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Émotions afro-sionistes dans la Grand-Rue

Agente d’artistes réputée, Delphine Courtay s’essaie avec un certain bonheur à l’art de la galerie de peinture, dans la galerie Delphine Courtay tout simplement. Dans la cour intacte derrière la librairie Quai des Brumes, elle expose en ce moment Laurent Impeduglia. Cet artiste reconnu a été lauréat du salon St’art 2016. Sa peinture croise dans une certaine profusion l’absurde amer d’un Delvaux avec l’urbanité mordante d’un Basquiat. Rompu à la douleur d’un pays divisé, ce Belge se moque de notre industrialisation planétaire tout en rêvant de réconciliation. Le clocher de ses églises arbore dans la paix et la croix et le croissant et l’étoile.

Il se trouve qu’Impeduglia a voyagé dans l’Ukraine ravagée et a relevé sur un mur un triple graffiti qu’il a tenu à reproduire dans une de ses toiles. Dans un vrac adolescent, quelqu’un avait bombé FREE PALESTINE – FREE UKRAINE – FREE WIFI. Rien que de très courant, avec un second degré intéressant sur l’état de notre planète, peut-être voulu par le graffeur de là-bas sinon par notre lecture distancée. Dans la cour, on vernissait au soleil et au bourgueil, le samedi 7 septembre après-midi, lorsqu’une thuriféraire de l’art moderne est venue en amie voir ça. Cette K. L. ressortait aussitôt en virago sioniste profondément choquée par l’insulte faite à Israël. Et revenait encadrée de trois (presque) gros bras qu’elle avait bien chauffés. Il s’agissait de retirer la toile, de faire cesser ces insultes déjà antisémites, etc. Bref, de la plus pitoyable censure parée des oripeaux d’on ne sait quelle vertu.

Quant au folklore extra-local, rappelons en juste les chiffres froids : en 2018, 295 Palestiniens ont été tués d’un côté et 16 Israéliens de l’autre, soit un ratio de 1 pour 18,44. Il y a des hommes, des femmes et des enfants plus égaux que d’autres… On a parfois du mal à employer le nouveau mot qui fait de l’homme (en général) un « humain » (Premier chiffre du Bureau des Nations unies pour les affaires humanitaires, OCHA; second chiffre extrait de Le monde juif.info
).

Un rien philosophe, notre Belge (rital, en plus) a pris un pinceau et noirci la mention odieuse, comme il doit en figurer dans mille peintures et photographies des galeries et musées du monde entier. Mais il s’agit d’Alsace ! En plus des cris d’orfraie identitaires, on a assisté au spectacle des privautés édilaires de la province, les lois (car il y a de quoi procédurer) étant faites par Paris et pour l’intérieur… Comment peut-on se prétendre férue d’art moderne, forcément provocant et libre, lorsqu’on se livre à un tel caprice ? Il y a eu pendant une demi-heure à Strasbourg, la ville libre des Réformateurs et des Spartakistes, un commando de censure urbaine sioniste proche de la Daeshéance. Oyez, oyez, galeristes et curateurs d’exposition de la bonne ville de Strasbourg, tremblez !

Il se pourrait en plus qu’il y ait là-dedans une forte dose de bêtise, même bien maquillée. Pareille inculture s’est étalée la rue à côté, le samedi d’avant. Dans la vente de livres de la cour Calvin (temple réformé de la rue du Bouclier), trois exaltées s’excitaient autour d’une caissette d’ouvrages rares. Ces trois Noires hurlaient à l’insulte, au repaire infâme du mépris de l’Afrique… Elles prenaient des photos rageuses avec leur téléphone, on les reverrait avec du monde, on verrait ce qu’on verrait. La caisse était étiquetée « Négritude » et contenait les bagatelles de dangereux racistes comme Léopold Senghor, Aimé Césaire et Édouard Glissant… Les jeunes femmes ne sont pas revenues, on a dû les instruire. Peut-être leur expliquer aussi que le Code noir date de la même année que la Révocation de l’Édit de Nantes, blacks et huguenots dans les mêmes galères. Elle ne sont pas revenues. Depuis Lucy, on sait que la sagesse africaine est plus ancienne que la juive…

Quant à Laurent Impeduglia, il a laissé passer cette tempête dans un verre d’eau de Jourdain (il s’agit du monsieur inculte qui joue au bourgeois gentilhomme, bien sûr). En épiloguant avec un vrai sourire belge sur son autocensure face à l’auto da fé mondain : « C’est de la peinture à l’eau, ça partira au chiffon ».

Ice Berg

Laurent Impeduglia, Galerie Delphine Courtay, 120 Grand-rue jusqu’au 6 octobre.