Strasbourg, le 3 juillet 2010
Rédaction d’ARTE
4 Quai du Chanoine Winterer
67000 Strasbourg
Madame, Monsieur,
J’ai regardé l’émission d’ARTE du 30 juin 2010 sur l’opération commando à Entebbe le 27 juin 1976.
Je trouve ce film très partial et il ne correspond pas à ce que j’attends du service public.
Je vous propose un film très intéressant et ouvert « Galilée, au nom des pierres » où des Israéliens et des Palestiniens parlent de l’histoire de cette terre.
Je retiens du film sur Entebbe que :
– du temps du dictateur Idi Amin Dada, des militaires israéliens ont formé des parachutistes ougandais, qu’auparavant des entreprises israéliennes avaient construit l’aérodrome d’Entebbe, de nombreux bâtiments en Afrique et en avaient remis les plans à l’armée israélienne.
– par deux Israéliens interviewés, les Palestiniens sont assimilés dans le film à des preneurs d’otages, à des terroristes. C’est insultant !
– Certes, l’action du commando formé de deux Allemands, membres de la Fraction Armée Rouge, et de deux Palestiniens, membres du FPLP, avec détournement de l’Airbus provenant de Tel-Aviv en direction de Paris avec 244 passagers civils est illégale. Les pirates étaient commandés par Wilfried Böse. Ils exigeaient la libération de quarante Palestiniens emprisonnés en Israël et de treize autres détenus au Kenya, en France, en Suisse et en Allemagne. C’était l’époque où les Palestiniens essayaient tous les moyens pour attirer l’attention du monde et des gouvernements sur l’injustice qui frappait le peuple palestinien. Nulle part il n’est question dans ce film de la Nakba de 1948 où les dirigeants israéliens ont expulsé méthodiquement près de 800 000 Palestiniens, tué près de 10 000 personnes, ni vraiment de la colonisation de la Cisjordanie et de Gaza en 1967 avec ses maisons et plantations détruites, le vol des terres, de l’eau, l’installation des colonies regroupant des juifs du monde entier à la place des autochtones palestiniens. Ces faits étaient alors soigneusement cachés, démentis par les dirigeants israéliens, les dirigeants politiques occidentaux, les médias. Mais le monde, notamment la jeunesse en mai 1968, découvrait brutalement que les Palestiniens sont les victimes de la politique israélienne ! Il s’en est suivi des mouvements de soutien aux Palestiniens forts variés.
Dans le film, les Allemands en général sont assimilés à deux personnes des cellules révolutionnaires et des Israéliens présents disent que les Allemands n’ont pas changé depuis le nazisme ! C’est insultant pour tous les Allemands !
A un détournement illégal d’avion avec prise d’otages, l’Etat Israélien répond par une opération militaire qui viole le droit international, la souveraineté nationale de l’Etat ougandais, tue de nombreux Ougandais. Le fait que Idi Amin Dadda soit un dictateur ne change rien à l’affaire. Trois avions de transport Hercules C-130 de l’armée de l’air israélienne décollèrent secrètement d’Israël et atterrirent à l’aéroport d’Entebbe sans être repérés par le contrôle aérien ougandais. Suivis par la suite d’un avion contenant des équipements médicaux, qui atterrit à l’Aéroport international Jomo Kenyatta à Nairobi au Kenya. Un autre avion, hébergeant le poste de commandement de l’opération, était parvenu au-dessus de l’aéroport d’Entebbe. Les passagers étaient retenus en otages dans le hall de transit du vieux terminal de l’aéroport international d’Entebbe. Les forces israéliennes atterrirent à 23 heures.
Les militaires israéliens tirent sur les forces ougandaises présentes à l’aéroport
Les quatre détourneurs d’avion et leurs trois complices à Entebbe sont tués. Deux otages sont tués par quelques soldats ougandais qui ont riposté et un otage est tué par les forces israéliennes. Six avions ougandais (en fait onze) sont détruits à l’explosif par le commando israélien de 100 hommes.
Le seul mort israélien du commando est le colonel Jonathan Netanyaou, frère de Benjamin, aujourd’hui premier ministre.
On nous explique dans le film qu’après l’opération, chaque Israélien dans le monde sait que son gouvernement, son armée peuvent venir le secourir. La confiance dans l’armée, dans l’Etat israélien est renforcée. Israël a aujourd’hui une armée surdimensionnée grâce au soutien des dirigeants nord-américains et européens, disposant d’ogives nucléaires.
La recherche de “la paix” est présentée dans ce documentaire comme une recherche de paix entre deux forces militaires supposées symétriques, alors que les Israéliens ne cessent de coloniser la Palestine avec des moyens militaires, économiques et de propagande gigantesques. Israël a aujourd’hui de gros moyens. Nulle part il n’est question de justice et du droit international dans ce film.
L’année d’après en 1977, le Likoud (de droite) l’emportait aux élections législatives en Israël
Le gouvernement ougandais a plus tard convoqué une session du Conseil de sécurité de l’ONU, afin d’obtenir une condamnation du raid israélien pour violation de sa souveraineté nationale. Le Conseil de sécurité refusa de passer une résolution dans ce sens. En effet depuis toujours, les dirigeants américains et européens, qui ont un droit de véto au Conseil de Sécurité, assurent l’impunité aux dirigeants israéliens, y compris lorsqu’ils tuent des humanitaires désarmés dans les eaux internationales en 2010.
À l’adresse du conseil de sécurité, l’ambassadeur israélien Chaim Herzog [1] déclara : « Nous avons un message simple au Conseil : nous sommes fiers de ce que nous avons fait, parce que cela démontre au monde entier que pour un petit pays, Israël en la circonstance, avec lequel les membres du Conseil de sécurité sont maintenant tous familiers, la dignité, la vie humaine et la liberté constituent les valeurs les plus élevées. Nous sommes fiers, non seulement parce que nous avons sauvé la vie d’une centaine de personnes innocentes – hommes, femmes et enfants – mais aussi parce que la signification de notre acte signifie la liberté humaine. » Chaim Herzog, Heroes of Israel, p. 284
Il est certes utile de se préoccuper du sort des Israéliens mais les autres populations comme les Palestiniens et les Libanais ont droit aussi à la dignité, au respect, à la vie, à la liberté ! La Paix peut-elle être construite sur l’injustice et la négation permanente du droit ?
Veuillez, Madame, Monsieur, recevoir mes salutations distinguées. A. Zimmer.
A O h 01, heure d’Entebbé, les quatre Hercules israéliens se posent sur la piste. Trente-six minutes plus tard, les otages sont sauvés. Trois jours avaient suffi pour préparer l’extraordinaire opération Tonnerre
Aujourd’hui combien d’otages non libérés
Monsieur Zimmer,
Je vous remercie pour cette analyse très exhaustive de cet évènement international grave. J’y ai toujours été sensible car ayant travaillé longtemps en Afrique et visité une bonne vingtaine de fois l’Ouganda, j’ai toujours été choqué chaque fois que je passais devant l’épave de l’avion, que les Israéliens ont fait sauter. Peut-être est-il encore là-bas aujourd’hui ? La plupart des Ougandais que j’ai interrogés à l’époque me disaient que c’est le gouvernement ougandais qui avait demandé l’intervention des Israéliens, étant hors d’état de régler la situation. Vous dites que les Israéliens ont agi de leur propre chef, je ne le conteste pas. Je n’ai pas recherché la question. De toute manière, chaque fois que j’ai vu cette épave, j’étais atterré à la pensée de l’énorme décalage entre les pays africains et les pays développés, dont Israël fait partie, en ce qui concerne l’exercice réel de leur souveraineté nationale. Nous avons d’ailleurs vu la répétition du même processus quelques années plus tard avec l’arrestation du leader Kurde Abdullah Öcalan, chef du Parti des Travailleurs du Kurdistan, qui fut capturé au Kenya au cours d’une opération menée conjointement par les services secrets turcs, américains et israéliens le 15 février 1999. Or le Kenya est lui-même submergé de problèmes entre les différents peuples qui le composent comme l’a montré la guerre civile qui a suivi les avant-dernières élections présidentielles.
Qu’est-ce que l’Ouganda, et qu’est-ce que le Kenya avaient à faire avec les problèmes d’Israël et de la Palestine, et respectivement les problèmes entre les gouvernements nationalistes Turcs et les Kurdes ? Eux qui sont des pays dont les peuples sont en situation de survie précaire, et bien incapable de se défendre, même contre une simple opération de commando.
On comprendra un peu mieux que le gouvernement turc actuel après avoir poussé quelques cris d’orfraie pour la galerie pour l’assassinat des 9 turcs qui voulaient se rendre à Gaza, se dépêche maintenant de se rabibocher rapidement avec Israël, car business is business et la Turquie ne boycotte pas Israël.
De nombreuses fois, des avions ayant été détournés pour des motifs indépendants des impératifs de la circulation aérienne, en général politiques ont été accueilli sur l’aéroport d’Alger, tout à fait officiellement par le Gouvernement algérien, au moins une dizaine de fois. Le Gouvernement Algérien a négocié avec les preneurs d’otages et finalement, les otages ont été libérés, les preneurs d’otages se rendant librement dans le pays qui voulait bien les accueillir. Il y avait quelques protestations pour la forme, mais tout le monde était content : aucun otage n’était mort et les preneurs d’otages avaient atteint leur objectif, qui était d’alerter l’opinion internationale – pas de zigouiller des innocents. Bien entendu, pas question d’envoyer un commando sur l’aéroport d’Alger : les Algériens avaient déjà viré les Français !
La plupart de ces détourneurs d’avion étaient des musulmans. Ils ne pouvaient ignorer l’ordre exprès du Prophète Mahomet lors de la prise de Médine de ne s’en prendre qu’aux combattants.
Toutefois, Monsieur Zimmer, je voudrais attirer votre attention sur le vocabulaire que vous avez utilisé.
Ainsi vous écrivez au début de votre texte :
« par deux Israéliens interviewés, les Palestiniens sont assimilés dans le film à des preneurs d’otages, à des terroristes. C’est insultant ! »
Puis vous écrivez un peu plus bas :
« A un détournement illégal d’avion avec prise d’otages,… »
Il y a une seule catégorie de détournement d’avion qui soit légal d’après la réglementation de l’IATA International Aviation Transport Administration, c’est celle qui est ordonné par les contrôleurs aériens d’un pays survolé.
Tous les autres détournements sont forcément illégaux. Et ceux qui les commettent le font n’ont pas à cause des appareils, dont la perte importe peu aux compagnies aériennes ou aux gouvernements – ils sont assurés – mais uniquement par la menace de mort sur les passagers et l’équipage.
Si nous, nous utilisons nous-mêmes des sophismes, des artifices de vocabulaire comme le font sans cesse les Israéliens, nous n’avancerons pas dans nos efforts de faire connaître à nos pays la situation réelle du peuple palestinien, qui est celle d’un peuple violemment agressé, et dont les agresseurs disent clairement qu’ils veulent les virer définitivement de leur propre pays.
J’accepte la situation du combattant militaire qui commet des actes de guerre contre les forces de répression y compris si elles entrainent mort d’homme, et y compris si son action est minoritaire, mais je n’accepte pas l’acte de guerre contre des non-combattants.
La théorie du Général britannique Arthur Travers Harris, théoricien du bombardement systématique des villes allemandes, surnommé par ses subordonnés « bomber Harris » ou « the butcher », jusqu’à quelques semaines avant la défaite, qui a entraîné la mort de 200.000 personnes au moins et la destruction de trésors culturels irremplaçables n’a pas impressionné les nazis plus que la lecture d’une page du Capital de Karl Marx !
Cordialement
Henri Cron