“…la religion juive en Israël est une mutation du judaïsme, une croyance tribale, raciste, nationaliste extrémiste et anti-démocratique.”

Le péché originel
publié le dimanche 5 décembre 2010

http://www.france-palestine.org/article16194.html


Uri Avnery – 27 novembre 2010

Un ami de Varsovie, m’a parlé d’un journaliste polonais qui visitait Israël pour la première fois. À son retour il raconta tout excité : “Vous savez ce que j’ai découvert ? En Israël aussi il y a des Juifs !”


Pour ce Polonais, les Juifs sont des gens qui portent un long kaftan noir et un grand chapeau noir. Dans presque chaque boutique de souvenirs en Pologne, de petits personnages de ce genre sont présentés avec d’autres classiques comme le gentihomme, l’artisan et le paysan.

Cette distinction entre Israéliens et Juifs n’aurait surpris aucun d’entre nous il y a 50 ans. Avant la fondation de l’État d’Israël, aucun de nous ne parlait d’un “État juif”. Dans nos manifestations, nous scandions : “Immigration libre ! État hébreu !” Dans les citations de presque tous les médias de cette époque, ce sont les deux mots “État hébreu”, qui apparaissent et presque jamais “État juif”.

À L’ÉCOLE nous avons acquis un amour ardent pour le pays, la langue et la Bible (que nous considérions comme le livre classique de la littérature hébraïque.) Nous apprenions à considérer avec dédain – si ce n’est pire – la vie juive dans la Diaspora. (Tout cela, naturellement, avant l’Holocauste.)

En 1933 j’ai vécu six mois à Nahalal, le village communataire légendaire. En le voyant pour la première fois, je fus émerveillé par l’immeuble communautaire, l’usine de traitement du lait et la vaste école d’agriculture pour les filles (dans laquelle Moshe Dayan était le seul élève garçon). Par curiosité je demandai où était la synagogue et l’on me montra une cabane en bois délabrée. “C’est pour les vieux,” me dit l’un des garçons du coin avec pitié.

On ne peut pas comprendre ce qui s’est passé depuis sans savoir qu’en ce temps là presque tout le monde pensait que la religion juive était sur le point de disparaître, avec les vieilles gens parlant yiddish qui y étaient attachés. Pauvres vieux. Si quelqu’un avait annoncé que la religion juive allait dominer l’État futur, les gens auraient rigolé.

LE SIONISME ÉTAIT, entre autres choses, une révolte contre la religion juive. Il était né dans le péché – le péché de nationalisme laïque qui s’était répandu en Europe après la révolution française.

Le sionisme se révolta contre la Halakha (la loi religieuse) qui interdisait aux juifs de “monter” en masse vers la Terre Sainte. Selon le mythe religieux, Dieu avait exilé les juifs du pays en punition de leurs péchés, et seul Dieu avait le droit de les y ramener. En conséquence, pratiquement tous les rabbins importants – tant les Hassidim que leurs adversaires – maudissaient les fondateurs du sionisme. (Il va sans dire que ces malédictions – dont certaines sont très savoureuses – ne figurent pas dans les manuels scolaires d’Israël.)

Avant toutes les enquêtes internationales qui ont précédé la constitution de l’État, des délégations de juifs orthodoxes sont intervenues pour s’opposer aux délégations sionistes.

Mais David Ben-Gourion, qui refusait de porter une kippa même à des funérailles (lors desquelles la plupart des athées portent effectivement des kippas dans un geste envers les croyances des autres) pensait qu’il était utile d’obtenir que les orthodoxes rejoignent sa coalition gouvernementale. C’est pourquoi, il leur promit d’exempter quelques centaines d’étudiants de Yeshiva (séminaire religieux) du service militaire et de financer leurs études et leur entretien, afin qu’ils ne soient pas obligés de travailler pour assurer leur subsistance.

La conséquence fut inattendue. Ce petit geste a pris des proportions monstrueuses. Aujourd’hui on pourrait constituer plusieurs divisions de l’armée avec ces tire-au-flanc du service militaire. Ils constituent aujourd’hui 13% de l’effectif annuel de ceux qui sont susceptibles de faire leur service militaire. En outre, 65% de tous les citoyens orthodoxes de sexe masculin ne travaillent pas du tout et vivent sur les deniers publics.

La situation est absurde : l’État paie pour l’entretien d’une population importante et croissante de parasites abrités par la Torah, qui minent l’État. L’État paie des centaines de milliers de jeunes gens religieux pour leur épargner – à Dieu ne plaise – de travailler. Il leur verse de généreux subsides de façon qu’ils puissent produire de plus en plus d’enfants (de 5 à 15 par famille) dont la plupart à leur tour ne travailleront pas et ne serviront pas dans l’armée. On peut calculer exactement le moment où l’économie va s’effondrer, en même temps que l’État-providence et l’“armée de citoyens”fondée sur la conscription.

L’ensemble du phénomène est une authentique invention israélienne. Dans le monde entier les juifs orthodoxes travaillent effectivement comme tous les autres gens. Lors d’une de nos visites à New York, nous voulions acheter un appareil photo. Rachel – qui est une photographe professionnelle – s’était fait indiquer le plus grand magasin de photo de la ville. Lorsque nous sommes entrés, nous n’en croyions pas nos yeux : tout le personnel de cet immense endroit était constitué de juifs orthodoxes – tous des hommes naturellement – vêtus de leur costume traditionnel. C’était la première fois que nous ayions jamais vu des orthodoxes travailler.

Cette expérience eut un aspect amusant. L’un et l’autre, nous portions un insigne avec les couleurs d’Israël et de la Palestine. Lorsque Rachel alla vers le caissier pour payer, il jeta un oeil à l’insigne de Rachel et, sans la regarder en face, demanda : “Quel est ce drapeau ?”

“Le drapeau d’Israël”, répondit Rachel.

“Non, l’autre !” insista l’homme.

“Le drapeau de la Palestine” répondit-elle.

L’homme se retourna et cracha par terre, s’exclamant bruyammant “Tfoo,tfoo ! Tfoo !”

LE CAMP ORTHODOXE en Israël est un gouffre qui avale tout ce qui s’en approche de trop près. Par exemple : les Juifs orientaux venus de pays musulmans. (On les qualifie fréquemment de “Sépharades” – “Espagnols” – bien qu’une partie d’entre eux seulement descendent réellement des Juifs expulsés d’Espagne en 1492.)

La tradition religieuse sépharade a toujours été beaucoup plus tolérante que l’ashkénase. Elle englobe les enseignements de génies comme Rabbi Moshe ben Maimon (Maimonide), le médecin personnel du grand Saladin. Maimonide interdisait aux étudiants en religion d’être rémunérés pour leurs études et leur ordonnait de sortir travailler. Les sépharades ont leurs propres traditions, vêtements et symboles.

Mais voilà, en venant en Israël, ils se sont mis l’école des Ashkénases et ont adopté leur fanatisme aveugle, ainsi que kaftan et les chapeaux qui trouvent leur origine dans la froide Europe de l’est, où ils étaient portés par les classes supérieures non juives dans les siècles passés. Leur parti sépharade, Shas, est servilement soumis aux orthodoxes ashkénases. Leur chef “spirituel”, Rabbi Obadia Yosef, est à plat ventre devant les rabbins anti-hassidiques d’Europe de l’est (appelés “Lituaniens”).

La semaine dernière, un miracle s’est produit. Un rabbin sépharade, Haim Amsalem, s’est rebellé contre le rabbin Ovadia et son parti, exigeant un retour aux traditions sépharades de tolérance. Il a été rapidement excommunié.

AUX premiers jours de l’État, les ashkénases orthodoxes, bien qu’extrémistes dans leurs croyances, se montraient modérés dans les questions nationales. Non seulement ils ne célébraient pas le jour de l’indépendance de l’État sioniste ni ne saluaient le drapeau des hérétiques sionistes, mais ils s’opposaient aussi aux aventures nationalistes de David Ben-Gourion, de Moshe Dayan et de Shimon Peres. Plus tard ils se sont opposé à l’annexion des territoires occupés – non en raison d’un amour excessif de la paix ou des Palestiniens, mais à cause de la loi halakhique qui interdit de provoquer les Goyim, parce que cela pourrait entraîner des dommages pour les Juifs.

Lorsque les Orthodoxes ont créé des colonies, ils ne l’ont pas fait avec une quelconque ferveur idéologique, mais simplement en raison du besoin de trouver à loger le nombre toujours croissant de leur progéniture. Le gouvernement leur attribua des terres à bon marché uniquement au-delà de la ligne verte. Actuellement, les plus grandes colonies sont orthodoxes – Beitar Illit, Immanuel et Modi’in Illit – dont la dernière est située sur des terres volées au village arabe de Bil’in.

ALORS QUE l’important camp religieux s’opposait au mouvement sioniste, un groupe religieux dissident lui apportait son soutien. Dans le camp religieux ils constituaient une petite minorité. Entre les deux côtés, une haine passionnée était la règle.

Grâce au soutien massif de la direction sioniste, le camp “national religieux”se développa en Israël à une vitesse étourdissante. Ben-Gourion créa pour eux une branche particulière du système éducatif, qui devint de plus en plus extrémiste d’année en année, comme aussi le mouvement de jeunesse national-religieux, Bnei Akiva. Des membres d’une génération de la communauté nationale-religieuse devinrent les éducateurs de la génération suivante, ce qui garantissait un processus interne de radicalisation. Avec le début de l’occupation, ils ont créé Gush Emunim (le “Bloc des Fidèles”) le noyau idéologique du mouvement des colons. Aujourd’hui, ce camp est dirigé par des rabbins dont les enseignements dégagent une forte odeur de fascisme.

Cela ne serait pas si terrible si les deux factions religieuses opposées se neutralisaient réciproquement, comme c’était vraiment le cas il y a 50 ans. Mais depuis lors, c’est le contraire qui s’est produit. Les nationaux-religieux sont devenus de plus en plus extrémistes au plan religieux, et les orthodoxes de plus en plus extrémistes au plan nationaliste. Les deux factions sont aujourd’hui très proches l’une de l’autre et constituent ensemble le bloc orthodoxe-national-religieux.

Les jeunes de la faction nationale-religieuse méprisent la religiosité tiède de leurs pères et admirent la robuste religiosité des orthodoxes. Les jeunes de la faction orthodoxe sont séduits par la mélodie nationaliste, à la différence de leurs pères, pour lesquels Israël était simplement bon à exploiter comme n’importe quel État goyim.

L’union des deux factions se fonde sur l’essence de la religion juive, comme elle est encouragée en Israël. Elle ne ressemble pas au judaïsme qui existait dans la Diaspora – ni le modèle orthodoxe ni le modèle réformé. Il faut le dire : la religion juive en Israël est une mutation du judaïsme, une croyance tribale, raciste, nationaliste extrémiste et anti-démocratique.

Il y a maintenant trois systèmes éducatifs religieux – le national-religieux, l’“indépendant”qui est l’un des orthodoxes et “el-Hama’ayan (“à la source”) du Shas. Tous les trois sont financés par l’État au moins à 100% si ce n’est beaucoup plus. Les différences entre eux sont faibles, comparées à leurs similitudes. Tous enseignent à leurs élèves seulement l’histoire du peuple juif (fondée naturellement sur les mythes religieux), rien sur l’histoire du monde, des autres peuples, sans parler des autres religions. Le Coran et le Nouveau Testament sont le cœur du mal et il ne faut pas y toucher.

Les anciens élèves typiques de ce système savent que les Juifs sont le peuple élu (et infiniment supérieur), que tous les Goyim sont des antisémites pervers, que Dieu nous a promis ce pays et que personne d’autre n’a de droit sur la moindre parcelle de cette terre. La conclusion naturelle est que les “étrangers” (c’est-à-dire les Arabes qui ont vécu ici depuis au moins treize siècles) doivent être expulsés – sans quoi cela mettrait les Juifs en danger.

De ce point de vue, il n’y a plus aucune différence entre les orthodoxes et les nationaux-religieux, entre les Ashkénases et les Sépharades. Lorsque l’on voit à l’écran les “jeunes des collines” terroriser les Arabes des territoires occupés, on ne peut faire aucune distinction entre eux, ni par leur vêtement, ni par leur langage du corps ni par leurs slogans.

La source de tout ce mal est, naturellement, le péché originel de l’État d’Israël : la non-séparation entre l’État et la religion, fondée sur la non-séparation entre la nation et la religion. Rien, sauf une séparation complète entre les deux, ne sauvera Israël d’une totale domination par la mutation religieuse.

Article écrit en hébreu et en anglais le 27 novembre 2010, publié sur le site de Gush Shalom. Traduit de l’anglais “The original Sin” pour l’AFPS : FL