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Samedi, 27 novembre 2010
Jeff Halper, directeur du Comité israélien contre les démolitions de maisons palestiniennes (ICAHD), estime que l’échec des négociations étant patent, l’année 2011 marquera une rupture, soit par un renforcement de l’apartheid et du confinement, avec la création d’un Etat Palestinien non viable, soit par une nouvelle offensive généralisée d’Israël contre la bande de Gaza.
L’heure, analyse-t-il, est à une mobilisation politique d’envergure pour imposer une paix juste.
Jeff Halper – Palestine 2011
“M’étant évertué comme je l’ai fait durant les décennies passées à saisir la dynamique du conflit israélo-palestinien et trouver une issue à cet affrontement interminable et totalement vain, j’ai réussi aux deux tiers. Après tant d’années de militantisme et d’analyses, je pense avoir mis le doigt sur le premier tiers de l’équation. Quel est le problème ? Ma réponse, qui a subi le test du temps et qui est d’une telle évidence aujourd’hui, est que les gouvernements israéliens sont inflexiblement déterminés à conserver un contrôle complet sur le territoire de Palestine/Israël depuis la Méditerranée jusqu’au Jourdain, en faisant échouer toute solution juste et praticable fondée sur la revendication palestinienne à l’auto-détermination. Il n’y aura pas de règlement négocié, un point c’est tout.
Il est tout aussi facile de répondre au second terme de l’équation – comment résoudre le conflit ? Je n’entends pas entrer dans l’énigme un Etat/deux Etats, ni décider quelle option est la meilleure. Dans certaines circonstances, toutes deux pourraient fonctionner et je peux tout aussi bien concevoir au moins trois ou quatre options viables, y compris celle que je préfère, une confédération économique du Moyen-Orient. Le think-tank palestinien Passia a publié, voilà quelques années, un ensemble de douze solutions proposées. Ma conviction est qu’il n’est pas difficile d’identifier les éléments essentiels et toute solution, quelle qu’elle soit.
En bref :
Une paix viable et durable doit inclure les deux peuples vivant en Palestine/Israël .
Toute solution doit permettre l’expression nationale de chacun des deux peuples, pas seulement une formule démocratique fondée sur le principe une personne-un vote.
Elle doit procurer à toutes les parties une viabilité économique .
Aucune solution ne fonctionnera si elle n’est pas fondée sur les droits de l’homme, le droit international et les résolutions de l’ONU .
La question des réfugiés, basée sur le droit au retour, doit être abordée de manière franche.
Une paix praticable doit être régionale ; elle ne saurait être confinée seulement à Israël/Palestine .
Une paix juste doit prendre en compte les préoccupations de sécurité de toutes les parties et de tous les pays de la région.
Ces sept éléments doivent se trouver dans la configuration de toute solution juste. Si toutes sont incluses, un règlement du conflit pourrait prendre de nombreuses formes différentes. Mais si une seule fait défaut, aucune solution ne fonctionnera, peu importe qu’elle paraisse bonne sur le papier.
Ce qui nous amène à la troisième et la plus difficile partie de l’équation : comment y parvenir ? En recourant à l‘analyse linéaire que nous avons utilisée au fil des ans, nous ne le pourrons pas.
Dans ces termes, nous nous trouvons dans l’impasse d’un « processus » mort.
Israël ne mettra jamais volontairement fin à son occupation ; le mieux à quoi il puisse consentir est un apartheid, mais le confinement permanent des Palestiniens est davantage ce qu’il a en tête.
Etant donné les « faits de terrain » massifs qu’Israël a imposés dans les Territoires Occupés, la communauté internationale n’exercera pas sur Israël des pressions suffisantes même pour aboutir à une solution à deux Etats (laquelle maintient Israël sur 78% de la Palestine historique, sans droit au retour pour les réfugiés) ; étant donné le pouvoir de veto dont jouit sur tout processus politique le Congrès américain, enfermé dans une inébranlable position pro-israélienne que partagent Républicains et Démocrates, la communauté internationale ne peut pas exercer les pressions nécessaires. Et les Palestiniens, désunis et sous un leadership faible, ne font pas le poids. Qui plus est, ils ne sont même pas dans le jeu. Pour ce qui concerne toute espèce de « processus de paix » rationnel, linéaire et sous pilotage gouvernemental, nous voici arrivés au bout de la route.
Et pourtant je suis optimiste sur le fait que l’année 2011 verra une « pause » avec changement de jeu qui instaureront un nouvel ensemble de circonstances dans lesquelles une paix juste est possible.
Ce sursaut qui fracasse l’actuel paradigme sans issue doit venir de l’extérieur du présent « processus ».
Il peut prendre une ou deux formes.
Le premier possible changeur de jeu est déjà en discussion : la déclaration unilatérale de l’Autorité Palestinienne d’un Etat basé sur les lignes d’armistice de 1949 (la « Ligne verte » de 1967), qui poserait alors sa candidature pour être membre des Nations Unies. Ceci, je le crois, forcerait la main à la communauté internationale.
La plupart des pays du monde – y compris plusieurs en Europe – reconnaîtraient un état palestinien, plaçant ainsi les Etats-Unis, la Grande Bretagne, l’Allemagne et d’autres puissances récalcitrantes dans une position difficile sinon impossible, incluant l’isolement, voire la non pertinence. Certes, une déclaration d’indépendance des Palestiniens à l’intérieur de ces frontières serait un acte unilatéral, mais plutôt en accord avec les Etats membres des Nations Unies, qui ont accepté les frontières de 1949/1967 comme base de solution. Elle est également conforme à l’initiative de la Feuille de Route lancée par les USA eux-mêmes. Un tel scénario, même s’il est toujours possible étant donné l’impasse des négociations, est improbable, ne serait-ce que parce que l’Autorité Palestinienne manque du courage requis pour prendre une initiative aussi hardie.
Un autre semble plus probable : en 2011, l’Autorité Palestinienne va soit se démettre soit s’effondrer, rejetant l’Occupation sur les bras d’Israël. Vu que les négociations sont au point mort, je ne peux imaginer l’A.P. durant jusqu’en août, moment où le (pseudo) Premier Ministre Salem Fayyad attend de la communauté internationale qu’elle donne un Etat aux Palestiniens.
Même si le gel de la colonisation pour 90 jours entrait éventuellement en vigueur, durant cette période Netanyahu ne négociera pas de frontières, seul enjeu digne de discussion. Soit qu’il en ait assez au point de démissionner – Abbas peut être faible et malléable mais n’est pas un collaborationniste – soit qu’il ait tellement perdu de sa crédibilité parmi son propre peuple qu’il s’écroule tout simplement, la chute de l’Autorité Palestinienne sera la fin définitive du présent « processus ».
La fin ou la chute de l’A.P. créerait une situation intolérable et insoutenable.
Israël serait contraint de reprendre par la force tous les Territoires Occupés ; et, ne voulant pas permettre au Hamas d’occuper le vide, devrait le faire par la violence, peut-être même en envahissant de nouveau Gaza, et en exerçant un contrôle permanent. Devoir soutenir quatre millions de Palestiniens paupérisés, sans infrastructure économique de quelque sorte que ce soit, serait un impossible fardeau (et l’on peut espérer que la « communauté des donateurs » ne rendrait pas possible la réoccupation en intervenant, comme elle le fait maintenant, pour éviter une « crise humanitaire »).
Un tel mouvement de la part d’Israël mettrait aussi le feu au monde musulman et générerait à travers le monde des protestations massives, forçant ainsi de nouveau la main à la communauté internationale.
Vu de cette façon, il y a pour les Palestiniens une source d’énorme influence : ce sont eux qui détiennent les clefs.
Jusqu’à ce qu’ils déclarent (le peuple palestinien dans son entier, non l’Autorité Palestinienne) que le conflit est terminé, il ne sera pas terminé.
Israël et ses amis de longue date ont la capacité de rendre la vie insupportable aux Palestiniens, mais ils ne peuvent imposer ni apartheid ni confinement.
Nous qui sommes des millions à travers le monde à soutenir les Palestiniens, nous ne lâcherons pas jusqu’à ce que les Palestiniens donnent le signal qu’ils sont arrivés à un règlement avec lequel ils puissent vivre. Jusque là, le conflit restera ouvert et globalement perturbateur.
Si l’un ou l’autre de ces scenarii émerge, et que de nouvelles possibilités de paix surgissent de la violence et du chaos qui s’ensuivra, la vraie question est : où serons-nous, nous qui soutenons une paix juste, globale, praticable et durable ?
Ici, en Israël/Palestine, malheureusement, il n’y a pas de débat sur ce qui peut arriver au cours de l’année prochaine. Non seulement, nous qui faisons partie des mouvements palestiniens et israéliens pour la paix, nous échouons à donner une direction et un leadership adéquats à nos alliés des sociétés civiles de l’étranger, mais nous avons tendance à poursuivre des « politiques normales » déconnectées des processus politiques autour de nous ; nous sommes réactifs plutôt que proactifs.
Ainsi, en dépit de son importance cruciale pour la lutte palestinienne, la campagne BDS se poursuit et gagne en force, mais elle n’est pas accompagnée de campagnes ciblées et opportunes pour saisir un mouvement politique.
Quand la flotille de Gaza a été attaquée et qu’Israël était secoué par la condamnation internationale, les Palestiniens et les militants israéliens du monde entier – y compris ceux de Palestine/Israël – auraient dû se jeter dans l’action. Des parlementaires (et des membres du Congrès) tout à travers le monde auraient du être engagés à introduire des projets de loi disant que si l’Occupation ne cessait pas d’ici une année, leurs gouvernements cesseraient toute aide militaire et tout traitement préférentiel à Israël. Peut-être n’y seraient-ils pas parvenus sur le champ, mais imaginez le débat public qu’ils auraient généré à ce moment. Au lieu de quoi le moment politique a été manqué. Aujourd’hui, nous nous trouvons à la pointe d’un tel moment, et nous avons encore le temps – quoique ce soit peu de temps – pour nous organiser. Les militants et les groupes de la société civile à l’étranger devraient demander à leurs partenaires palestiniens et israéliens leur évaluation sur ce moment politique et leurs suggestions sur ce qu’il faut faire au cas où l’Autorité Palestinienne s’effondre en même temps que le « processus de paix ».
Il faudrait réfléchir à la manière de transformer la campagne BDS et l’infrastructure de résistance qu’elle est en train de créer, de sorte qu’elle soit apte à une résistance plus ciblée – capable de mobiliser des églises, des syndicats et des universités, par exemple, et d’inciter des politiciens sympathisants à agir quand le moment arrivera ?
En l’absence d’une organisation du type de l’ANC pour nous conduire, il nous est beaucoup plus difficile de communiquer et de coordonner nos actions. Cependant nous sommes en contact les uns avec les autres.
Le moment politique qui se dessine d’ici à quelques semaines ou quelques mois requiert notre attention.
La vie dans les Territoires Occupés est sur le point de devenir, me semble-t-il, encore plus difficile, mais peut-être approchons-nous enfin du point de rupture. Si tel est le cas, nous devons être là, sur tous les fronts, pour les Palestiniens : pour les protéger, pour jouer notre rôle en poussant l’Occupation vers la non-viabilité, pour résister à la réoccupation, aux « processus » politiques qui menacent d’imposer l’apartheid sous l’apparence d’une solution à deux Etats et, au bout du compte, pour nous assurer qu’émerge une paix juste et durable. Tandis que des tentatives gouvernementales vaines et fausses vont à l’effondrement, il nous faut attraper la corde. 2011 est imminent.”
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