Après une semaine de blocage et à 24 h des négociations nationales au Ministère des transports, nous sommes allés rencontrer les 40 grévistes de MoryGlobal, ancien n°2 du transport en France, en liquidation judiciaire à la fin du mois.
De l’extérieur, rien n’indique que depuis le 18 mars un tiers des salariés (40 sur 119) est en grève et occupe 24H/24 les quais du pôle logistique de MoryGlobal, rue de Dieppe au Port du Rhin (Strasbourg). Aucune banderole ni drapeau syndical; dans la cour, seuls un barbecue et une tente, abritant des tables pliantes et un réchaud à gaz, confirment une occupation inhabituelle du site. Nous conduisant à l’intérieur du bâtiment dans une salle de réunion, un salarié nous explique que la Direction ne les a autorisés à entrer à l’abri que le 23 mars au matin (lundi) et que l’occupation du site s’est faite dehors, du 18 au 23 mars, sous la tente, jour et nuit.
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Le délégué CGT fait le point sur la situation au 8e jour de grève:
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Dans la salle de réunion vitrée, surplombant l’entrée de l’entreprise, 6 salariés grévistes veillent à ce qu’aucune marchandise ne sorte du site : « c’est notre trésor de guerre », plaisante l’un d’eux.
De l’autre côté du couloir, le responsable de la logistique, non-gréviste, qui, tout en précisant qu’il y a une bonne entente avec les salariés en grève, se lamente des effets néfastes de l’action en cours. Refusant manifestement de réaliser la situation, comme s’il ne faisait pas partie lui-même du plan social, il continue de craindre pour l’image de l’entreprise : « La logistique, c’est avant tout la relation directe aux clients. Ils nous sous-traitent pour qu’on fasse le boulot à leur place. Là, ils sont pris en otage. Beaucoup sont déjà partis voir ailleurs.» Consterné, il ajoute : « Ils (les grévistes) ne se rendent pas compte qu’à cause de nous d’autres boîtes risquent de fermer! Pour certains, les conséquences vont être terribles! »
Côté grévistes, en revanche, les choses sont claires : « La liquidation judiciaire va être prononcée le 31 mars », « il n’y a plus rien à espérer », « il n’y a plus qu’à revendiquer et obtenir à tout prix les indemnités de départ auxquelles nous avons droit et que la Direction nous refuse au prétexte que “les caisses sont vides”.» Précisons, tout de même que les bâtiments et actifs de MoryGlobal sont estimés à 60 millions d’euros qui, divisés par 2200 salariés sur le carreau, seraient une indemnité de licenciement tout à fait acceptable… A défaut d’une juste et égalitaire répartition de la vente des actifs, et s’appuyant sur le montant des indemnités perçues par les licenciés de l’an passé, à savoir 2000 € auxquels se sont ajoutés 600€ par année d’ancienneté, les grévistes n’exigent pas moins que leurs anciens collègues.
Peu à peu, à force de discussion, le bilan se fait plus clair :« On est les victimes, on y a cru, on leur a fait confiance, on a fait des gros efforts et même des sacrifices, mais là, on n’y croit plus, on s’est fait avoir. »
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Les grévistes font le bilan :
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Faisant le pari que ce deuxième plan de licenciement « était prévu dès le début » car « un licenciement en 2 fois, c’est moins visible, ça se fait plus “proprement”», les salariés présents décrivent une entreprise « malade », une Direction absente et méprisante, citant en exemples le Directeur du site qui ne s’est « pas une seule fois » présenté à eux, le fait que les personnels roulants n’étaient jamais appelés par leur nom mais par leur numéro de tournée, ou encore, dernier exemple en date, la Direction qui, si elle a consenti à mettre une salle à disposition des salariés au 6e jour de grève, leur interdit toujours l’accès aux toilettes…
« De toute façon, maintenant, on n’a plus rien à perdre, on ira jusqu’au bout »
Exaspérés et sans illusion, les grévistes ont lancé, il y a deux jours, qu’ils étaient prêts à brûler la marchandise en stock s’ils n’obtenaient pas gain de cause. Depuis ce « mot malheureux » d’un responsable syndical emporté, les journalistes en mal de sujets à sensation se bousculent quotidiennement dans la cour de l’entreprise, filmant en gros plan le moindre jerrican -fusse-t-il rempli d’eau- posé près des bâtiments, pour faire trembler dans les chaumières alsaciennes à l’heure du dîner. Autre visiteurs, « les RG qui téléphonent et viennent tous les jours poser des questions » et cuisiner le responsable syndical (Nous avons pu le vérifier sur place le temps de l’interview). « On s’attend même à voir un jour les CRS nous dégager » nous confient les grévistes. C’est vrai qu’on a rarement vu les CRS dégager les patrons…
MoryGlobal qui licencie des milliers de salariés à quelques mois d’intervalle (plus de 3000 l’an dernier, 2200 aujourd’hui) est le seul responsable de sa piètre image et de son manque d’engagement auprès de ses clients. Il porte aussi la responsabilité de catastrophes sociales et économiques en cascade.
Que les salariés grévistes fassent valoir leurs droits à des indemnités de départ décentes est la moindre des choses. Les négociations nationales de demain (26 mars) à Paris au Ministère des transports en présence des ministres concernés et, espérons-le, des actionnaires lourdement responsables de la situation, devraient apporter des réponses et décider de la suite des événements sur les sites bloqués et occupés.
Durga
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