« Ils », ce sont les résidents et résidentes étrangers issus de pays extérieurs à l’Union européenne, présents depuis de nombreuses années en France. Ces femmes et ces hommes, nous les connaissons, nous les côtoyons tous les jours.
« Ils », sont des nounous, des médecins « étrangers » qui font fonctionner l’hôpital public avec leurs collègues français et européens, des ouvriers, des cuisiniers, des informaticiens, des commerçants, des artisans, des chercheurs, des artistes en provenance de tous les pays et les continents du monde, qui ont choisi la France comme patrie de destin.
« Ils », sont ceux avec qui nous travaillons, voyageons quotidiennement dans les transports en commun, attendons ensemble nos enfants à la sortie des écoles, accompagnons et suivons leurs activités sportives, votons dans les élections professionnelles et syndicales.
« Ils », ne pourront pas voter en 2014 car le président François Hollande n’a pas eu le courage d’engager la réforme constitutionnelle nécessaire à l’élargissement du droit de vote, prévue dans sa 50e promesse de candidat.
« Ils », seront écartés de ce temps démocratique que sont les élections municipales alors qu’« Ils » participent pleinement à la vie économique, sociale, culturelle, associative et sportive de nos cités, comme tous les citoyens français et européens. En mars prochain, dans certaines villes, des milliers d’acteurs de la vie locale ne pourront pas voter au seul motif qu’« Ils » sont nés quelque part, mais pas ici. Cela est injuste et dangereux pour la démocratie.
Les quatre derniers présidents de la République se sont prononcés, durablement ou non, en faveur du droit de vote des étrangers aux élections locales. Certains l’ont intégré dans leurs promesses électorales mais abandonné aussitôt au motif que « le peuple » n’y serait pas prêt, ou encore que le contexte social ou économique ne serait pas favorable. Pourtant, les sondages effectués chaque année, depuis 1994 par La Lettre de la citoyenneté, indiquent qu’une majorité des personnes consultées y sont favorables depuis plus de dix ans.
En dehors de quelques voix courageuses, les élus du centre et de l’UMP se contentent, au mieux, de considérer que ce n’est pas le moment, mais, le plus souvent, surfent sur les vagues xénophobes prédisant le risque d’un vote communautaire. Ce risque est infirmé par l’observation des pratiques en cours chez nos voisins européens, qui ont en majorité ouvert le droit de vote aux élections locales à leurs résidents étrangers.
Ici, plutôt que de débattre et réfléchir à l’avenir de notre démocratie, des élus affirment le lien « indéfectible » posé par la Constitution entre la nationalité et la citoyenneté, infirmé par l’octroi du droit de vote et d’éligibilité aux élections locales et européennes aux résidents étrangers de l’Union européenne, à la suite du traité de Maastricht de 1992. Pourtant la Constitution a été plusieurs fois modifiée sur ce point, puisque pendant longtemps le droit de vote n’était ouvert qu’aux hommes de plus de 21 ans. Faudrait-il, au nom de principes prétendument immuables, revenir sur le droit de vote des femmes obtenu en 1944, 150 ans après la Révolution, quand la France fut un des derniers pays de l’Europe à le faire, revenir sur le droit de vote à partir de 18 ans obtenu en 1974 ?
Notre pays est-il condamné par l’immobilisme de ses élus à rester dans le peloton de queue des pays démocratiques, en regard du progrès que constitue l’ouverture du droit de vote à l’ensemble de ses résidents ?
Pour éviter les clivages partisans habituels, le débat sur ce sujet devra gagner en hauteur et en sérénité. Aujourd’hui, il est urgent que le président de la République engage un chantier sur les enjeux démocratiques et politiques liés au droit de vote, en invitant des personnalités politiques, associatives et culturelles à le conduire. Ce processus permettra l’étude des pratiques dans les autres pays, la nécessité de revoir le modèle d’intégration, l’analyse de l’intérêt à ouvrir le droit de vote à tous les résidents pour conforter le lien économique, social, culturel entre tous les habitants de nos communes. Fort de ce travail, nos Assemblées et les élus seront prêts à examiner à nouveau un projet de loi constitutionnelle ouvrant le droit de vote et d’éligibilité à tous les résidents étrangers aux élections municipales. Il faut rappeler que ce projet devra ensuite être adopté par le Congrès, à la majorité qualifiée des 3/5e des suffrages exprimés.
Pour cela, il faudra dépasser le clivage politique actuel avec la conviction que l’égalité des droits et la citoyenneté pour tous les résidents, qui participent à chaque instant à la vie économique et culturelle de nos communes, est un atout pour la démocratie, et qu’il sera un outil pour faire reculer la xénophobie et le racisme qui menace notre pays.
A ces conditions, nous pouvons espérer qu’aux prochaines élections municipales de 2020, tous les résidents qui vivent la citoyenneté dans nos cités pourront y participer sans discrimination, et qu’« Ils » pourront enfin voter.
Mohamed Ben Saïd, Fédération des Tunisiens pour une citoyenneté des deux rives (FTCR)
Habiba Bigdade, Ligue des droits de l’Homme (LDH)
Michel Butez, Mouvement contre le racisme et pour l’amitié entre les peuples (Mrap)
Souad Chaoui, Association des Marocains en France (AMF)
Bernard Delemotte, Lettre de la citoyenneté
Alain Esmery, Ligue des droits de l’Homme (LDH)
Pierre Gineste, Association pour une citoyenneté européenne de résidence (Acer)
Vincent Rebérioux, Ligue des droits de l’Homme (LDH)
François Sauterey, Fédération syndicale unitaire (FSU)
Aucun commentaire jusqu'à présent.