le mercredi 10 novembre 2010
Entretien avec Zyad Clot : “Il n’y aura pas d’Etat palestinien. journal d’un négociateur en Palestine”, aux éditions, Max Milo.
Avocat français d’origine palestinienne, Zyad Clot, ex- conseiller juridique de l’OLP a participé aux différentes négociations israélo-palestiniennes. Auteur d’un livre passionnant, “Il n’y aura pas d’Etat palestinien. journal d’un négociateur en Palestine” (Ed. Max Milo ), Zyad Clot affirme dans cet entretien accordé à Oumma.com, que « ces pourparlers de paix ont depuis longtemps prouvé qu’ils ne servaient à rien sinon à générer plus de conflit ». Il plaide pour un Etat binational : « Israëltine » qui constitue la seule solution pour résoudre le conflit israélo-palestinien.
Vous affirmez que les négociations entre Palestiniens et Israéliens ne sont qu’un simulacre. Elles sont devenues un « moteur » du conflit ?
Il n’y a effectivement rien de positif à espérer de ce que certains appellent encore le « processus de paix ». Le terme de « regressus » serait mieux adapté… Ces pourparlers, héritiers des accords d’Oslo, ont depuis longtemps prouvé qu’ils ne servaient à rien sinon à générer plus de conflit, à imposer plus de restrictions sur la vie quotidienne des Palestiniens et à tenter de masquer la politique du fait accompli israélien, marquée notamment par la colonisation de la Cisjordanie, et le blocus de la bande de Gaza.
Aujourd’hui, à chaque fois que l’on tente de remettre sur les rails le « processus de paix »
– toujours selon les paramètres imposés par Israël – on fait deux choses : on conduit à fragiliser les négociateurs palestiniens de l’OLP qui n’ont plus les moyens de leurs ambitions et on conforte ceux qui ne croient pas ou ne sont pas conviés à ces pourparlers (le Hamas notamment).
Ce n’est pas un hasard si les cycles de négociations de Camp David et Annapolis ont débouché sur des violences d’une grave intensité : la Seconde Intifada déclenchée fin septembre 2000 et l’invasion meurtrière de Gaza de l’hiver 2008-2009. Dans le premier cas, la révolte palestinienne, au-delà de l’effet causé par la provocation d’Ariel Sharon sur l’Esplanade des mosquées, a été le résultat de la frustration et du désespoir palestiniens entretenus par les années d’Oslo qui ont vu l’explosion du processus de colonisation des territoires occupés.
Pour ce qui est de la terrible punition infligée à Gaza, je peux vous dire qu’elle se situe dans la suite logique des négociations d’Annapolis (2008) auxquelles j’ai participé, fondées sur le postulat que l’on ne peut négocier qu’avec les « modérés » de l’OLP pendant que l’on manœuvre, au besoin par la manière forte, contre les « extrémistes » du Hamas. Un tel calcul est voué à l’échec car il relève d’une stratégie calquée sur la politique sécuritaire de gestion de conflit dictée par Israël, et non sur la recherche d’une paix réelle, entre égaux. J’irai même plus loin : comme l’a prouvé l’expédition de Gaza, ce calcul politique est criminel. Et ce que propose l’administration Obama n’est malheureusement pas différent.
Vous vous êtes occupé du dossier des réfugiés palestiniens. Un dossier qu’Israël réduit à une question humanitaire et non-politique ?
Les Israéliens peinent tout d’abord à reconnaître leur responsabilité dans la création et la perpétuation du problème des réfugiés palestiniens. En terme historique, il leur est difficile de concevoir que leur histoire nationale, leur « guerre d’indépendance », a un revers : la « Nakba », la catastrophe palestinienne. Il est également difficile pour les Israéliens qui sont bien souvent eux-mêmes d’anciens réfugiés ou des descendants de refugiés de concevoir la dimension politique et identitaire liée au Droit au retour palestinien. Beaucoup d’Israéliens vous disent : « regarde moi, je suis originaire de Pologne, de Russie, et j’ai pu refaire ma vie en Israël ». La différence est que les Israéliens ont aujourd‘hui leur Etat, alors que les Palestiniens attendent toujours le leur… Ceci dit, même à supposer qu’un Etat palestinien voie le jour dans le futur –ce que je ne crois pas- il n’est pas raisonnable de penser que le sort des millions de réfugiés pourra se résoudre dans ce seul micro-Etat, dont le territoire serait réduit à 22% ou moins de la Palestine mandataire.
Pour en revenir aux Israéliens, idéalement, pour eux, le sort des réfugiés palestiniens doit se régler hors d’Israël, au sein de leur pays d’accueil (Jordanie, Syrie et Liban) et de pays tiers qui pourraient accepter d’absorber ces populations. La mise en pratique d’une telle solution se ferait grâce à l’aide financière de la « communauté internationale » et des pays arabes. Israël pourrait mettre également la main à la poche, mais marginalement.
Cette approche est en contradiction avec le Droit international qui stipule très clairement que les réfugiés ont le droit de retourner dans leurs foyers (que ceux-ci se trouvent en Israël ou dans les territoires palestiniens). Elle occulte aussi le fait que le Droit au retour a acquis depuis 1948 côté palestinien une dimension symbolique, identitaire et politique qu’un traitement purement technique ou humanitaire de la question des réfugiés ne peut seul satisfaire. Mais ça, il faut avoir passé un peu de temps dans les camps de réfugiés palestiniens pour le comprendre. Ce n’est pas le cas des Israéliens.
D’un point de vue politique, il faut sans doute rappeler que l’Initiative de paix arabe offre depuis 2002 une solution de compromis sur cette question : l’acception implicite que le nombre de retours de réfugiés palestiniens en Israël serait limité, négocié avec cet Etat. Jusqu’à présent, Israël n’a pas donné suite à cette proposition qui engage l’OLP mais aussi tous les Etats arabes et musulmans.
Selon vous, l’Autorité palestinienne est devenue une autorité d’occupation réduite à faire le sale boulot en Cisjordanie ?
La réalité est naturellement plus complexe que cela, mais de l’intérieur, c’est vrai que c’est souvent comme cela que je l’ai vécu. Mon livre donne de nombreuses illustrations de la situation ubuesque dans laquelle se trouve aujourd’hui l’Autorité palestinienne. Elle était censée constituer un embryon de gouvernement palestinien. Pourtant, dès le départ, on lui a assigné des objectifs et missions contradictoires : comme assurer la sécurité d’Israël par exemple, alors même que les territoires palestiniens sont encore occupés et parsemés de check points, alors que les confiscations de terres se poursuivent, que le nombre de destructions de maisons ne faiblit pas et que les révocations de titres de séjour des Palestiniens se multiplient… Quinze ans plus tard, l’Autorité tente donc toujours de composer avec cette situation absurde : administrer des territoires qu’elle ne contrôle, en définitive, pas.
D’un point de vue palestinien, la situation est devenue dramatique : l’Autorité palestinienne continue de rendre des comptes à ses bailleurs de fonds (UE et Etats-Unis essentiellement) et à son voisin israélien. En revanche, elle a peu à peu perdu le lien avec son peuple. En terme démocratique, on a assisté à une régression tragique ces dernières années.
La direction politique de Ramallah n’est plus légitime depuis que la participation du Hamas à un gouvernement d’union nationale a été empêchée par Israël, les Etats-Unis et l’UE à la suite des élections législatives palestiniennes de 2006 ; le mandat de Mahmoud Abbas comme Président de l’Autorité palestinienne a expiré voici près de deux ans maintenant ; et le Premier ministre Salam Fayyad ne représente rien sur l’échiquier politique palestinien… Mais ces interlocuteurs sont acceptables du côté d’Israël et de la « communauté internationale » – occidentale – car ils ont accepté de déposer les armes, car ils collaborent en vue de nettoyer la Cisjordanie de la présence du Hamas et d’autres groupuscules armés etc. Car, en résumé, l’OLP de Ramallah représente aujourd’hui une moindre menace pour Israël. En bref, au fil des ans, l’Autorité a été contrainte d’endosser en grande partie les responsabilités qui devraient revenir à la puissance occupante, Israël.
Aujourd’hui, on continue de faire comme si les dirigeants de Ramallah représentaient encore les Palestiniens. Ce n’est plus le cas.
Peut-on envisager une réconciliation ente le Hamas et l’OLP ?
La réconciliation interne devrait être l’objectif central côté palestinien. Le mouvement national palestinien vit une crise très grave. Je ne sais pas s’il s’en remettra. Du point de vue israélien, à court terme, on a accompli un objectif stratégique majeur : la bande de Gaza s’éloigne chaque jour un peu plus de la Cisjordanie. Dangereusement, une partie du territoire palestinien est poussé vers l’Egypte, l’autre vers la Jordanie… Autrement dit, si on analyse la situation lucidement, on constate qu’Israël a réussi à liquider durablement le projet national palestinien. Il s’agit d’un fait essentiel d’un point de vue stratégique et au vu de l’histoire de ce conflit, dont il est difficile de mesurer encore toutes les conséquences.
Pour en revenir à votre question, la réconciliation est devenue particulièrement problématique pour plusieurs raisons :
Le jeu régional moyen-oriental bloque le rapprochement Fatah-Hamas : les deux factions sont soutenues par des pays concurrents. La situation est complexe mais, pour résumer, Israël, les Etats-Unis, l’UE et quelques autres sont du côté de l’OLP ; au contraire, l’Iran et la Syrie, notamment, soutiennent le Hamas. En d’autres termes, la question de Palestine est redevenue un terrain où des puissances étrangères exercent leur influence au détriment de l’unité palestinienne.
Même si l’objectif de ces deux mouvements palestiniens est somme toute assez similaire en terme politique (la création d’un Etat palestinien sur les frontières de 1967 avec Jérusalem-Est comme capitale et la reconnaissance des droits des réfugiés), les stratégies divergent. Le Fatah a fait le choix de la négociation (même si ce choix est aujourd’hui contesté au sein de cette faction). La stratégie du Hamas semble, elle, dictée par une constante : ne pas commettre les mêmes erreurs que l’OLP à savoir « griller » toutes ses cartes de négociation avant d’avoir la garantie que la création d’un Etat palestinien est un objectif effectivement à portée de main. D’où le refus du Hamas de reconnaître Israël, de s’interdire le recours à la violence armée etc.
Il ne faut pas non plus oublier que du sang a coulé entre le Hamas et le Fatah de sorte que, d’un côté comme de l’autre, il est difficile de ne concevoir l’idée de la réconciliation qu’en terme d’intérêts ou de calcul politique. Leur opposition est enfin renforcée par le fait que l’OLP et le Hamas offrent deux projets de société différents.
Que pensez-vous de la campagne de boycott, désinvestissement et sanction (BDS). Est- ce un moyen de pression efficace sur Israël ?
A partir du moment où l’on prend acte du déséquilibre des forces en présence et de l’incapacité des gouvernements ayant une influence sur ce conflit à vouloir prendre leurs responsabilités et à faire pression sur Israël, il est tout à fait légitime que des mouvements comme le BDS se développent. Rendre Israël responsable de ses actes, quand ceux-ci sont en violente contradiction avec le Droit international, est essentiel.
En définitive, toute la question est celle de l’objectif que l’on se fixe et de l’adéquation des moyens mis en œuvre. Ainsi, si on pense que la finalité à poursuivre est toujours la solution des deux Etats, il y a sans doute lieu de limiter les moyens d’action aux mesures de désinvestissement et de sanctions et au seul boycott des produits issus des colonies israéliennes situées en territoire palestinien. Cette approche me semble moralement juste et a pour avantage d’être inattaquable au vu de l’état actuel du droit français et d’éviter notamment les poursuites abusives dont souffrent certains militants BDS en France.
Pour ma part, je vois cependant les choses un peu différemment : je ne crois plus en la solution des deux Etats et je pense qu’il est important de garder à l’esprit que les Palestiniens sont discriminés en Cisjordanie et dans la bande de Gaza mais aussi en Israël.
Je crois donc que les paramètres de la lutte ont changé et que les moyens d’action doivent aussi pour cette raison être repensés. En deux mots, je crois que les efforts doivent être davantage tournés vers l’individu palestinien plutôt que vers le projet d’Etat qui est devenu obsolète voire dangereux. Je m’explique : aujourd’hui les Israéliens conditionne entre autres la création d’un micro-Etat palestinien (qui ne satisferait pas, loin s’en faut, les droits du peuple palestinien et qui à mon sens ne serait pas viable) à la reconnaissance d’Israël comme « Etat juif ».
Autrement dit, ce qui reste du projet national palestinien porté encore à bout de bras par l’OLP ne pourraient s’accomplir qu’en mettant en porte-à-faux les Arabes israéliens au sein d’Israël puisque ceux-ci sont musulmans, chrétiens ou druzes. De la même manière, la poursuite du cirque que constitue le « processus de paix » se fait aujourd’hui au prix du sacrifice des droits les plus essentiels de la population de Gaza.
Voir la Palestine se désagréger en diverses communautés dont les intérêts sont en train de devenir contradictoires en raison de la tournure politique prise par ce conflit est une situation inacceptable. Il est urgent de trouver aujourd’hui un moyen de fédérer toutes les forces palestiniennes autour d’un nouveau projet commun. Ce défi est immense surtout si on considère que les Palestiniens d’Israël, de Cisjordanie, de la bande de Gaza et de la Diaspora vivent maintenant depuis des décennies des expériences de vie quelquefois très différentes.
Selon vous, Barack Obama n’est pas capable de faire évoluer substantiellement la position américaine vis-à-vis du conflit israélo-palestinien ?
Non, malheureusement. On peut penser ce que l’on veut de Barack Obama et lui reconnaitre de nombreuses qualités mais il ne faut pas pour autant se leurrer : malgré une certaine empathie vis-à-vis des Palestiniens (je pense ici à son discours du Caire), l’équation proche-orientale se pose selon les mêmes termes pour lui et son prédécesseur George W. Bush. Il est tenu par les mêmes contraintes propres au jeu politique américain. La capacité d’action des Etats-Unis dans la région est également, de toute évidence, amoindrie.
Je suis très inquiet de constater que l’équipe d’Obama n’a proposé jusqu’à présent rien de différent par rapport à l’approche poursuivie par George W. Bush dans le cadre des négociations d’Annapolis. Les paramètres offerts pour les pourparlers israélo-palestiniens restent les mêmes : continuons à négocier alors que la colonisation se poursuit ; continuons à négocier avec l’OLP en ostracisant le Hamas et la bande Gaza.
Cela fait trop longtemps que l’orchestre mal accordé du « processus de paix » sonne faux. Il est grand temps de changer de partition.
A la lumière des blocages actuels, l’équipe Obama pourrait être tentée de mettre son propre plan de paix sur la table. Ce serait une opération à très haut risque qui pourrait avoir l’effet inverse de celui escompté et déstabiliser encore davantage la région.
La création d’un Etat Palestinien étant impossible dans la situation actuelle. Vous préconisez une solution à ce conflit qui est « Israëltine ». Mais les Israéliens rejettent majoritairement un Etat binational.
Mais l’OLP, le Hamas, les Etats-Unis et l’UE rejettent également la perspective de l’Etat binational !
Vous savez, en politique, on ne fait pas toujours ce que l’on veut mais plus souvent ce que l’on peut, voire ce que l’on vous contraint de faire : aujourd’hui, la priorité n’est donc pas tant de savoir ce que ces parties veulent encore mais de prendre acte de ce qu’est devenue la situation sur le terrain et de tenter de définir ce que l’on peut raisonnablement envisager au vu de celle-ci.
Il ne faut pas se tromper : idéalement, Israéliens et Palestiniens voudraient jouir chacun de la Terre sainte dans son intégralité. La solution de la partition, l’idée des deux Etats, a été largement imposée de l’extérieur, à l’origine par le plan de partage de la Palestine de 1947.
Le problème c’est que l’édification d’un second Etat en Terre sainte est aujourd’hui rendue impossible, essentiellement du fait de l’ampleur prise par la colonisation et en raison des faiblesses et des divisions palestiniennes.
Ce que je dis, ce que je retire de l’expérience relatée dans mon témoignage, c’est que l’Etat unique est en réalité déjà là : Israël contrôle tout en Terre sainte -à des degrés et selon des modalités variables certes- entre la Méditerranée et le Jourdain. Y compris la Cisjordanie. Y compris Gaza.
Les communautés israéliennes et palestiniennes sont aujourd’hui totalement imbriquées et il sera impossible de les séparer, sauf à prendre le risque de générer davantage de violences via de nouvelles expulsions de Palestiniens ou le transfert de dizaines de milliers de colons en Israël.
Pour le moment, « Israeltine » c’est donc avant tout un constat : il y a un seul Etat dont le contrôle s’étend aussi à la Cisjordanie et à Gaza et au sein duquel les Palestiniens sont discriminés. Je crois qu’il n’y a plus d’autre option que de transformer ce constat douloureux en solution : la meilleure chance des Palestiniens de prendre leur avenir en main est aujourd’hui de lutter pour leurs droits civils et politiques au sein d’un Etat binational.
Le sionisme et le nationalisme palestiniens ont depuis longtemps prouvé leurs limites et nourries de profondes souffrances. Il temps de remettre l’individu, la reconnaissance de ses droits et sa protection, au centre de la question israélo-palestinienne. Ce n’est qu’en s’assurant qu’en Terre sainte chaque habitant, chaque citoyen -qu’il soit chrétien, juif ou musulman- jouisse des mêmes droits et obligations que cette terre pourra redevenir une terre de paix.
Propos recueillis par la rédaction
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