Note Feuille de Chou

Il y a plusieurs façons d’intervenir militairement pour éviter que des centaines de Libyens meurent encore, sans qu’un seul soldat impérialiste pose le pied dans le pays.

Ne serait-ce qu’une attaque au missile contre le bunker de Kadhafi, ou l’usage de ces bombes de 1 tonne capable de percer le béton qu’avait utilisée l’État sioniste contre l’immeuble d’un résistant palestinien.

http://oumma.com/Faut-il-intervenir-militairement

Faut-il intervenir militairement en Libye ?
par Alain Gresh - publié le samedi 26 février 2011

Depuis la chute du régime Ben Ali en Tunisie, une vague de soulèvements
submerge le monde arabe, portée par les images de la chaîne Al-Jazira, qui
permet à l’opinion de suivre en direct les événements. Du Maroc à Bahreïn,
de l’Algérie à l’Irak, les citoyens, le plus souvent désarmés, descendent
dans la rue pour demander des réformes politiques et une plus grande
justice sociale. Dans la plupart des cas, les autorités hésitent à faire
un emploi indiscriminé de la force. En Libye, en revanche, les
manifestants se sont heurtés à la répression la plus terrible (Le Monde
diplomatique publie dans son prochain numéro, en kiosques le 2 mars, un
dossier de huit pages sur « le réveil arabe »).

Les informations provenant de Libye sont contradictoires, partielles,
quelquefois non confirmées. La brutalité du régime ne fait aucun doute, et
le nombre de morts est important : des centaines selon les organisations
non gouvernementales, probablement plus compte tenu de la violence
utilisée par les milices du régime. Si l'’est du pays, avec les villes de
Benghazi et de Tobrouk, est tombé aux mains des insurgés, ce qui a permis
l’'entrée dans le pays de journalistes étrangers, la partie ouest, et
notamment Tripoli, restent inaccessibles. Kadhafi a apparemment repris en
main la situation dans la capitale, et il semble avoir gardé la confiance
des tribus [1] de la région ,(« Gaddafi tightens grip on Libyan capital as
rebels swiftly advance west » par Leila Fadel et Sudarsan Raghavan, The
Washington Post, 24 février). Il vient d’'annoncer que Tripoli serait
ouverte dès demain à tous les journalistes. Par ailleurs, il s’appuie sur
des mercenaires de pays d’Afrique subsaharienne, ce qui risque de
développer le racisme anti-Noirs dans le pays.

Le caractère erratique et dictatorial du colonel Mouammar Kadhafi a été
confirmé par son discours illuminé prononcé le 22 février 2011 (lire une
traduction en anglais ici ). Le leader libyen y a rappelé les conquêtes de
son règne – en particulier l'’obtention du retrait des bases britannique et
américaine et la nationalisation du pétrole – qui lui avaient acquis, au
début, une popularité incontestable et une condamnation occidentale aussi
massive. Mais il a aussi, dans son discours, multiplié les propos
menaçants et incohérents, affirmant qu’'il ne pouvait pas démissionner car
il n’'occupait aucun poste officiel, qu’'il se battrait jusqu’'à la dernière
goutte de sang, que le pays allait vers la guerre civile, etc.

Les indignations justifiées contrastent avec le silence qui prévalait
quand le régime, au début des années 2000, alors que s'’esquissait la
réconciliation avec l'’Occident, écrasait sans pitié les islamistes. La
détention et la torture de militants islamistes en Libye (comme en Egypte
ou en Tunisie) n’'indignaient pas les bonnes âmes.

Quoi qu’il en soit, les appels à des interventions militaires se multiplient.

Marc Lynch, sur son blog de Foreign Policy, est très clair, comme
l’indique le titre de son envoi : « Intervening in the Libyan tragedy »
(21 février 2011) :

« La comparaison doit se faire avec la Bosnie ou le Kosovo, ou encore avec
le Rwanda : un massacre se déroule en direct à la télévision et le monde
est incité à agir. Il est temps pour les Etats-Unis, l'’OTAN,
l’'Organisation des Nations unies et la Ligue arabe d’'agir avec force pour
essayer d’'empêcher la situation déjà sanglante de dégénérer en quelque
chose de bien pire. »

On a un peu de mal à comprendre ces comparaisons. Au Rwanda, on avait
affaire à un génocide qui a fait des centaines de milliers de morts. Quant
au Kosovo, il est douteux que l'’intervention militaire ait été un succès
(lire Noam Chomsky, « Au Kosovo, il y avait une autre solution », Le Monde
diplomatique, mars 2000).

Marc Lynch poursuit :

« En agissant, et j’'entends par là une réponse suffisamment énergique et
directe pour empêcher le régime libyen d’'utiliser ses ressources
militaires pour écraser ses adversaires. J’ai vu des rapports selon
lesquels l’OTAN a sévèrement mis en garde la Libye contre de nouvelles
violences contre son peuple. Rendre cela crédible pourrait signifier la
déclaration et l'’imposition d’une zone d’exclusion aérienne sur la Libye,
sans doute par l’OTAN, pour empêcher l’'utilisation d’avions militaires
contre les manifestants. »

Un point de vue que conteste fortement Justin Raimondo, sur le site
Antiwar.com, « Interventionists Target Libya » » (23 février) :

« Le spectre d’'une intervention américaine est juste ce que Kadhafi
souhaite : cela jouerait en sa faveur. Comme c’est souvent le cas des
actions américaines, cette intervention aurait exactement les effets
contraires à ceux recherchés. (...) Est-ce que le professeur Lynch croit
vraiment qu’'une intervention “énergique” (...) ne renforcerait pas la
position de Kadhafi ? [Il] sait comment utiliser les passions et les
préjugés de son peuple et sa stratégie est clairement de diviser son pays
selon des lignes générationnelles. » (...)

« Une intervention occidentale renforcerait Kadhafi et le sauverait
peut-être d’une fin bien méritée. Elle donnerait des munitions au courant
islamiste marginal qui sympathise avec Al-Qaida. Tous deux seraient
confortés dans leur point de vue : regardez, dirait Kadhafi, les étrangers
reviennent pour prendre le contrôle du pays ; regardez, diraient les
islamistes, les Croisés viennent pour voler votre révolution. »

Les images qui proviennent de Libye sont terribles. Mais qui a demandé une
intervention militaire occidentale quand les avions israéliens
bombardaient Gaza durant l’opération Plomb durci ? ou lors des
bombardements de l’'OTAN en Afghanistan ? ou de l'’Irak par les Etats-Unis ?
Faut-il y intervenir militairement, contre Israël et les Etats-Unis, cette
fois ?

Et puis, le cas irakien est là pour nous inciter à la prudence. La
dictature de Saddam Hussein était l'’une des plus brutales du
Proche-Orient, elle aussi alliée des Etats-Unis tant que le régime menait
une guerre d’'agression contre l'’Iran. Son invasion du Koweït a changé la
donne et a fait de lui un paria. Mais qui peut penser, huit ans après
l'’intervention américaine en Irak, que celle-ci a été un succès ? Les
manifestations, aussi bien dans le Kurdistan irakien (présenté comme un
modèle de démocratie) que dans le reste du pays, ont fait l’'objet d’une
répression brutale, dont peu de médias ont parlé.

Que faire alors ?

D’abord, accepter le fait que, sauf dans des cas de génocide comme au
Rwanda, une intervention militaire sous l’égide de l'’ONU n’est pas
toujours la meilleure solution. D’'autant qu’'elle serait sans doute
déléguée à l’OTAN, dont le rôle en Afghanistan ne semble pas vraiment
positif. Les mouvements tunisien et égyptien ont abouti sans intervention
militaire extérieure.

Il faut aussi se réjouir de la position de la Ligue arabe qui, pour la
première fois, suspend un Etat-membre pour des problèmes relevant de la «
souveraineté nationale ». Cette position, comme celle de l’'Union africaine
et de l’'Organisation de la conférence islamique, devrait aggraver les
fissures dans le régime, notamment dans l’armée et chez les diplomates,
nombreux déjà à avoir abandonné Kadhafi. Elle aura plus de poids que celle
de gouvernements européens et américain, soupçonnés, non sans raison,
d’'arrière-pensées, et qui ont développé avec le dictateur libyen
d’étroites relations ces dernières années.

On peut aussi, pour l’'Union européenne, tirer quelques leçons pour l’avenir.

S’il n’est pas possible pour les Etats européens de fonder toute leur
politique étrangère sur le respect des droits humains, et s’il est
impossible et non souhaitable de rompre les relations avec tout régime qui
les violerait (avec Israël, par exemple), il est certain que l'’on peut
adopter des politiques plus équilibrées entre intérêts et principes,
d’'autant plus que bien des projets mirifiques se sont révélés des mirages
(lire Alain Faujas, , LeMonde.fr, 24 février) : « Les dangers et les
illusions du commerce avec Kadhafi »

— Au cours des dernières années, les pays européens, dont la France, ont
armé les forces libyennes, les ont conseillées, et leur ont ainsi donné
les moyens de se battre contre leur propre population (la France
envisageait même de leur vendre des Rafales) ;

— L’'appui au régime du colonel Kadhafi dans l'’Union européenne, et
notamment en Italie, s’'est fondé sur un chantage : la capacité pour la
Libye de stopper le flux des immigrants africains vers le Vieux continent
; cette obsession migratoire amène Bruxelles à aider toute une série de
régimes peu soucieux des droits humains à gérer eux-mêmes, dans des
conditions souvent terribles, les immigrés. A tout prix, il faut défendre
la forteresse Europe ; et, de ce point de vue, Kadhafi était un allié que
Silvio Berlusconi, notamment, répugne à abandonner (lire Stefano Liberti,«
L’Italie et la Libye main dans la main » , Visions cartographiques, 25
août 2010) ;

— Comme dans sa coopération avec les autres pays du pourtour
méditerranéen, l’Union européenne a fait prévaloir les principes du
libre-échange sur le développement, multipliant les rapports élogieux sur
la Tunisie ou l’'Egypte ; n’est-il pas temps, comme y invite George Corm, à
faire prévaloir une autre conception ? (« Quand la “rue arabe” sert de
modèle au Nord », LeMonde.fr, 11 février).

Il est malheureux que les préoccupations essentielles des Européens face
aux événements de Libye soient avant tout la crainte concernant les
exportations de pétrole [2] et la peur de voir affluer des vagues
d’immigrés. Cela ne présage rien de bon pour l’avenir.

Les principes évoqués, plutôt que l’appel aux interventions militaires,
devraient guider la politique européenne à l’égard de tous les pays
arabes, notamment ceux du sud de la Méditerranée qui sont touchés par la
vague révolutionnaire qui déferle sur le monde arabe.

Notes

[1] Sur les tribus, sujet complexe que je ne prétends pas connaître bien,
on pourra lire « Libya - Tribal Rivalries », sur le site Bnet.

[2] Lire « Batailles pour l’énergie », Manière de voir, n° 115,
février-mars 2011, actuellement en kiosques.

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