Tribune libre

Révolution en Islande et dislocation du pouvoir gouvernemental,
insurrections révolutionnaires en Tunisie, puis en Egypte,
tandis que des foyers d’agitation insurrectionnelle éclatent en Algérie,
Troubles au Yemen, en Jordanie, en Lybie,

En Europe, journées insurrectionnelles répétées en Grèce, plus de
gouvernement national en Belgique,
tandis que les mouvements sociaux classiques de contestation pacifiée
et institutionnalisée se transforment en mouvements incontrôlables
contre l’Etat lui-même comme ce fut le cas en Espagne lors de la grève
générale de septembre, comme ce fut le cas lors des journées
d’affrontements entre “étudiants” et flics à Londres, Rome et Athènes
trois jours consécutifs, comme c’est le cas à présent en Albanie, comme
ça commence à venir très timidement en France.

Chaque situation locale est particulière, avec ses données
particulières de guerre sociale, mais chacune renvoie à l’autre et
va dans le même sens : des insurrections toujours plus rapides,
toujours plus radicales, toujours plus fortes, contre des formations de
nouveaux pouvoirs centralisés toujours plus lents, toujours plus
instables, toujours moins consolidés.

En ce moment même, le peuple tient la rue en Egypte tandis que Moubarak
n’ose pas partir réellement par la pression des américains qui
anticipent les conséquences d’une “démission”, même si ça ne reste qu’une démission, sur la ferveur du peuple
algérien qui, après-demain, est censé faire une Grande Marche contre le
régime à Alger, quadrillé d’ailleurs depuis ce soir par 30.000 flics,
avec tous les trains à l’arrêt jusqu’à nouvel ordre par les flics, des
barrages sur toutes les routes, et le déploiement d’hélicoptères.

En Tunisie, l’insurrection aurait pu se “contenter” victorieusement de
la fuite forcée de Ben Ali dû au retournement de position du chef
d’Etat-Major de l’armée de terre. Mais le peuple insurgé n’a fait que
grossir ses rangs, retrouvant sa force et sa solidarité par ce qui
n’est désormais qu’une “première” victoire. Le pouvoir se diffuse dans
la rue, dans l’action et l’initiative populaire même, ce dont se
rendent comptent tant les premiers insurgés qui se sont affrontés à la
police que les derniers éléments populaires qui viennent à peine de
rejoindre les manifestants. Quand la peur change de camp, que le peuple
se redécouvre tel face à la donne répressive qui recule, chaque
nouvelle initiative populaire n’a que plus de force et de cohésion :
Caravanes de la Libération, siège populaire de la Kasbah, Comités
d’Autodéfense et Comités Populaires, auto-armement (bien qu’encore
précaire), patrons virés par les travailleurs eux-mêmes, etc. Et toute
répression qui ose encore se déclencher voit une riposte encore plus
immédiate et massive. Tel est le processus révolutionnaire en cette
seule perspective de renversement : la peur change de camp.

De sorte qu’un gouvernement provisoire à peine formé, quelques jours à
peine ont suffi pour que tous les ministres quittent le pouvoir sous la
pression de la rue, bientôt la dissolution du RCD, et ainsi de suite.

Et comme les peuples reprennent les uns après les autres l’initiative
insurrectionnelle, la répression se durcit dans ses premiers coups mais
son échec fatal et final n’en est que plus phénoménal : tel fut le cas
en Egypte. Et la notion de peuple s’élargit et se consolide encore : du
peuple tunisien puis celui egyptien, les camarades de là-bas parlent
déjà maintenant de Peuples Arabes, voir LE peuple arabe insurgé.

Les troubles se sont répandus dans toute la région. Et pour autant,
cela reste incontrôlable : les discours nationalistes,
pseudos-démocratiques de pseudo-opposition, religieux, staliniens,
aucun ne parvient à prendre la “tête” de ces mouvements
insurrectionnels incontrôlés qui parviennent à se passer et à dépasser
toute forme de représentation, toute forme d’organisation
institutionnelle et spectaculaire. La tâche d’huile insurrectionnelle
ne s’en répand que d’autant plus vite.

En Algérie, les dernières émeutes et barricades furent auto-organisées,
mais sans représentation spectaculaire, barrant les routes, bloquant
les flux, s’affrontant avec la police simultanément à plusieurs
endroits stratégiques et sous la même forme informelle. D’où la peur
des dirigeants qui ont quadrillé depuis ce soir Alger avec 30.000
flics, le déploiement de barrages policiers et d’hélicoptères et la
mise à l’arrêt des trains jusqu’à nouvel ordre : la guerre sociale
devient guerre civile; puisque même l’Etat bloque ses propres flux de
capitaux et de marchandises, et donc sa réalité sociale spectaculaire, afin de pour
pouvoir “gérer” les troubles insurrectionnels et rendre plus efficaces
toutes les formes de répression imaginables, les affrontements n’en
sont que plus durs et la seule réalité “sociale” du pays devient la
guerre sociale ouverte de haute intensité. Affrontement mis à nue de ce
qui est désormais bien plus qu’une stricte lutte des classes. C’est la
lutte contre le pouvoir d’Etat en lui-même, dénommé encore maintenant
sous l’entité de “régime” : appel à la chute du régime, à combattre le
régime, à mettre à bas le régime, etc. Et dans ces états de guerre sociale de haute intensité, de “crises” comme ils disent, l’économie ne tourne plus, les marchés s’effondrent, le travail est déserté, les flux sont paralysés : tout se concentre dans la rue où se déploie la guerre sociale, qui pourrait d’ailleurs prendre d’autres formes (plutôt que d’ “attendre” les démissions ou fuites des chefs d’Etat, tout de suite se réapproprier les outils de production, les outils de distribution et de médias pour les détourner en armes d’insurrection).

Idem dans les cas du Yemen, Jordanie, Lybie, où les troubles augmentent, etc.

Nous sommes ainsi entrés dans l’ère de la fin des Pouvoirs d’Etat, une nouvelle phase historique inédite, où les seuls chaos à craindre sont des chaos de répression. Toutes les mesures sécuritaires, liberticides et fascisantes qui se multiplient en Europe confirment que la peur change de camp : l’Etat durcit sa position encore préventive de la guerre sociale à haute intensité. Les nouvelles forces de police telles Europol, les nouvelles donnes sécuritaires de flicage du net, flicage des “agitateurs”, LOPPSI2, rafles d’anars comme à Lille, appareil judiciaire plus répressif avec des peines exhubérantes, nouvelles armes dites non-létales et drônes, adaptation permanente des discours médiatiques dominants pour légitimer les positions d’Etat, criminalisation en hausse des mouvements sociaux, flicage du “droit” de grève, augmentation des appareils de surveillance, etc etc.
Tout cela ne montre qu’une chose : l’Etat a peur. Et la guerre sociale devient plus complexe, plus subtile, plus dure, mais en même temps apparaît avec toujours plus de clarté évidente.

En ce qui concerne la situation en Egypte, où après les discours d’une rare violente hypocrisie, mais sans surprise, de Moubarak et du vice-président Souleiman qui a désormais officiellement les pouvoirs présidentiels, on dirait que les américains, qui font d’énormes pression sur l’Etat-Major de l’armée et sur le pouvoir egyptien, “teste” les réactions populaires nationales, en même temps qu’il a anticipé les prochains troubles en Algérie après-demain.
Avec un risque évident : si Moubarak reste au pouvoir sans avoir “officiellement” de pouvoir (présidentiel), sorte de double-jeux très dangereux pour l’Etat, autant le pari est réussi de faire style d’avancer vis-à-vis de la colère populaire par une stagnation masquée, autant le risque est triplé, car si le peuple egyptien demain va attaquer le Palais Présidentiel comme les appels de ce soir l’affirment, alors cette fausse-démission pourrait se transformer en fuite forcée et banqueroute. Ce qui renforcera encore davantage la force insurrectionnelle.
Idem par rapport au rôle de l’armée en Egypte, bien plus subtil qu’en Tunisie car dans une position beaucoup plus délicate : l’Etat-Major veut maintenir l’ordre, la “sécurité”, la stabilité et le pouvoir, d’où qu’ils viennent. Pour cela, ils ne peuvent prendre position contre Moubarak de peur d’engendrer un “chaos” par la dislocation immédiate du Pouvoir d’Etat si les généraux forçaient Moubarak à fuir, mais d’un autre côté ils ne peuvent pas non plus prendre position pour Moubarak car l’armée se trouverait scissionnée. C’est bien pourquoi les hauts officiers ont refusé d’appliquer l’ordre de réprimer, et donc de tirer, à la demande de Moubarak, car il est évident que la plupart des soldats désobéiraient, entraînant une dislocation complète de la hiérarchie et de l’appareil militaire. Pour autant, les hauts-gradés laissent passer les mercenaires armés sur la place Tahrir pour créer un chaos et faire croire qu’il est inhérent à l’insurrection même. Cette tactique a fait ses preuves jusqu’à maintenant, mais elle a ses limites. Les soldats vont finir par se détacher de leur hiérarchie, ce dont parlent beaucoup les américains ce soir (Obama a réuni en urgence un conseil de la sécurité nationale après le discours de Moubarak) car c’est une crainte réelle pour eux, et les manifestants finissent par comprendre la véritable position de l’armée : bras armé du pouvoir, quelque soit le pouvoir.

Les prochaines 48h seront décisives pour l’élan insurrectionnel en Afrique du Nord : suite aux discours désastreux et prévisibles de Moubarak et Souleiman, le peuple se prépare à de grandes manifestations offensives demain après la prière. Cela débouchera soit sur un chaos sanglant de répression, soit à la fuite forcée et lamentable des dirigeants. Une scission au sein de l’armée est plus que prévisible. Et cela aura des conséquences immédiates sur la portée insurrectionnelle de la journée de manifestations à Alger le 12.
Ce qui est sûr, c’est que tout ira très vite, et qu’il y aura beaucoup de sang.

Le discours de Souleiman est ignoble, mais froidement et implacablement logique dans la perspective du Pouvoir d’Etat en tant que tel dans la guerre sociale de haute intensité :

Omar Souleiman a débuté son discours à la télévision d’Etat.
22h35

“Nous avons overt la porte au dialogue, nous avons obtenu uun accord.”
22h36

“La porte est toujours ouverte pour plus de dialogue. Et je répète que je suis engagé pour faire tout ce qui est nécessaire à une transition”.
22h36

Obama réunit son équipe de sécurité nationale après le discours de Moubarak.
22h36

“Nous devons travailler à restaurer la confiance entre nous”, affirme encore Souleiman.
22h37

“J’appelle tous les citoyens à regarder vers l’avenir.”
22h37

“Nous ne pouvons pas permettre les émeutes.”
22h38

“J’appelle les héros d’Egypte : retournez au travail. N’écoutez pas les télévisions étrangères.”

22h38

“N’écoutez que votre propre conscience.”
22h39

“Moubarak a placé les intérêts du pays au-dessus des siens.”

Ces insurrections d’aujourd’hui sont tournés contre toute forme de représentations, d’où qu’elles viennent.
Et, tandis que la peur change de camp et étreint les forces de pouvoir et de représentations justement, plus que jamais la question se pose à tous : qui est ami, qui est ennemi ?

En Europe, il est primordial de commencer à s’auto-organiser lors de l’éclatement local et de plus en plus proche de la guerre sociale à haute intensité : certains parlent de nouvelles tactiques offensives par la Z.A.T.A (occuper la rue autrement, cf interstice), d’autres de stratégies de Conseils des Emeutes…Ce sont des questions pratiques, et révolutionnaires.

, Que souffle le vent de la liberté,
Que se déchaîne la tempête de l’insurrection !