Claude Guéant ministre de l’Education nationale :

Enfin une politique éducative cohérente !

 

 

« … les deux tiers des échecs scolaires, c’est l’échec d’enfants d’immigrés », assénait, sûr de ses statistiques, le ministre de l’Intérieur le 23 mai 2011 sur l’antenne d’Europe 1 – cette « évidence » s’inscrivant dans la (déjà) longue suite d’inepties proférées par le personnage contre ces étrangers qui viennent manger le pain des Français. Les plus établies des statistiques ont beau mettre en évidence le solde économique largement positif de l’immigration (voir L’Etat de la France, La Découverte 2009) ; les plus documentées des études sociologiques sur la réussite et l’échec scolaires ont beau montrer que ce qui compte, dans ces résultats, ce n’est pas l’origine géographique des familles, mais la catégorie socio-professionnelle des parents (voir l’article de Lucie Delaporte qui montre qu’à catégorie sociale égale les enfants de parents immigrés réussissent un peu mieux que ceux de parents français, http://www.sauvonsluniversite.com/spip.php?article4711), ces données vérifiées importent peu au ministre de l’Intérieur. Et pourquoi cela lui importerait-il ? Demande-t-on au premier flic de France autre chose que de taper, au figuré et au propre, sur les étrangers, pour mieux légitimer les quotas d’expulsion ?

 

Bref, si l’on peut comprendre que le ministre de la chasse au faciès n’ait pas à s’embarrasser de la vérité des faits et de la rigueur des raisonnements ; bref, s’il est en somme « normal » qu’il soit condamné à proférer des sottises à jet continu, ne doit-on pas attendre des plus hauts responsables de la gestion du système éducatif que sont les recteurs d’Académie un peu plus de sérieux dans leurs raisonnements, un peu plus d’honnêteté intellectuelle et d’objectivité scientifique dans leurs références chiffrées ? Un recteur d’Académie, n’est-ce pas d’abord un universitaire de haut niveau rompu à la critique, et peu enclin à colporter les fables que l’on se raconte au café du commerce ?

 

Répondant aux questions du bureau d’Orléans de La Nouvelle République du Centre-Ouest du 17 juin 2011, page 7, Marie Reynier, Rectrice de l’Académie d’Orléans-Tours, dévoile ses ambitions pour cette Académie qu’elle dirige depuis le 13 avril 2011. Ses premières remarques sont pour épingler l’esprit routinier et peu innovant des enseignants qu’elle a désormais sous ses ordres. Cette appréciation peu flatteuse repose sur la seule observation que les 2/3 des enseignants sont en poste dans leur établissement depuis plus de 6 ans. De la part d’une universitaire au parcours scientifique hors pair (voir

http://www.ac-orleans-tours.fr/academie/recteur/) on aurait pu s’attendre à une démonstration un peu plus étayée… L’idée qu’elle se fait de l’innovation pédagogique ? « L’Education nationale est trop maternelle et pas assez paternelle pour donner quelques coups au derrière ! On doit pousser les jeunes pour qu’ils aillent plus loin, plus haut. » Donc, si on comprend bien, il faut les pousser à coups de pied au cul. Et déjà à ce stade de l’interview, on se dit que ça a bigrement l’air d’être du Claude Guéant.

 

Et la suite nous montre qu’en effet, le ministre de l’Intérieur est bien son maître à penser. A une question sur le niveau scolaire des élèves, elle répond : « Si on enlève des statistiques les enfants issus de l’immigration nos résultats ne sont pas si mauvais ni si différents de ceux des pays européens. Nous avons beaucoup d’enfants de l’immigration et devons reconnaître notre difficulté à les intégrer. Commençons par combattre l’illettrisme de leurs parents. »

 

La première chose que révèle cette phrase, c’est qu’il n’est pas besoin d’être une victime de l’illettrisme présumé de ses parents pour enfiler les âneries comme on enfile des perles. Dans ces quelques lignes, en effet, un esprit moyennement averti peut en relever au moins 4 :

 

1°/ Si Mme la Rectrice avait dit quelque chose comme : « si on enlève des résultats scolaires ceux des mauvais élèves, on aurait des statistiques bien meilleures », tout le monde aurait ri de ce trait d’humour au second degré – tout en reconnaissant la vérité incontestable d’une telle tautologie. Mais au lieu d’enfoncer une porte ouverte, Marie Reynier s’expose à parler sans savoir, car elle ne peut pas savoir.

 

2°/ Comment fait-elle pour enlever des statistiques les résultats des élèves « issus de l’immigration », dont elle nous dit, sans autre forme de démonstration, qu’il y en a « beaucoup » ? A partir que quand, et jusqu’à combien de générations est-on « issu de l’immigration » ? Et si on a des parents qui sont français, comment sait-on que l’on est « issu de l’immigration » ? Les statistiques de l’Education nationale font-elles la différence entre une famille qui serait française depuis Charlemagne, et une famille qui serait française par naturalisation ? Si l’Education nationale possède des fichiers aussi précis, nul doute qu’ils sont à la fois illégaux, et forts susceptibles d’être convoités par le ministère de l’Intérieur. Pour de futures dénaturalisations, ça peut aider…

 

3°/ A lire notre scientifique de haut vol présentement rectrice de l’Académie d’Orléans-Tours, les pays européens compteraient sensiblement moins d’immigrés que la France. Il est possible que même une rectrice ne sache pas tout. Mais quand on s’aventure es-qualité sur un terrain que l’on connaît mal, on se renseigne avant de l’ouvrir. N’importe quel manuel d’éducation civique de classe de seconde donne la proportion d’étrangers dans la plupart des pays d’Europe occidentale. Un manuel scolaire de classe de seconde, ça doit bien pouvoir se trouver au Rectorat, non ? Allemagne, Royaume-Uni, pays du Bénélux ont des taux de population étrangère comparables, voire supérieurs, à ceux de la France.

 

4°/ La raison de ces faibles résultats présumés, corrélés arbitrairement à l’origine géographique ? L’illettrisme des parents ! Solution : « Commençons par combattre l’illettrisme [des] parents. » Elle s’adresse à qui, Mme la Rectrice ? Aux enseignants ? A ces fonctionnaires routiniers et si peu innovants qu’ils n’ont pas encore compris que c’est aux parents qu’ils devraient dispenser leurs cours ? Et que dire de leurs syndicats, encroûtés dans leurs archaïsmes, qui trouveront à redire à cette belle idée : laissez tomber vos élèves, éduquez les parents !

 

Ce qu’il faudrait à Marie Reynier et à l’Académie d’Orléans-Tours pour améliorer les performances scolaires des élèves, c’est une police aux frontières enfin efficace, qui empêcherait vraiment d’entrer sur le territoire français toute personne « illettrée ».

 

Ce qu’il faudrait à Marie Reynier pour lui permettre d’optimiser les performances de l’Académie qu’elle dirige et de doubler sa prime, c’est d’enlever des classes les enfants issus de l’immigration, – et surtout les enfants des classes populaires, les enfants pauvres, en somme.

 

Quelque chose me dit que c’est bien à cette solution qu’elle pense, notre chantre de l’innovation décomplexée. En fin d’interview lui est posée la question suivante : « Etes-vous étonnée que l’enseignement privé refuse du monde ? »

Réponse :  « Ce qui m’étonne, c’est que, quand il y a grève dans une cantine privée, les parents s’organisent pour assurer la surveillance. Donc ils paient et s’impliquent davantage que dans le public. Comment faire pour susciter cette implication dans le public ? »

 

Mais vous donnez vous-même la solution, Mme la Rectrice : qu’ils paient ! Et que ceux qui ne peuvent pas payer dégagent ! Et qu’ils dégagent aussi, les profs qui sont là depuis plus de 6 ans ! Et qu’ils dégagent enfin, ceux qui n’ont pas de couilles, les trop maternels qui ont peur de flanquer des coups de pied aux fesses à leurs élèves !

 

Ce Claude Guéant femelle vaut bien la version mâle !

 

18 juin 2011

Chantal Beauchamp

Enseignante retraitée


 

 

 

 

 


Cette académie manque d’ambition
17/06/2011 – Nouvelle République
Le nouveau recteur a des idées pour faire progresser l’académie, des méthodes pour y parvenir et aucune langue de bois pour le faire savoir.

Marie Reynier a été nommée en avril.

De notre bureau d’Orléans

Marie Reynier reconnaît : « Je ne peux rien modifier des conditions de rentrée, mais j’ai lancé des études pour faire bouger les choses. »

Quels sont vos premiers constats ou ceux qui vous ont le plus étonnée ?

« Deux tiers des enseignants sont dans leur établissement depuis plus de 6 ans, l’autre tiers, ce sont des étoiles filantes. Ces enseignants, tout en faisant très bien leur travail, sont dans une routine, sans esprit d’innovation. Or je rappelle que nous devons amener la moitié d’une classe d’âge à un diplôme supérieur. L’académie est 4 points en dessous de la moyenne nationale. Nous devons donner de l’ambition aux jeunes, quitte à remettre en cause nos méthodes. Ici, je trouve que, globalement, l’Éducation nationale est trop maternante et pas assez paternelle pour donner quelques coups de pied au derrière ! On doit pousser les jeunes pour qu’ils aillent plus loin, plus haut. »

Le problème n’est-il pas le niveau de fin de primaire ou encore les classes surchargées ?

« Si on enlève des statistiques les enfants issus de l’immigration, nos résultats ne sont pas si mauvais ni si différents de ceux des pays européens. Nous avons beaucoup d’enfants de l’immigration et devons reconnaître notre difficulté à les intégrer. Commençons par combattre l’illettrisme de leurs parents. Quand je vous parle d’ambition, je parle bien sûr aussi de ces jeunes parmi lesquels il y a évidemment de grands talents cachés et qu’on loupe. En ce qui concerne les effectifs, dans certains établissements, 21 élèves c’est trop ; ailleurs on peut aller jusqu’à 30. Il faut mieux répartir les moyens. »
Certains enseignants ” dans une routine sans esprit d’innovation ”
Quelles nouveautés ou réformes jugez-vous utiles de mettre en place rapidement ?

« Il faut d’abord rétablir l’égalité des chances, notamment entre le rural et l’urbain. Je souhaite que les bassins de vie de l’Éducation nationale coïncident avec ceux de l’Insee. Dans ces bassins – nous avons commencé à Bourges – nous devons raisonner de bac -3 à bac +3 et faire travailler ensemble proviseurs et enseignement supérieur, établir un continuum du lycée à l’université. Il faut élargir l’offre de formation, faire la chasse aux CAP qui sont des passeports pour le chômage, identifier les nouveaux besoins (la filière bois, par exemple), réfléchir en inter académie (je pense à Limoges, pour l’Indre), etc. L’académie doit proposer, mais ne pourra mettre en œuvre qu’en partageant sa vision avec les conseils généraux et évidemment le conseil régional. »

Êtes-vous étonnée que l’enseignement privé refuse du monde ?

« Ce qui m’étonne c’est que, quand il y a grève dans une cantine privée, les parents s’organisent pour assurer la surveillance. Donc ils paient et s’impliquent davantage que dans le public. Comment faire pour susciter cette implication dans le public ? »

Propos recueillis par Bruno Besson