Abdelwahab Meddeb devait intervenir à Strasbourg en compagnie de Jean-Luc Nancy, mais ce dernier étant hospitalisé, il a été question du dernier livre de l’auteur, Printemps de Tunis.
Nous publions l’intervention audio de Meddeb, suvie par quelques remarques critiques sur des aspects de ses dires
Abdelwahab Meddeb à la librairie Kléber de Strasbourg
Interrogé sur la très contestée, ici, comme là-bas, en Tunisie, utilisation par les médias de l’expression « révolution du jasmin », il fait état de ses hésitations pour le titre du livre, finalement appelé Printemps à Tunis.
Dans un second tirage il ajoutera un poème Rose d’Orient sur le jasmin.
Il faut dire que cette appellation semblait injurieuse pour les morts en Tunisie.
Il insiste à juste titre sur la rapidité de l’événement, de la mort par immolation, le 17 décembre 2010, à la chute de Ben Ali, le 14 janvier.
Le rôle d’Internet est « inouï » et constitue un « grand événement ». Toute la structure du pouvoir a été brisée grâce à une mobilisation permise et amplifiée par le web. Ce n’est pas tout à fait une nouveauté, puisqu’aux États-Unis, cela a servi la campagne de Obama: le gain en valeur a été comptabilisé. Il aurait fallu trois fois plus de moyens traditionnels.
En Syrie, cela souligne la panique du pouvoir qui réprimait déjà férocement, en silence, en 1985, et il fallait des semaines pour que l’information sorte; mais cette fois Assad n’échappe pas aux images.
En Iran aussi, la répression a été filmée en juin 2009. La Chine panique aussi.
Il fait état de discussions avec des leaders égyptiens et tunisiens. Il y a un monde entre la chute d’une dictature et la démocratie. Il souligne que les islamistes sont les mieux organisés et que les jeunes qui ont conduit la révolution sont comme ceux d’ici. Ils appartiennent à la blogosphère et se méfient des partis politiques, préférant agir du site de la société civile. On se prend à penser qu’en France, et en Europe aussi, la crise du politique se traduit de la même façon par des mobilisations successives qui retombent puis repartent, sans que les partis en soient grossis et réhabilités aux yeux des citoyens.
Il fait état d’une altercation avec DSK sur la question de la corruption et du rôle du FMI dans le soutien au pouvoir de Ben Ali. Il rappelle que la révolution tunisienne, pas plus que l’égyptienne ne sont tombées du ciel et que, quelques événements ont précédé, sans qu’ils aient été remarqués, comme une grève dure en 2006 dans le delta contre des délocalisations, ou pour les salaires. Il n’évoque pas la grève des mineurs de Gafsa ni les combats pour les droits de l’homme, deux luttes qui ont fini par se rencontrer.
Soutenir les dictatures n’est plus possible Meddeb fait état de débats durs, y compris dans sa famille, entre des positions qu’il n’hésite pas à qualifier d’éradicatrice, la sienne, et celles de sa femme et de sa fille. Il fait référence au philosophe Empédocle, pas au sens où le conflit serait celui de l’amour et de la haine, mais au sens cyclique de Nietzsche. On peut mesurer des séquences haine/amour.
Dans le monde entier, au début des années 1970, commence un cycle néo-conservateur, et islamiste. Trente ans après, c’est un autre cycle qui commence. Il rappelle l’époque du Shah d’Iran, pour l’opposer, comme un moindre mal… par rapport au régime qu’il prétend totalitaire des mollahs. Il a souvent été qualifié de « traître » et présente en effet le régime de Bourguiba et Ben Ali comme moins pire que serait un régime islamiste. Il n’a pas collaboré mais s’est fait une raison. Bourguiba est un produit de l’école de Jules Ferry. L’État, selon Meddeb, a vocation à instruire le citoyen de sorte qu’il soit armé contre la servitude volontaire. On s’est souvenu à ce moment de Marx qui disait que ce n’est pas à l’État d’instruire le peuple, mais au peuple de l’éduquer, et sévèrement…
Il a lu ensuite l’appel du 17 janvier qui se trouve dans le livre. Au sujet des débats pour une Constituante, il a regretté qu’on ne prenne pas comme base le « noyau sain »… de la Constitution tunisienne de 1949! Elle ne comporte aucune trace de charia et prône une « conception moderne de la citoyenneté ». Là, on a profité qu’on était assis au premier rang pour murmurer « et la torture dans les commissariats ?», ce qu’il a repris, comme en passant. Il a fait l’éloge du statut personnel qui est égalitaire à l’exception de la loi successorale. Pour la Constituante, il y aurait nécessité d’une plate-forme de 8 à 10 points intouchables qui devraient être la condition sine qua non pour que les partis puissent se présenter aux élections du 24 juillet prochain. A noter que l’élection se fera, et il le regrettait, à la proportionnelle intégrale en un seul tour et que la loi sur la parité oblige les partis, non seulement à présenter des listes hommes/femmes, mais à faire que soient élus aussi bien des femmes que des hommes à la parité. Cela fera de la Tunisie l’État le plus féministe au monde pour l’Assemblée!
Après l’intervention quelque peu obscure, au début, d’un gréviste de la faim pour la fermeture de Fessenheim, le débat a repris sur le sujet. Meddeb a évoqué cette image d’un Tunisien sorti la nuit et qui dansait comme un fou tel un funambule, image de la liberté acquise selon son interprétation. Mon voisin, journaliste tunisien, persifleur, me glissa à l’oreille que cette personne était ivre…
Après avoir évoqué Tocqueville, Meddeb répondit à la question d’un certain accommodement avec des dictatures laïques. Il s’en accommodait, dit-il, sans collaborer, car ces dictatures autorisaient la « liberté des mœurs ». Là on s’est dit que le point de vue d’un intellectuel petit-bourgeois était décidément incompatible avec celui d’un paysan, d’un ouvrier, de quelqu’un du peuple…
Il a expliqué la révolte par la contradiction entre une éducation laïque et rationaliste et la réalité de la rue et du pays. Un peu comme en ex-URSS. La dictature du Shah en Iran a été qualifiée de « minimaliste »! Elle aurait été plus supportable que le « totalitarisme » iranien actuel. On a du mal à accepter une telle préférence! Il a fait l’éloge des « États autoritaires éclairés »… les Ataturk, Shah, Bourguiba. Bien entendu, pour lui, ces États seraient préférables aux États islamistes. A la question de savoir s’il n’aurait pas été préférable et plus démocratique de laisser les islamistes algériens gagner les élections au lieu d’interrompre brutalement le processus électoral, au prix de 200 000 morts, il n’a pas voulu répondre de manière tranchée. Il ne sait pas. Il a opposé deux système, celui ou la république prime sur la démocratie, et celui, plus anglo-saxon ou c’est la démocratie qui prime sur la république. Ce dernier modèle semble l’emporter en ce moment. Il rendu hommage aux morts tunisiens et égyptien, appelé à se solidariser avec les réfugiés. Le islamistes d’Ennahda semblent très respectueux des règles mais selon Meddeb, il y aurait une contradiction entre cette acceptation et des éléments irréconciliables, en Égypte comme en Tunisie. Ce qui serait souhaitable selon lui serait que les partis islamistes s’ils font 40 % à l’Assemblée ne puissent en même temps être à la présidence. I l faudrait aller vers un État civil islamiquement référencé, selon les partis islamistes. On doit accepter dans la charte, selon Meddeb pour l’Islam, la civilisation, mais pas la religion à cause de la charia.
Le Monde:
De la charia à l’islamophobie, de l’homosexualité au statut de la femme
Peut-on qualifier de post-islamiques les mouvements émancipatoires que connaissent le Maghreb et le Machrek depuis janvier dernier ? Estimez-vous que la question religieuse n’y a pas été centrale et, si c’est le cas, comment l’expliqueriez-vous ?
Dans Le Monde diplomatique:
http://blog.mondediplo.net/2011-07-27-La-maladie-d-Abdelwahab-Meddeb-et-la-revolution
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