fait « le choix de l’Algérie » pour reprendre le titre du livre de ses amis, Pierre et Claudine Chaulet, paru en 2012 également aux éditions Barzakh. Native de 1927, fille d’Européens installés en Algérie depuis deux générations, elle fera, elle aussi, démentir l’implacable déterminisme social, ethnique ou « racial », en choisissant d’être du côté du plus faible. D’être du côté de ceux que l’ordre colonial a installés dans une altérité définitive et absolue : des humains pas suffisamment humains.

Cette décision « d’être l’autre » ne va pas de soi. Elle est, par excellence, l’expression d’une singularité, où la conviction de ce qui est juste l’emporte sur toute autre considération, que ce soit l’appartenance de classe ou l’origine. Et il n’est pas surprenant de retrouver Evelyne Lavalette sur une même trajectoire qu’un Pierre Chaulet, décédé le 5 octobre 2012, dans ces milieux progressistes chrétiens d’origine européenne, dont le cœur est trop grand pour s’aveugler sur l’oppression banalisée des « autres ». Et choisir d’être l’autre, d’être « juste algérienne », a un prix. Rupture familiale d’abord. Et aussi, puisque l’on a choisi d’être « l’autre », de subir le traitement que lui réserve l’ordre colonial : la torture, la prison et même des tentatives de liquidation de la part de la Main rouge.

Elle s’invente une société douce

Evelyne Lavalette est définitivement une moujahida comme ses convictions le lui dictent. Elle est avec Ben Khedda, Abane et Ben M’hidi. Elle fait l’agent de liaison, transporte des documents… Elle fait la frappe. Elle s’occupe de l’appel à la grève des étudiants ou, encore, de la fameuse lettre d’Ahmed Zabana à ses parents. En novembre 1956, elle « tombe » à Oran. Elle reçoit le traitement réservé aux Arabes. Elle est torturée. Mais comme on ne « conçoit » pas qu’une femme « de souche européenne » choisisse d’être « l’autre » que l’on a tant déshumanisé, on cherche l’explication par les troubles mentaux. Après la torture, ce fut l’internement en asile psychiatrique.

Les initiés connaissaient cette femme qui répugnait à se mettre en avant, mais beaucoup d’Algériens n’ont commencé à la connaître qu’à la parution de son livre, préfacé avec passion par Ghania Mouffok. Elle était âgée de 86 ans. Dans ce livre, un texte daté de 2012 intitulé « En guise de fin », et avec l’arrière-fond d’une décennie terrible, elle – c’est plus souvent « elle » que « je » qui apparaît – écrit : « Elle s’invente une société douce et fraternelle, moderne, organisée, qui se souviendrait de l’essence de l’appel du 1er Novembre 1954 et de la plateforme de la Soummam, société qui avancerait au gré des paramètres du 21ème siècle. Et plus près, là, à son échelle, elle voudrait entendre ses pas dans une forêt de cèdres, marcher très loin, dans une vallée profonde et se chauffer doucement au soleil sur un plateau herbeux… ». Paix à Eveline Safir Lavalette, cette juste Algérienne. Cette grande Algérienne.

http://maghrebemergent.com/actualite/maghrebine/item/36855-eveline-safir-lavalette-une-juste-algerienne-nous-a-quittes.html

Eveline, dans sa maison au bord du ciel

« (…) J’aime rire, mais je suis profondément sérieuse, je ne veux pas que le tragique qui côtoie le comique de la vie me muselle, parce que j’aime par-dessus tout la liberté. Et savez-vous le moment de ma vie où j’ai été le plus libre ? Eh bien, c’est en prison. (…) Mais je vais vous expliquer. En prison, plus de contraintes familiales ou sociales : nous étions un groupe de jeunes femmes avec le même amour de notre pays. Et comme nous étions chacune un morceau de ce pays, nous avions beaucoup d’affection, d’attention les unes à l’égard des autres. Nous partagions tout : les photos de famille à regarder, les lettres que nous recevions, le «panier», ce supplément de nourriture que les familles peuvent apporter aux prisonniers non encore condamnés . Nous avions cette volonté de fer et d’acier :  tout partager, vivre avec des êtres différents mais unis par un même idéal, un même choix pour l’avenir. »

E. S-L.. « Mémoire d’Oran ». Prison d’Oran, 1956-1957

 

Eveline Safir Lavalette s’est éteinte à Médéa dans la nuit de vendredi dernier. Moudjahida d’origine européenne, elle avait fait le choix, très tôt, et évident pour elle, d’être Algérienne. Le choix de l’Algérie(1)  que, en Juste qu’elle était, et à l’instar des Chaulet, de Jeanine Belkhodja, de Djamila Amrane Minne, d’Annie Steiner et de beaucoup d’autres, elle aura défendu jusqu’au bout.

Je la croisais parfois chez Pierre et Claudine Chaulet, à l’époque où nous préparions l’édition de leurs mémoires. Eveline Safir Lavalette venait alors de sa montagne, de là-bas, tout là-haut, Médéa, là où elle habitait depuis toujours, aurait-on dit. Assise sur un fauteuil, elle nous regardait avec bienveillance, souriante, peu bavarde, vérifiant de temps à autre que sa canne était à portée de main. Quand elle se mettait debout, marchant de guingois et comme brisée de toutes parts, si quelqu’un faisait mine de la soutenir, elle le rabrouait, un brin agacée. Elle boitait, chaloupant douloureusement, à cause de l’arthrose, de la vieillesse, de tout, de la vie – et des séquelles, sans doute, de la torture (mais ça, elle ne le dira jamais clairement, seulement par allusion, au détour d’une phrase, évacuant la question d’un revers de main – j’apprendrais d’ailleurs à reconnaître dans ce geste furtif le signe qu’on abordait là un sujet pénible : information comme concédée, immédiatement banalisée ; elle avait une aversion viscérale pour la dramatisation).
Je savais aussi, mais de loin, qu’elle et ma mère entretenaient une belle amitié préservée, de celles qui survivent à la distance et aux silences de la vie qui sépare.

Mais c’est grâce à Ghania Mouffok que j’ai vraiment fait la rencontre d’Eveline. C’est elle qui m’a parlé de ses textes, c’est elle qui l’a convaincue de les sortir de ses cahiers d’écolier, de l’anonymat, et de les donner à lire aux Algériens, aux jeunes comme aux vieux, à nous tous – comme on fait un don, littéralement. C’est avec Ghania Mouffok que je suis allée lui rendre visite dans sa maison au bord du ciel, entre nuages et montagne, et que nous avons soigneusement préparé son livre Juste Algérienne2, ouvrage qui, à bien des égards, aura été l’une des aventures éditoriales les plus bouleversantes qu’il m’ait été donné de vivre. Elle avait attendu l’âge de 86 ans pour les publier. C’était l’an dernier.

Ghania Mouffok écrit dans sa magnifique préface que ce livre «vient d’un long silence». Est-ce que le fait d’être sortie du silence aura apporté à Eveline un quelconque apaisement ? Cette question reste pour moi en suspens. Elle n’était pas en quête de reconnaissance. Elle était trop simple, trop vraie. Ce qu’elle souhaitait en revanche, c’était que les gens sachent et apprennent ; les jeunes surtout. Qu’ils (ré)apprennent des mots essentiels comme «idéal», «fraternité», «révolution», et prennent la mesure de ce qu’a été le combat pour la libération. Eveline était anxieuse de savoir comment son livre avait été reçu par le public, comme pour se rassurer sur l’état de notre monde, comme pour ne pas désespérer de notre curiosité, de notre envie de comprendre et de nous dépasser.

A-t-elle été comprise ? Car dans un registre inédit, entre poème en prose, réminiscence, évocation, chronique des petits riens, son écriture demeure profondément inclassable. Sans doute en a-t-elle déstabilisé plus d’un, ceux familiers des mémoires exhaustifs et chronologiques, des autobiographies et/ou témoignages plus «classiques». Or Eveline, elle, a proposé de l’intime par bribes, par ellipse, par sensations : c’est ce qui donne à son témoignage, une dimension poétique unique, qui ne nuit en rien – bien au contraire – à sa valeur historique.
Depuis quelques mois, son corps malade la faisait souffrir, la tourmentait, l’épuisait, l’éloignait de la vie. N’était l’intervention d’amis aimants et influents, elle aurait continué à passer d’un spécialiste à un autre, trimballée de laboratoires d’analyse en cliniques lugubres, dans le mal-être, l’angoisse, et la solitude malgré ceux qui l’entouraient. Elle a passé un mois à l’hôpital Mustapha, de plus en plus otage de son corps, de moins en moins libre. Dans cette épreuve, elle n’a jamais perdu son sens de l’humour, sa fraîcheur, sa fantaisie toute juvénile. Ainsi, en riant, elle se plaisait à évoquer par le menu tous les plats qu’elle se mitonnerait une fois rentrée à la maison.

Pour ceux qui n’ont pas connu Eveline, il reste ses textes : «Le temps est venu de la lire», écrit Ghania Mouffok dans sa préface, comme un impératif éthique. Et il reste les images. Vous rencontrerez Eveline au MaMa. Entre Alice Cherki et Izza Bouzekri, au milieu d’autres moudjahidate, connues et inconnues. Dans cette exposition de portraits en noir et blanc, vous vous retrouverez face à Eveline Safir Lavalette : elle est assise, concentrée, naturelle, bras croisés, en une posture sage et déterminée ; elle porte loin son regard – elle semble n’avoir jamais été aussi lucide, en paix avec elle-même.

«Elle a choisi de partir», m’a soufflé, en m’annonçant sa mort, Ghania Mouffok, elle qui l’a accompagnée jusqu’au bout. J’ai moi aussi envie de croire que cette femme, qui a toujours décidé de sa vie, maîtresse de son destin jusque dans le supplice, a choisi de partir pour éviter la déchéance du corps.

Il faut lire ses mots. Il faut aller la voir. Il faut aller à sa rencontre, vous comprendrez.

-1 Le Choix de l’Algérie, Pierre et Claudine Chaulet, barzakh, 2012.
-2 Juste Algérienne, Eveline Safir Lavalette, barzakh, 2013.

Bio express :

Eveline Lavalette, issue d’une famille vivant en Algérie depuis trois générations, naît à Alger en 1927. Dès 1955, elle s’engage pour l’indépendance de l’Algérie, côtoyant Ben Khedda, Abane, Krim Belkacem, Ben M’hidi et d’autres. Ses activités au sein du FLN sont nombreuses : liaisons avec remises de documents, hébergement de moudjahidine­, transport de matériel, impression de tracts… Arrêtée le 23 novembre 1956 par la police française, torturée, elle est libérée en 1959. A l’indépendance, en 1962, élue à l’Assemblée constituante, puis à la première Assemblée nationale en 1964, elle participe à l’étude et la mise en place du système éducatif. En 1967, elle épouse le journaliste Abdelkader Safir et mène, jusqu’à sa retraite, une carrière au ministère du Travail. Elle est décédée le 25 avril à Médéa, à l’âge de 87 ans.

http://www.elwatan.com/culture/eveline-dans-sa-maison-au-bord-du-ciel-02-05-2014-255579_113.php