Communique de presse ODSE
http://www.odse.eu.org/Etrangers-malades-ne-laissons-pas
Un peu partout en France, des préfets mettent à mal le droit au séjour des étrangers gravement malades et ne respectent plus les avis médicaux préconisant la poursuite des soins en France. Régulièrement interpellés sur ce point, le ministère de l’Intérieur soutient ses préfets défaillants alors que le ministère de la Santé se déclare incompétent.
Des préfets refusent d’accorder un titre de séjour ou son renouvellement à des personnes gravement malades. Pourtant, le médecin de l’Agence Régionale de Santé (ARS), seul compétent pour apprécier la possibilité d’avoir effectivement accès au traitement approprié dans le pays d’origine, considère, lui, que ces personnes doivent rester en France pour accéder aux soins, qu’elles ne pourront pas se faire soigner dans leur pays d’origine.
Ainsi, les préfectures de l’Allier, de Charente-Maritime, de Dordogne, de Haute-Garonne, de Côte d’Or, de Loire-Atlantique, de la Marne, de la Mayenne, du Puy de Dôme, de la Sarthe… écartent l’avis du médecin déclaré compétent par la loi et mènent des contre-enquêtes médicales fondées sur la base d’éléments médicaux vagues et inappropriés. Au delà de l’irrégularité de telles procédures, on peut d’abord se demander comment le préfet peut apprécier l’accès à un traitement approprié dans un pays donné sans violer le secret médical ?
La préfecture du Rhône dresse quant à elle de façon totalement arbitraire une liste de pays pour lesquels elle considère que toute maladie peut être soignée : c’est le cas de l’Albanie, l’Algérie, la Bosnie, la Géorgie, la Guinée Conakry, le Kosovo, la Macédoine… Là aussi, de telles procédures ne sont plus motivées par la protection sanitaire des personnes mais par la seule politique du chiffre, puisqu’elles permettent un traitement indifférencié des dossiers quelle que soit la pathologie.
Ces pratiques ineptes conduisent en rétention et menacent d’expulsion des personnes gravement malades pour lesquelles les médecins considèrent pourtant qu’elles ne pourront pas être soignées dans leur pays d’origine. Actuellement, c’est le cas d’une personne géorgienne au centre de rétention de Toulouse. Le Ministère de l’Intérieur a été saisi et, au mépris des avis médicaux, il soutient le préfet qui joue au docteur.
L’ODSE a déjà interpellé les ministères de la Santé et de l’Intérieur à de multiples reprises. Alors que la situation ne fait qu’empirer, le ministère de la Santé, à l’instar du ministère de l’Intérieur, refuse d’admettre que le préfet est lié par l’avis du médecin ARS.
Les pratiques dénoncées, cautionnées par le gouvernement, sont parfaitement contraires à la philosophie du législateur et sont d’ailleurs sanctionnées par les juges lorsque les personnes ont la possibilité de les saisir. S’il appartient au préfet de prendre la décision de délivrance du titre de séjour pour raison médicale, il appartient au médecin de l’ARS de rendre un avis médical sur la gravité de la maladie et l’accès au traitement approprié dans le pays d’origine. En violation du secret médical, ces pratiques constituent une ingérence inacceptable des préfectures dans le respect des compétences de chacun des acteurs de la procédure. Le préfet n’est pas médecin !
Alors qu’une circulaire interministérielle (Santé Intérieur) est annoncée [1], et dans l’attente d’une réforme législative qui rétablirait le droit au séjour pour soins dans sa version antérieure à la loi du 16 juin 2011, l’ODSE réaffirme la nécessité de rappeler aux acteurs de la procédure : que le secret médical doit être strictement respecté par les services du ministère de l’Intérieur tout au long de l’instruction de la demande de titre de séjour ; que l’évaluation médicale pour le droit au séjour et la protection contre l’expulsion des étrangers malades relève de la compétence stricte du médecin ARS sous le pilotage exclusif du ministère de la Santé.
ACCUEILLIR DES ETRANGERS MALADES, L’EXPERIENCE DU DEPARTEMENT DU BAS-RHIN
J’avais proposé aux Rencontres Prescrire de Bruxelles, en 2009, un poster qui s’intitulait “Supprimer Médecins du Monde naturellement” (1).
Ce projet, que j’ai aussi présenté aux deux dernières élections ordinales départementales, reste d’une certaine manière une utopie et une provocation fondées sur le constat et la conviction que nous ne sommes pas formés à la faculté à favoriser l’accueil inconditionnel des patients et notamment des étrangers malades.
Dans nos pratiques, et cela concerne avant tout les spécialistes, nous hiérarchisons la valeur de la vie humaine et finissons par n’accueillir que les patients qui sont au “sommet” de cette hiérarchie. Les autres : SDF, toxicomanes, étrangers en situation irrégulière, pauvres, marginaux sont renvoyés “naturellement” à Médecins du Monde ou aux urgences hospitalières. Cette attitude, souvent indépassable, constitue même “la bonne pratique” pour beaucoup d’entre nous.
Dans le département, une surreprésentation des étrangers malades
À Strasbourg, quelques médecins ont développé des pratiques destinées à favoriser l’accueil des étrangers malades. Et nous avons pris la mesure du fait que cela constitue une sorte de paradigme de notre capacité d’accueil ou de nos postures de rejet.
Ces pratiques, que nous avons développées ont suscité, non pas une adhésion de la part des pouvoirs publics, comme on aurait pu s’y attendre, mais au contraire et paradoxalement une suspicion (1).
Le contrôle des modalités de délivrance des titres de séjour aux étrangers malades dans le département du Bas-Rhin a été réalisé à la demande des ministères chargés de l’Intérieur et de la Santé en 2008. La saisine ministérielle faisant suite à une requête du Préfet du Bas-Rhin, préoccupé par l’accroissement important du nombre d’étrangers malades dans le département.
En effet l’analyse des statistiques disponibles confirmait à l’époque l’existence dans le département du Bas-Rhin d’un nombre d’étrangers malades beaucoup plus élevé que celui auquel on pouvait s’attendre au regard du nombre d’étrangers titulaires d’un titre ou document de séjour en cours de validité. Sur la période triennale 2005/2007, la proportion d’étrangers admis pour cause médicale, parmi l’ensemble des étrangers titulaires d’un titre ou document de séjour, était de 1,88 % dans le Bas-Rhin, alors que la moyenne nationale était de 0,81 % et que la médiane se situait à 0,34 %.
Il apparaît que la surreprésentation des étrangers malades dans le département était entièrement imputable aux pathologies mentales qui représentaient près de 65 % des dossiers examinés par les médecins inspecteurs de santé publique (Misp aujourd’hui Mars (médecins des agences régionales de santé)) du Bas-Rhin en 2006, contre 15,8 % en moyenne nationale. Par ailleurs la mission d’enquête estimait que le syndrome de “stress post traumatique” représentait une part élevée des pathologies psychiatriques recensées chez les étrangers malades du Bas-Rhin.
Un constat lié à une pratique locale
Le rapport a relevé d’authentiques raisons susceptibles de contribuer à la fréquence de ces pathologies (1 ; 2) :
– outre l’attraction exercée par la présence à Strasbourg du Conseil de l’Europe, du Parlement européen et de la Cour européenne des Droits de l’Homme, il existe une sensibilité et une mobilisation particulière de la population alsacienne et de ses élites pour la protection des minorités et des personnes victimes de persécution ;
– la proportion d’avis favorables parmi les décisions des Misp était de 80 % dans le Bas-Rhin contre 67 % en moyenne nationale ;
– il faut aussi mentionner les bons taux d’équipements d’hébergement et d’accueil en faveur des sans-abri, qui témoignent de cette attention, mais qui jouent aussi inévitablement un rôle attractif par rapport aux autres départements moins bien équipés ;
– plus significativement encore, il y a une prise en charge par les psychiatres strasbourgeois, à l’hôpital public comme en secteur libéral de ville, particulièrement adaptée aux étrangers, avec certainement peu d’équivalents dans les autres régions françaises : consultations en présence d’interprètes professionnels, y compris pour des langues d’usage restreint au niveau international ; existence d’une consultation interculturelle au centre hospitalier universitaire (CHU).
À noter pour illustrer ce constat qu’en pratique et en clinique courante, j’ai pu constater que les plaintes des traumatisés d’aujourd’hui étaient analogues à celles des rescapés des camps
Par ailleurs, le rapport indique que près d’un tiers de ces patients étaient d’origine algérienne ! En effet, entre 1992 et 2002, compte-tenu des terribles conséquences de la guerre civile, il suffisait, à Strasbourg (et partout ailleurs), d’être algérien et d’avoir entre 20 et 30 ans pour qu’on soit sûr de vous faire porter le diagnostic de “stress posttraumatique”, 95 % de (mal) chance.
Des pratiques louables mais restreintes
Le rapport signale que ces pratiques d’excellence reposent sur un nombre très restreint de psychiatres ou de médecins généralistes, dont certains sont notoirement engagés dans la défense des sans-papiers ou sympathisants de ces courants d’opinions. Ce rapport n’a pas modifié dans les faits les pratiques, mais a dissuadé une partie des médecins engagés dans ce travail de poursuivre cette tâche compte tenu des obstacles administratifs incessants s’opposant à une pratique strictement médicale. Ainsi, plutôt que de faire bénéficier la collectivité de l’expérience du modèle que les médecins du Bas-Rhin ont créé, reconnue dans le rapport, en les aidant à conceptualiser le travail réalisé sur place pour favoriser l’accueil de tous les marginaux, aussi bien en pratique de ville qu’en pratique hospitalière, il a été choisi de les stigmatiser !
Nous avons été confrontés là à une sorte de position de principe de l’administration qui voudrait que tout engagement politique de la part d’un médecin ne peut être que suspect. Notamment si ce médecin s’engage pour les pauvres ou les étrangers en situation irrégulière. Partant du principe éculé que l’exercice de la médecine relève d’une “neutralité” indispensable, on oublie de préciser que la neutralité dans le domaine de la médecine, constitue une forme de “surpolitisation”, d’ “hyperpolitisation” qui vont toujours dans le sens de préserver les rapports de force politique et sociale en place. L’exercice de la médecine “en neutralité” est un alibi de la normalité des pouvoirs.
En somme l’expérience que nous avons vécue nous a fait prendre plus conscience encore que dans le domaine des précarités, notamment si on est spécialiste et en libéral, une modeste position d’éclaireur peut être interprétée par les pouvoirs publics comme une sorte de trahison des principes édictés collectivement et destinés à maintenir la paix sociale et non pas à soigner (a).
Georges Yoram Federmann
Psychiatre (67)
a- Les commémorations du 50 ème anniversaire de la mort de Frantz Fanon [écrivain, psychiatre, français naturalisé algérien] sont là pour nous rappeler « que la psychiatrie doit être politique ».
1- Consultable sur le site http://www.prescrire.org/Docu/PosterBruxelles/FedermannG.pdf
2- En 2008 il a été demandé à l’Inspection générale des affaires sociales (Igas) et à l’Inspection générale de l’administration (Iga) de procéder à un contrôle des modalités de délivrance des titres de séjour aux étrangers malades dans le département du Bas-Rhin. Rapport établi en janvier 2009 par Michel Vernerey, inspecteur général des affaires sociales (rapport N° RM2008-085P) et Tristan Florenne, inspecteur général de l’administration (rapport N° 08-047-01).