Un marché de Noël sous le signe de la préférence alsacienne?

Dès le début du mois de novembre, les Strasbourgeois sont déjà plongés dans l’atmosphère de Noël. Le Très Grand Sapin, à peine coupé dans les Vosges du nord, est déjà sur son pied de béton place Kléber; Antoinette Pflimlin astique ses boules bleues; les services de la CUS accrochent les guirlandes lumineuses; les commerçants décorent leurs vitrines. Bientôt les chalets de bois pousseront place Broglie (prononcez Breuil, si vous êtes de l’intérieur…), et les polémiques ont démarré au sujet des produits noéliques alsaciens de souche ou pas.

Les DNA nous l’apprennent ce matin:

Roland Ries ne préfère pas s’attarder sur l’histoire des churros bannis des marchés de Noël. Ni sur la levée de boucliers concernant l’ouverture du marché un 25 décembre.

Symptôme d’une gêne? Alors, parlons en!

A la Feuille de Chou aussi, nous (pluriel de majesté) sommes divisé.

Ce qui est certain, et désormais malheureusement irréversible, c’est que le vieux marché de Noël, le Christkindelsmärik de notre enfance est mort, assassiné par la marchandisation et la touristification planétaires.

Autrefois, je parle des années 1950 et 1960 du siècle et millénaire dernier, je m’y régalais de l’odeur des sapins coupés, devant l’Opéra, au pied de la statue du Maréchal Leclerc, des Gaufres Lorraines (disparues), du tchuk-tchuk nougat, des pommes d’amour, et, pour les yeux, des santons et autres accessoires pour la crèche, sans oublier la clochette de l’Armée du Salut à l’entrée du côté de la rue de la Mésange. Le marché fermait le jour de Noël, sans jouer les prolongations pour tour-opérateurs jusqu’au 31 décembre.

Depuis des années maintenant, ce marché fait l’objet d’une Disneylandisation effrénée dans une opération de communication commune de la ville et des commerces intéressés par l’odeur du Gelt.

On y trouve n’importe quoi désormais, loin des connotations propres au Noël chrétien. Il y a certes encore de nombreux produits traditionnels d’Alsace ou d’ailleurs, vendus par de vrais artisans qui fabriquent toute l’année ce qu’ils vendent en un mois à peine. Mais on y trouve aussi toutes les horreurs industrielles Made in China ou ailleurs, sans parler des nourritures proposées au touriste affamé et frigorifié, quoique les hivers, réchauffement climatique oblige, n’en déplaise à Allègre, n’aient plus grand-chose à voir avec ceux d’antan, où la température tombait souvent bien en dessous de zéro pendant des périodes prolongées.

C’est ici qu’il faut revenir à l’injonction de la municipalité qui a décidé de faire le ménage dans le capharnaüm. Et c’est ainsi que notre adjoint aux foires et marchés, le dénommé Eric Elkouby, célèbres pour ses frasques incendiaires, a été chargé de nettoyer les écuries d’Augias, enfin de commencer cette année. Donc, exeunt les churros! Note: exeunt est le pluriel d’exit qu’on trouve fréquemment et fautivement à cet endroit.

Les churros, pourquoi les churros, direz vous. S’eesh net elssäsich! (Ce n’est pas alsacien!). Certes, mais la pâte de noisettes des crêpes? Et les bonnets clignotants? Et les Flammekueche sur baguette, une invention récente et juteuse (pour la caisse des commerçants, parce que la baguette…), c’est alsacien, mais ça ne faisait pas partie du Christkindelsmärik d’antan. Alors? On comprend l’embarras de Roland Ries qui est aussi en partie le nôtre.

Laissons de côté la question de la liberté du commerce. Les Vitrines de Strasbourg et M. Bardet s’en occuperont. Si on applique totalement la règle du tout authentiquement –eigentlich-alsacien, va falloir un très grand balai et plusieurs camions-poubelles. Mais du coup, on ferait dans la “préférence alsacienne“, qui ressemble trop, à un autre niveau, à la “préférence française” ou “européenne” chère à l’extrême-droite xénophobe et nationale-(ou européo-chauvine. Et Alsace d’Abord (rien ensuite) avec Jacques Cordonnier, successeur de l’identitaire Robert Spieler de se frotter les mains: les socialistes et les Verts, pardon, Europe-Ecologie-Les-Verts relaient la propagande préférencialiste! C’est comme la Coop,qui malgré sa pub pour des produits locaux alsaciens se vend à Leclerc (l’autre, pas le maréchal).

On n’a pas de bonne solution, à vrai dire, car il semble qu’avec cette affaire on soit automatiquement dans le double-bind (la double contrainte). On aime aussi que les traditions, vraies au fausses, réinventées, soient respectées et que l’Alsace ne ressemble pas au reste du monde comme les zones commerciales ou les entrées de ville se ressemblent toutes, mais en même temps, la “préférence” exclusive qu’elle soit alsacienne, française ou européenne nous fait gerber.

DÉSOBÉISSEZ, MAIS LISEZ!

A propos de double bind, vu cette affichette hier à la Librairie Kléber, en dessous d’un rayon spécialement aménagé pour proposer des livres “désobéissants”.

Si j’obéis à l’injonction de lire, je ne lirai pas.

Si je lis, c’est que je désobéis à l’injonction.

La solution du dilemme, c’est que le “désobéissez” fait signe vers le contenu des livres proposés à cet endroit, et non vers le fait de lire ou pas. Ouf!