Hossam Tammam, Al Masry Al Youm (english edition), 08/02/2011

(Note du traducteur : cet article a été écrit avant le départ de Moubarak)

Tout débat du statut des islamistes en Egypte fait peu de sens s’il est basé sur les mêmes données qui ont été précédemment utilisées pour étudier des mouvements religieux et s’il ignore le fait que l’Egypte a été témoin d’une révolution qui a détruit beaucoup des vieilles caractéristiques de sa scène religieuse.

La révolution n’a pas été seulement dirigée contre le régime égyptien autocratique, répressif et corrompu. Il a été aussi dirigé contre l’établissement religieux officiel et son discours soutenant ce régime, directement ou indirectement.

La révolution égyptienne a complètement reconfiguré la scène religieuse et a clarifié la position du public vis-à-vis des institutions religieuses et de leurs discours. Le résultat a été surprenant. Personne ne s’attendait à ce que des Egyptiens religieux soient capables d’ignorer le pouvoir de ces institutions et de défier leurs déclarations qu’ils ont soudainement perçus comme compromis à un régime corrompu et répressif.

Les établissements religieux officiels – tant Islamique que Chrétien – ont été parmi les plus grands perdants dans la révolution. Al-Azhar, la prestigieuse institution musulmane, a été en retard dans la compréhension de la situation. Ahmed Al-Tayyib, le Grand Shaykh, a attendu longtemps avant la promulgation de ses déclarations qui finalement soutenait clairement le régime. Comme toute institution religieuse officielle qui est complètement connectée à l’état – structurellement et financièrement – Al-Azhar n’a pas changé de discours durant la révolution.

Al-Azhar a appelé au calme et a dénoncé “le corps à corps” égyptien. Des déclarations vagues mais qui ne font aucune mention au régime. Elle a certes demandé l’ouverture d’un dialogue, mais ce n’est que lorsque le Porte-parole officiel de Al-Azhar, Mohammed Rifa’a Al-Tahtawi, a soumis sa démission et s’est rallié aux manifestants que d’autres dignitaires de l’institution se sont joints aux manifestations.

Pour sa part, le Bureau du Grand Mufti d’Al-Azhar a tout mis en œuvre pour fournir une couverture religieuse au régime. Durant toute la révolution, il est clair que le public a prêté peu d’attention aux prises de position orientées de cette institution religieuse officielle.

La position de l’institution religieuse Chrétienne la plus en vue, l’Église Copte, a été encore plus soumis au régime. Le pape Shenouda s’est opposé le 25 janvier aux manifestations et invite les Coptes à ne pas y participer. Il a maintenu cette position au cours de la révolution, déclarant ouvertement son soutien à Moubarak. Evidemment, beaucoup de Coptes étaient dans les rues, refusant de se soumettre aux directives du Pape.

La révolution est vécue par l’institution comme étant le plus grand défi porté contre l’Église et contre son monopole sur la représentation des Chrétiens d’Egypte. La participation de Chrétiens, la jeunesse en particulier, dans ces manifestations constitue une autre révolution, dirigée contre l’Église qui a utilisé un discours sectaire pour isoler les Coptes de la rue et les rassembler tous derrière le régime de Moubarak, prétextant toujours qu’il offre des garanties à la communauté Chrétienne.

Le mouvement musulman Salafi, quant à lui, a unanimement boycotté la révolution, la décrivant comme étant une sédition (fitna). Ils ont accepté les décennies d’injustice, mais ont rejeté la révolution. La révolution a ainsi révélé une alliance fortuite entre le régime Moubarak et le mouvement Salafi. Ce mouvement est soutenu en grande partie par l’Arabie Saoudite mais ses membres sont périodiquement soumis au harcèlement par le régime égyptien. Cependant, le régime n’a jamais cherché à l’éliminer tant que ce mouvement continuait à le soutenir politiquement.

Un des paradoxes de la révolution égyptienne est qu’un régime qui venait récemment d’interdire les Salafis des chaînes de télévision en les accusant d’inciter aux conflits sectaires a finalement radicalement changé sa position et a utilisé leurs shaykhs dans sa guerre contre la révolution. Ainsi, des personnalités salafis comme Mohammed Hassan, Mahmoud Al-Masri, Mostafa Al-Adawi, sont apparus à la télévision d’état et sur des chaînes privées liées au régime. Ils ont appelé à la fin des manifestations, utilisant des arguments sécuritaires et le danger de sédition (fitna). Certains sont allés jusqu’à douter du patriotisme de ceux qui appellent aux manifestations, arguant du fait que ces troubles sont une conspiration américano-sioniste et/ou liés à la révolution iranienne !

La position des Salafis vis-à-vis de la révolution égyptienne n’est pas une surprise, vu leur soutien indéfectible au régime. On peut rappeler la fatwa qu’ils avaient émis réclamant la mort de Mohammed El Baradei ou celle interdisant de se présenter contre le Président Moubarak lors des élections présidentielles de 2005.

Ce qui est surprenant, cependant, est la position des Salafis à Alexandrie. Cette tendance là est plus indépendante du régime et parfois même s’y opposait. Ses membres ont aussi subi toutes les mesures sécuritaires de l’Etat égyptien. Les campagnes d’arrestations ont atteint un niveau maximal après l’attentat contre l’Eglise Copte d’Alexandrie durant le nouvel an. Des centaines de Salafis ont été arrêtés et torturés, parfois à mort. Malgré cela, les Salafis d’Alexandrie se sont opposés à la révolution, allant jusqu’à la fermeture de quelques mosquées lors du “vendredi du Départ”, espérant ainsi contrer les projets de manifestations après la prière du vendredi.

Les mouvements Salafis sont la source la plus importante du soutien religieux – direct et indirect – au régime, à l’heure actuelle. Ainsi l’avenir de ce mouvement est en question. Si la révolution finit par triompher cela poussera certainement les Salafis à réviser totalement leurs positions. Par contre, si la révolution est incapable de réaliser ses aspirations démocratiques, le mouvement Salafi pourra continuer à réaffirmer sa vieille position de soutien au régime.

Certainement, cette brève analyse inclut beaucoup de généralisation en ce qui concerne le mouvement Salafi. Le fait que le mouvement Salafi était généralement opposé à la révolution et allié au régime ne signifie pas qu’il n’y avait aucune voix Salafi en faveur de la révolution. Quelques voix ont pris position contre le régime, peut-être même de façon plus radicale que beaucoup de libéraux ou de gauchistes.

Le reste des forces politiques comprenant le courant islamiste est divisé entre les tendances Jihadi armés qui ont combattu contre le régime durant des décennies avant de renoncer à la violence et les groupes non-violents, tels les Frères musulmans.

À l’exception de déclarations de soutien aux manifestations faites par quelques leaders Jihadi tel que Tarik Al-Zumur, Al-Jamaat Al-Islamiya et le reste du Jihadis (ayant renoncé à la violence) ont appelé à l’arrêt immédiat des manifestations. Al-Jamaat Al-Islamiya ne veux pas du départ de Moubarak tout en exprimant sa satisfaction de son intention de ne pas vouloir renouveler son mandat. Mais les leaders d’Al-Jamaat Al-Islamiya ont insisté sur leur désir d’être associer au dialogue politique, bien qu’il n’ait pas participé à la révolution. Le régime a immédiatement accepté leur requête. Cela faisant partie de la stratégie du régime d’inclure beaucoup de forces politiques différentes dans un dialogue pour discuter des demandes qui ne sont pas ceux de la révolution.

Pour leur part, les Frères musulmans, eux, continue à participer aux manifestations. Cependant, il y a eut quelque changement dans la position des Frères musulmans lorsque ce mouvement a consenti à participer à un dialogue national initié par le pouvoir, alors que Moubarak est encore au pouvoir. Les Frères musulmans ont ainsi cédé sur la demande initiale du départ immédiat du président avant d’entamé tout dialogue.

Beaucoup doutent que les Frères musulmans reste malgré tout assez proche du régime, même s’ils manifestent dans la rue. Et il y a toujours cette revendication de devenir un mouvement politique légal et cette volonté de capitaliser les bénéfices de la révolution dans des améliorations tangibles de la position politique et légale du Mouvement, tant à l’intérieur du pays qu’à l’étranger.

De ce fait, beaucoup chez les Frères musulmans semblent encore agir avec une mentalité pré révolutionnaire, comme si aucune révolution n’a eu lieu et comme si le régime était toujours aussi fort. Ils peinent à se décider s’ils doivent entièrement s’approprier les demandes de la révolution ou pas.

(Traduction : Yamin Makri)