C’était dans l’ordre (ou le désordre) des choses, la mort charriée par l’épidémie en cours a fini par frapper un visage familier.
Il fallait que ça tombe sur Dédé ; le sentiment d’injustice n’en est que plus vif, bien qu’il soit absurde de penser qu’une mort soit plus ou moins juste qu’une autre.
André BARNOIN (Dédé) était postier et dessinateur, “humeuristique” plutôt qu’humoristique. Ma première rencontre avec lui s’est faite au travers de ses dessins, dans les albums qu’il avait publiés avec deux complices, dont le premier, “il y a trop d’étrangers dans le monde”, qui avait repris le bon mot de Pierre Desproges.
Dédé était un camarade de la CGT, mais il était surtout engagé, particulièrement depuis qu’il avait pris sa retraite, dans le MNCP (Mouvement national des chômeurs et précaires). Et avec quelle fougue et détermination ! D’une antenne Pôle Emploi à l’autre en passant par le Conseil départemental, il trimbalait inlassablement sa colère face au sort réservé aux plus faibles et aux plus mal lotis de notre société. Il avait le verbe haut et fleuri, y compris dans ses nombreux billets et dessins, et il n’en oubliait pas pour autant l’action de terrain.
Il m’avait dit à deux ou trois reprises qu’il n’avait pas imaginé, lorsqu’il avait choisi ce combat, qu’il le mènerait encore bien des années après : pour lui, les injustices qu’il dénonçait étaient si flagrantes qu’elles ne pouvaient pas perdurer au-delà de quelques mois. Puis il prit la mesure de la noirceur de notre société et se rendit à l’évidence que ces injustices, loin de se réduire, ne faisaient que s’amplifier.
Nous ne pourrons pas te saluer une dernière fois, en tout cas pas maintenant. Ce sera pour plus tard. Là, nous aurions été des centaines et ça ne se fait pas par le temps qu’il fait.
S’il y a trop d’étrangers dans le monde, c’est parce qu’ il n’y a juste pas assez de “Dédés” pour le changer.
DM