Paris 10 Novembre 2019

On était des milliers de femmes et d’hommes, de familles avec des enfants de tout âge pour défiler contre l’islamophobie insupportable en France, le jour même où Le Monde publiait deux pages d’interview de Renaud Camus, un des intellectuels dévoyé responsable de la prétendue théorie du grand remplacement.

Il y avait des musulmans et des musulmanes, premières concernées car stigmatisées du fait de leur hidjab, foulard ou voile comme on veut l’appeler. Entres autres les Mamans Toutes Egales que le pouvoir veut priver d’accompagnement scolaire.

Il y avait un éventail de partis et d’associations, dont des musulmans, défendant la laïcité au sens vrai du terme c’est à dire séparation des Eglises et de l’est, et libertés d’exercer ou pas sa religion dans le respect de l’ordre public.

NPA, Lutte Ouvrière, La France insoumise avec Mélenchon et Panot en tête de leur cortège et aussi Clémentine Autain, Esther Benbassa, etc.

Il y avait des syndicalistes, des associations pour les libertés démocratiques, et parmi elles, un cortège très applaudi de l’Union Juive Française pour la Paix qui avait adapté l’hymne des Gilets Jaunes avec les paroles suivants:

“On est là, on est là
Même si le CRIF ne veut pas,
Contre l’islamophobie
Cont’ l’antisémitisme.”

Et aussi comme le rabbin antisioniste Hagaï, rapprochant le traitement fait aux musulmans à celui fait aux juifs dans les années trente.

“Hier, les juifs, aujourd’hui les musulmans”.

Le très long cortège a mis plus de deux heures pour faire Gare du Nord-Nation.

Avertissement au gouvernement et aux racistes de tous bords qui s’aviseraient à poursuivre leur campagne de haine. Musulmans et non-musulmans, citoyens croyants ou incroyants, tous ensemble nous restons mobilisés pour riposter en force à toutes les agressions verbales et physiques.

Comme le faisait remarquer un camarade octogénaire de l’UJFP, c’est la première fois depuis octobre 1961, qu’autant de musulmans ont défilé sur le pavé parisien. Et cette fois aucune force de police visible, aucun blessé, aucun mort, alors qu’à l’époque cette manifestation pacifique des Algériens avait été suivie d’une répression meurtrière où on a dénombré au moins deux cent morts, souvent jetés à la Seine.

Intervention de Michèle Sibony, au nom de l’UJFP, à la manifestation du 10 novembre contre l’islamophobie.

La République française a connu bien des saisons, celle du racisme, est un hiver gris et sinistre.
Catherine Grupper la militante antiraciste qui ne se trompa jamais de combat, et entre autre membre de l’UJFP, vient de mourir. L’un de ses camarades de lutte a rapporté ses paroles à des enseignants qui voulaient renvoyer de l’école de jeunes élèves portant le foulard : elle leur a dit : « moi depuis que je milite je sais que ce qui compte c’est d’être du côté des opprimés ; alors je ne comprends rien à ce qui se passe sous votre crâne, vous ne pouvez pas demander l’exclusion de ces gamines. »

Depuis des années maintenant des enfants vont tous les jours à l’école de la République et y subissent méfiance et mépris de ce qu’ils sont, contrôles et discours humiliants sur leur religion, leurs familles, les causes justes qu’ils défendent.. Souvenons nous que c’est en 2014 qu’est publié le premier document de prévention de la radicalisation en milieu scolaire par l’académie de Poitiers, qui le retire ensuite, mais il est suivi de bien d’autres jusqu’à celui tout récent sur le signalement de la radicalisation de l’université de Cergy.

Cette « vigilance » initiée par l’État est, on l’a beaucoup dit, un appel à la délation des voisins, des collègues, des enfants..

Ces enfants écoutent à la télévision des discours humiliants pour leurs familles, leur père et leur mère, leur grand frère, leur grande sœur ..

Leurs pères leurs frères, sont surveillés sur leurs lieux de travail, dans la ville, soumis aux contrôles au faciès.

Leurs mères sortent le matin la peur au ventre pour les accompagner à l’école, aller au travail ou chercher du travail, aller à la poste, la banque ou l’hôpital, sans jamais savoir d’où va venir l’agression verbale ou parfois physique.. C’est cela mesdames et messieurs l’insécurité quotidienne et pour des millions d’hommes de femmes et d’enfants. Et c’est cela l’apprentissage que subissent ces enfants de la République, c’est ainsi que l’on forme aujourd’hui des citoyens dans ce pays. Et c’est une honte ! Et ce que les autres enfants apprennent sur les bancs de cette nouvelle école laïque c’est que que eux-mêmes n’étant pas musulmans sont protégés, qu’ils sont eux à l’abri des suspicions et ils intègrent discrimination et ségrégation comme des choses normales. Bravo !

Nous sommes une association juive, la seule association juive représentée ici, et c’est lamentable. Même si nous savons que de très nombreux Juifs sont présents, militants associatifs syndicaux dans les partis anonymes, et qu’ils sont aussi là parce qu’ils se souviennent aussi de leur histoire familiale.

Nous aussi à l’UJFP nous avons de la mémoire, et nous nous en servons. Cette mémoire nous donne des devoirs : d’abord et avant tout être toujours du côté de l’opprimé et de la victime du racisme. L’écouter lui d’abord et lui avant tous les autres, respecter sa parole et lutter avec lui à ses côtés.

Les Juifs d’Europe des années trente ont connu cette atmosphère antisémite ; la littérature de l’époque en porte abondamment les traces. Une société imprégnée par le racisme qui laisse advenir le pire.

Pour cette raison mais aussi parce que nous sommes des êtres humains, pas seulement des Juifs, nous sommes inscrits dans la lutte contre le racisme, sous toutes ses formes. L’islamophobie ce racisme qui vient d’en haut, des plus hauts niveaux de l’État et que les médias complaisants diffusent dans tout l’espace social saturé de cette haine. La négrophobie qui tue en silence, « bavure » après « bavure » policière avec tous les guillemets voulus, de jeunes noirs, sans jamais faire la une des journaux, ni mériter de discours politiques, ni voir sanctionné les crimes par la justice. Rromophobie et les pogroms organisés sous les yeux complaisants de policiers qui n’interviennent pas, le racisme qui vise les asiatiques, encore plus invisible et silencieux, l’antisémitisme qui tue encore de façon crapuleuse et sordide. Mais qui lui réunit sans frilosité aucune toute la classe politique de l’extrême droite à l‘extrême gauche..

Alors de ces nombreuses associations, de tous ces groupes racisés, conscients des instrumentalisations gouvernementales sont nées des coalitions pour lutter ensemble contre le racisme contre toutes ses formes. Ce racisme qui sert si bien les intérêts de l’état ultra-libéral : jouer la diversion pendant qu’il paupérise la population en détruisant tous les acquis de ses luttes sociales, travail, droit au chômage, santé, école, retraite, imposition .. ; et jouer la division au sein de cette population pour son profit et son bénéfice : se poser en rétablisseur d’ordre. Comme au bon vieux temps des colonies.

Nous Juifs qui avons de la mémoire, la mettons au service de toutes les victimes du racisme et nous luttons avec elles toutes pour leurs droits qui sont aussi les nôtres ; leur sécurité qui est aussi la nôtre, leurs libertés qui sont aussi les nôtres. À la « concurrence » des victimes, ce concept malveillant et répugnant du capitalisme sauvage qui nous détruit systématiquement et qui ne fait pas partie de notre vocabulaire, nous opposons la solidarité et la fraternité que nous mettons en œuvre. Nous avons participé aux grandes marches de la dignité, car il s’agissait de la dignité de nous tous et toutes, comme on participe aux marches de la fierté. Nous nous organisons dans un espace antiraciste respirable, c’est à dire un véritable antiracisme dégagé de toute instrumentalisation. Car nous ne pouvons, nous Juifs, avec tous nos partenaires imaginer manifester contre le racisme avec le rassemblement national et avec ceux là même qui organisent et propagent le racisme dans tout le pays.

Nous avons participé à l’organisation de la grève et de la manifestation antiraciste Rosa Parks. Nous travaillons avec le CCIF, la BAN la Voix des Rroms, et d’autres encore à la constitution d’une plateforme antiraciste capable d’aider toutes les victimes du racisme : musulmanes, noires, rroms, juives, asiatiques…

Pour développer nos liens de solidarité et parce qu’ensemble on est plus forts.

A la vigilance/délation promue par Macron nous opposons notre vigilance et notre responsabilité des uns pour les autres.

Aujourd’hui il faut nous lever tous et toutes pour empêcher la banalisation du mal, pour empêcher la victoire de l’ordre du néo-libéralisme sauvage. Vaincre ce régime passe et passera par une mobilisation massive contre le racisme islamophobe, et contre le racisme sous toutes ses formes.

Nous serons présents dans la rue le 8 décembre avec le collectif des mères du Mantois pour dire : les humiliations de nos enfants ça suffit, la violence policière dans les banlieues seule marque de la présence de l’État, ça suffit. Le racisme ça suffit.

La fraternité n’est pas un vain mot, c’est à la base que nous le montrerons, tous ensemble.

Intervention sur le site UJFP: https://www.ujfp.org/spip.php