L’HUMANITE – Vendredi, 27 Mars, 2020

ISRAËL. BENNY GANTZ OU LA GRANDE TRAHISON AU SERVICE DE NETANYAHOU

Pierre Barbancey

Dans un retournement aussi spectaculaire qu’inattendu, le chef du Parti Bleu-Blanc a rallié le camp de son rival Benjamin Netanyahou. Le communiste Ayman Odeh, chef de la Liste unie, dénonce cette volte-face.

Benjamin Netanyahou en rêvait. Benny Gantz l’a fait. Les deux hommes politiques, que l’on disait ennemi, aspirant l’un et l’autre à diriger un gouvernement, à couteaux tirés pendant toute la campagne électorale, viennent de se rabibocher sur le dos de la démocratie. Gantz, l’ancien chef d’état-major de l’armée a abdiqué en rase-campagne, très certainement pour assouvir son ambition: participer au pouvoir. Un ambition qu’il assouvit au détriment d’une bonne partie de son camp, son parti, Kakhol lavan (« Bleu-Blanc ») et de la Liste unie qui avait décidé de lui permettre de former une majorité afin d’écarter Benjamin Netanyahou une fois pour toute.

C’est pour cela que, la semaine dernière, le président israélien Reuven Rivlin, avait chargé Benny Gantz de former un gouvernement. Netanyahou et ses alliés, extrémistes de droite et religieux, n’entendaient pas rester l’arme au pied, ne reculant devant rien pour rester aux manettes du pays, utilisant même la pandémie en cours pour fermer la Knesset (le parlement), empêchant ainsi le renouvellement des commissions ainsi que celui de la présidence de l’assemblée législative. La première étape de ce qui s’apparente à un coup d’Etat avait été le report du procès de Netanyahou pour différentes affaires de corruption, malversations et abus de confiance, au prétexte que le coronavirus empêcherait le travail des tribunaux. Le Premier ministre sortant reste néanmoins inculpé. Cette inculpation était d’ailleurs l’une des lignes rouges définies par Gantz: il était hors de question de siéger dans un gouvernement dirigé par une personnalité empêtrée dans des affaires judiciaires. Mais, on le sait, les promesses n’engagent que ceux qui y croient. Deuxième étape, la démission de Yuli Edelstein, qui présidait jusque là la Knesset. Mais, les portes du parlement étant fermé, il comptait bien (avec l’accord de son mentor Netanyahou) ne pas être remplacé. Jusque ce que la Cour suprême, saisie par la coalition soutenant Gantz, en décide autrement. Personne (à part Gantz lui-même évidemment) n’avait songé au coup de théâtre qui allait se produire, digne d’une mauvaise pièce de boulevard.

Jusqu’à jeudi matin, disposant toujours d’une majorité, Gantz s’était engagé auprès des groupes qui le soutenaient (c’est à dire son propre parti ainsi que les travaillistes, le Meretz et les 15 députés de la Liste unie) à faire élire un nouveau président de la Knesset pour permettre de lancer le processus de formation d’un gouvernement. Mais, dans un retournement aussi spectaculaire qu’inattendu, et sans prévenir ses alliés, il s’est fait élire à la tête du Parlement israélien jeudi après-midi, dans le cadre d’un potentiel accord de partage du pouvoir avec son rival Benjamin Netanyahou. Il a été choisi par 74 voix contre 18, obtenant notamment les voix des députés du Likoud, mais perdant des appuis dans son propre camp, des membres de « Bleu-Blanc » ayant refusé de cautionner ce rapprochement avec le parti de Netanyahou. Et juste après son élection, Gantz a appelé à un « gouvernement d’union et d’urgence » pour gérer la crise du nouveau coronavirus. « Je félicite Benny Gantz pour sa décision courageuse d’intégrer un gouvernement d’unité mené par Benjamin Netanyahou. Il s’agit de la bonne décision à prendre pour Israël en cette période d’urgence » sanitaire, s’est empressé de commenter le chef des colons et ministre de la Défense Naftali Bennett.

Les ténors du parti, Yaïr Lapid et Moshe Yaalon, qui revendiquent avec leurs soutiens 18 des 33 sièges de « Bleu-Blanc », ont indiqué ne pas suivre le général Gantz dans cette manoeuvre. « Benny Gantz a décidé de quitter Bleu-Blanc (…) Ce qui prend forme aujourd’hui n’est pas un gouvernement d’union ou d’urgence mais un autre gouvernement Netanyahu, a fustigé Yaïr Lapid. Benny Gantz s’est rendu sans se battre et a rampé vers un gouvernement Netanyahu. » Moshe Yaalon a déploré, lui, une décision « incompréhensible et décevante ».

Pour les députés de la Liste unie, la douche est plus que glacée. Dans un effort politique basé sur l’intérêt collectif et dans le souci d’écarter Netanyahou, ils s’étaient prononcés à l’unanimité pour permettre à Gantz de disposer d’une majorité (ce qui n’était pas le cas en septembre dernier, les 3 députés du parti Balad refusant d’accompagner le chef du parti Bleu-Blanc). « Nous ne prêterons pas la main à un gouvernement dirigé par Netanyahou, s’est immédiatement insurgé le communiste Ayman Odeh, chef de file de la Liste unie. Bleu et Blanc décideront s’ils veulent qu’on gagne ensemble ou s’ils préfèrent se rendre seuls ». Yousef Jabareen, député Liste unie, a prévenu: « Nous dirigerons l’opposition à ce gouvernement qui pratique la discrimination, le racisme et l’occupation ».