UN CRIME D’ÉTAT
L’arraisonnement de la flottille de la paix, lundi 31 mai est un crime d’État. Mais ce crime s’inscrit dans une longue suite de crimes.
Dès que le mouvement sioniste a décidé de construire l’État juif en Palestine, il choisissait la voie de la violence, violence de la conquête d’abord, violence d’État ensuite pour s’opposer à toute résistance de la part des habitants expulsés de leur pays. L’État d’Israël se trouve ainsi depuis avant sa naissance dans un état de guerre permanente, lequel marque la politique israélienne.
Si le sionisme s’est voulu originellement une réaction à l’antisémitisme européen, il s’est transformé lorsqu’il a décidé de construire l’État juif sur la terre palestinienne aux dépens des habitants de ce pays ; loin d’être le mouvement de libération des Juifs victimes de l’antisémitisme européen, il est devenu un mouvement de conquête au service d’un idéologie nationaliste. Jabotinsky, le père de la droite israélienne, le savait et l’écrivait, l’État ne pouvait naître que de la guerre opposant ceux qui voulaient s’emparer de la terre considérée, à tort ou à raison, comme une part de leur héritage historique, et ceux qui vivaient sur cette terre et pour qui le fait de vivre sur cette terre marquait leur droit à y rester. Plus sournoise était la position de l’autre père fondateur, Ben Gourion, qui, ayant la même ambition de conquérir la terre, masquait cette ambition sous un discours socialisant. Ainsi les deux grands courants du sionisme, celui de la droite et celui de la gauche, se retrouvaient dans un nationalisme intransigeant. Pour les sionistes les habitants de la Palestine devenaient des étrangers dans leur propre pays, étrangers dont il fallait se débarrasser, ce qui a conduit à développer l’idée du transfert de ces habitants pour laisser la place à ceux qui proclamaient appartenir à ce pays1. Il est vrai que certains sionistes se rappelant les paroles de la Torah qui disent :
“accueille l’étranger car souviens-toi que tu as été étranger au pays d’Égypte”
jouent à renverser les rôles.
Loin d’être un simple mouvement colonial, le sionisme est d’abord un mouvement de conquête, mouvement de conquête de la Palestine pour en faire le territoire d’un État juif, “aussi juif que l’Angleterre est anglaise et que la France est française”, comme le dit l’adage, ce qui implique l’expulsion de sa population. La création de l’État juif concrétise cette volonté d’unification ethnique qui se caractérise par l’expulsion de la majorité de population palestinienne.
Dans ces conditions le nationalisme israélien ne pouvait être que militaire et l’armée devenait la principale institution du pays. Nombre de chefs de gouvernements furent des généraux et ceux qui ne l’étaient pas, à commencer par le fondateur de l’État Ben Gourion, savaient se comporter en chef de guerre.
Peut-on parler de paix dans ces conditions ? Pour l’État d’Israël la seule paix possible suppose l’acceptation par les Palestiniens de la perte de leur pays. Or les Palestiniens ne l’ont pas accepté, et lorsque, quarante ans après la création de l’État d’Israël, Yasser Arafat a proposé de reconnaître le principe de coexistence de deux États, l’israélien sur 78% du territoire, le palestinien sur les 22% restant, cette concession, qui reste jusqu’à aujourd’hui la seule ouverture de paix entre Israël et les Palestiniens, n’a reçu aucune réponse israélienne.
Depuis on voit se mettre en place une litanie de processus de paix, chacun de ces processus n’ayant d’autre objectif que celui de rester un processus, l’échec du processus devant apparaître comme étant de la responsabilité des seuls Palestiniens comme cela fut le cas à Camp David.
Pendant ce temps l’occupation et l’oppression continuent sous l’œil plus ou moins bienveillant des alliés occidentaux d’Israël, bienveillance d’autant plus importante qu’elle joue un double rôle. Sur le plan idéologique, cette bienveillance apparaît comme une façon de se dédouaner de l’antijudaïsme de la Chrétienté européenne et de l’antisémitisme qui s’est développé avec le développement de la sécularisation en Europe. Sur le plan politique, cette bienveillance s’inscrit dans le développement de l’impérialisme occidental, l’État d’Israël devenant le bastion de l’Occident aux portes de la barbarie pour reprendre les termes de Herzl. Il est vrai que de l’utopie de Herzl ne reste que le bastion.
Si certains ont pu croire que les Accords d’Oslo de 1993 ouvraient la voix vers la paix, ils n’ont pas compris que pour Israël l’objectif restait le contrôle du territoire palestinien. La question d’un État palestinien n’a jamais été posée2 et l’Autorité Palestinienne mise en place à la suite de ces Accords n’avait aucun pouvoir réel. D’autant que la colonisation, ce terme ambigu pour désigner l’annexion rampante du territoire3, a continué découpant la Cisjordanie en petits morceaux rendant impossible la création d’un État palestinien.
Quant aux fameuses négociations, elles se réduisaient à la répétition des exigences israéliennes et l’Autorité Palestinienne n’a jamais pu présenter à son actif le moindre acquis qui aurait pu convaincre de l’intérêt de ces négociations. C’est dans ces conditions que lors des élections de 2005 le HAMAS gagnait les élections au Parlement palestinien. Élections reconnues comme exemplaires par les observateurs, elles avaient cependant un défaut, le gagnant n’était pas le bon.
Les grandes manœuvres qui ont suivi ont conduit au clash entre le HAMAS et le FATAH et un partage territorial, GAZA entrant dans le giron du HAMAS alors que le FATAH restait maître (!) de la Cisjordanie. Entre temps Israël s’était retiré de Gaza ce qui allait lui permettre de détruire peu à peu l’infrastructure du territoire jusqu’à l’agression des l’hiver 2009/2009 qui fit 1400 victimes palestiniennes. Pour accompagner cette destruction continue de Gaza, Israël soumettait la population à un blocus qui la privait des produits nécessaires à la vie quotidienne et qui, après la guerre de l’hiver 2008/0229, interdisait l’entrée des matériaux nécessaires à la reconstruction.
C’est dans ce contexte que des ONG ont décidé de forcer le blocus en envoyant des navires apporter du matériel aux Gazaouis. A chaque fois la marine israélienne a menacé d’intercepter ces navires et si certains ont pu passer, d’autres n’ont pu le faire. La décision a été prise récemment d’envoyer une flottille transportant environ 700 militants et 10 000 tonnes de marchandises. Des navires de plusieurs pays participaient à cette flottille, le plus important d’entre eux étant un navire turc parti d’Istanbul. A ces militants devaient s’adjoindre des députés européens.
C’est cette flottille que la marine israélienne a agressée lundi 31 mai tuant dix personnes sur l’un des navires, peut-être plus, et faisant de nombreux blessés. L’agression a eu lieu dans les eaux internationales ce qui constitue un acte de piraterie, piraterie organisée par un État. Un tel acte doit être condamné sans appel et le gouvernement qui en est responsable doit être jugé par un tribunal international.
Il ne s’agit en rien d’une bavure ou d’une intervention qui aurait mal tournée, d’un acte disproportionné comme certains se sont complut à le dire, disproportionné par rapport à quoi.
Quels délits auraient commis les organisateurs de la flottille ? Leur objectif était de lutter contre un blocus qui est la décision arbitraire d’un État et qui n’a aucune légalité internationale. Le blocus est un acte de guerre et l’action menée contre la flottille est un crime.
Après l’émotion du premier moment qui a conduit à une condamnation presque unanime de l’intervention israélienne, les alliés d’Israël commence à tenir un discours différent. C’est ainsi qu’après une longue délibération le Conseil de Sécurité demande une enquête internationale impartiale sans condamner Israël laissant entendre que les responsabilités sont partagées. C’est ainsi que, reprenant les arguments israéliens, certains dénoncent dans la flottille une opération politique organisée par des islamistes turcs proches du HAMAS. Ainsi le “bon” humanitaire cacherait un “méchant” politique puisque, comme chacun sait, si l’humanitaire est acceptable, le politique, lorsqu’il va à l’encontre de la pensée dominante, ne peut être que condamnable. Il faut sur ce point être clair. Forcer le blocus de Gaza par Israël est un acte politique et c’est en tant qu’acte politique qu’il faut le revendiquer, politique parce qu’il s’inscrit dans la défense du droit des Palestiniens à se libérer de l’oppression qu’ils subissent.
Quelques jours plus tard, le samedi 5 juin, la marine israélienne interceptait le dernier navire de la flottille qui n’avait pu partir avec les autres, le Rachel Corrie4. Comme l’explique le gouvernement israélien suivi par certains médias, l’arraisonnement s’est déroulé sans violence, cela pour dire que les passagers et l’équipage n’ont pas résisté aux soldats israéliens arraisonnant le navire. Comme si l’arraisonnement n’était pas un acte de violence, comme si la seule violence ne pouvait être que la résistance de ceux qui sont agressés.
Une novlangue s’est construite autour d’Israël et des Palestiniens qui transforment les victimes d’une injustice en agresseurs lorsqu’elles résistent à l’injustice et qui oublie la violence des conquérants. Comme s’il fallait inventer une langue spéciale pour nier les réalités qu’on ne veut pas voir5.
Rudolf Bkouche
membre de l’UJFP (Union Juive Française pour la Paix) et de IJAN (International Jewish AntiZionists NetWork)
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