lu dans les DNA
[mis en gras par la Feuille de Chou]
Éducation / Bilinguisme français-allemand
Coup de canif dans le paritarisme
Fierté régionale, l’enseignement bilingue va évoluer à la rentrée prochaine avec l’ouverture en primaire de classes proposant un apprentissage de 8 heures en allemand au lieu des 12 heures en paritarisme. Un dispositif expérimental préparé par le rectorat et approuvé par les collectivités territoriales.
« Ce dispositif apporte de la plus-value à l’apprentissage de l’allemand », assure le recteur de l’académie de Strasbourg, Armande Le Pellec-Muller. Mais il n’est pas sûr que les défenseurs du sacro-saint paritarisme n’entendent ses arguments. Des arguments que le recteur a présentés, le 27 mai dernier, lors d’une réunion quadripartite entre les représentants de l’Éducation nationale, de la région Alsace et des deux conseils généraux du Bas-Rhin et du Haut-Rhin.
« Nous avons fait au rectorat un certain nombre d’observations », explique Armande le Pellec-Muller. Tout d’abord, « après le primaire, le bilinguisme souffre d’une défection d’élèves ». Plus de 10 % des élèves scolarisés dans les écoles maternelles et élémentaires d’Alsace sont inscrits dans la voie bilingue paritaire, soit environ 19 000 élèves. Mais seuls 3 440 collégiens sont inscrits en section bilingue, soit 4 % des effectifs, et 1 086 lycéens en section Abibac. « Nous voudrions rendre l’enseignement bilingue plus attractif en termes de poursuites d’études », expose Armande Le Pellec-Muller.
Des raisons pédagogiques, d’équité sociale et budgétaire
La seconde observation du recteur est d’ordre économique. Dans un cadre budgétaire contraint, l’enseignement en allemand est une particularité de notre académie qui représente un investissement annuel de 17 millions d’euros pour l’Éducation nationale, dont un surcoût de 9,5 millions d’euros par rapport aux académies qui ne développent pas le bilinguisme. « En collège, le surcoût est de 80 équivalents temps plein pour 3 500 élèves », indique le recteur. Cet effort budgétaire a permis de développer les sections bilingues, bilangues, les sections européennes… « Il n’y a aucune intention de remettre en cause l’engagement de l’État », affirme le recteur. Un engagement écrit noir sur blanc. Dans le cadre de la convention quadripartite signée en 2007 entre l’État, la région Alsace et les deux départements du Bas-Rhin et du Haut-Rhin, les trois collectivités territoriales apportent chacune un million d’euros annuels dans la corbeille du bilinguisme.
Le troisième argument favorable à la création du nouveau dispositif est lié à la difficulté de recruter des professeurs d’allemand, ou plutôt des professeurs susceptibles d’enseigner en allemand. Dans le paritarisme, des disciplines du premier degré, comme les mathématiques, servent de support à l’apprentissage de l’allemand. Dans le nouveau dispositif, un seul enseignant, contre deux actuellement en bilingue paritaire, pourra assurer l’ensemble des heures de cours en français et en allemand, prévoit le recteur. Le bilinguisme dans le second degré pose également de gros problèmes de recrutement de professeurs capables d’enseigner en allemand des disciplines non linguistiques.
La quatrième remarque avancée par Armande Le Pellec-Muller repose sur une volonté de justice sociale. « Le cursus bilingue recrute parmi les classes sociales moyennes et favorisées. Il est peu ouvert à la diversité sociale. Nous avons un peu échoué ».
« Rendre pérenne le cursus bilingue »
Selon le recteur, le nouveau dispositif apportera plusieurs avantages. « Il doit rendre pérenne le cursus bilingue, le rendre plus attractif et l’ouvrir à la diversité sociale », le tout sur fond de tensions. Alors que « l’on ouvre des classes à faibles effectifs dans le bilingue, il faut rendre le bilinguisme acceptable à la communauté éducative dans une période où les effectifs des classes sont en augmentation ».
Ce nouveau dispositif va également être l’occasion de développer une autre méthode d’enseignement de l’allemand. « Nous proposons dans le premier degré de passer de 12 heures à 8 heures d’enseignement en donnant plus de place à la langue orale, à la pratique de la langue. Nous allons essayer de moins spécialiser les élèves, ainsi dans l’apprentissage du vocabulaire allemand, et de développer plus leurs compétences générales de communication ».
Une expérimentation, pas « une substitution »
Ce nouveau dispositif est « une proposition d’expérimentation, pas une substitution au bilinguisme paritaire », insiste Armande Le Pellec-Muller. Dès la rentrée prochaine, cette expérimentation sera menée en primaire dans « quelques cas d’ouvertures de classes bilingues. Le cursus bilingue paritaire de 12 heures coexistera avec le cursus bilingue rénové de 8 heures ». Les élèves engagés dans un cursus paritaire pourront poursuivre dans cette voie. « Il n’est pas question de substituer le nouveau dispositif à l’autre pour l’instant ».
En collège, le cursus bilingue, qui n’est pas paritaire, pourra être ramené à sept heures d’enseignement en allemand, soit quatre heures de langue allemande, une heure de Langue et culture régionale et deux heures de disciplines non linguistiques, comme l’histoire-géographie. En lycée, de nouvelles sections bilingues verront le jour avec une heure en allemand en Langue et culture régionale, une heure en allemand dans une discipline non linguistique en plus du volume réglementaire de langue vivante qui varie selon les filières. « L’idée est d’offrir à tous les lycéens de ce cursus une certification en langue B2 », suggère le recteur. « On sort de la logique quantitative pour passer dans une logique de cursus, du primaire au lycée ».
Attirer plus d’élèves vers le bilinguisme
Lorsque les premières expérimentations auront été menées, le rectorat « comparera les acquis des élèves et la plus-value scolaire de chacun des deux systèmes. Tous les ans nous validerons les acquis et nous ferons un point d’étape à trois ans, puis à cinq ans ». Mais d’ores et déjà, Armande Le Pellec-Muller estime que le nouveau dispositif va attirer plus d’élèves vers le bilinguisme. « Ce dispositif, c’est de la plus-value ».
Un avis que semblent partager les représentants de la région Alsace et les départements du Haut-Rhin et du Bas-Rhin, qui ont approuvé, selon le recteur, cette expérimentation lors de la réunion du 27 mai. Depuis, la discrétion est de mise autour de ce projet.
Mais les réactions ne vont pas manquer. Car quels que soient l’argumentaire et les motivations, c’est bien un coup de canif qui vient d’être donné dans le paritarisme.
Jean-François Clerc
Il y a deux mois dans les DNA :
Chômage des jeunes de 2,5 % en Allemagne
Une première convention avait été signée voici dix ans. Dix années au cours desquelles l’Alsace a perdu 10 000 emplois transfrontaliers en Suisse et en Allemagne. Avant que l’apprentissage de l’allemand ne devienne la priorité dans l’académie de Strasbourg, la chute de la pratique de l’alsacien a contribué à ces pertes d’emplois.
« Mais les compétences linguistiques n’expliquent pas tout. Entre 2004 et 2007, le marché de l’emploi dans les régions transfrontalières allemandes était en forte récession. L’amélioration se fait sentir depuis 2007 », explique Bärbel Höltzen-Schoh. De l’autre côté du Rhin, le taux de chômage des jeunes allemands de moins de 25 ans n’est que de 2,5 %. En raison d’un mode de formation différent, la plupart d’entre eux gagnent au départ moins que leurs homologues français.
Mais après la période de formation, « les salaires allemands deviennent intéressants et l’offre d’emploi est très large », assure Bärbel Höltzen-Schoh, ce qui fait dire à Armande Le Pellec-Muller : « Il y a des potentiels en Allemagne et des personnels en France ».
D.N.A. 1er avril 2011