Le prochain cercle de silence de Strasbourg aura lieu mercredi 30 septembre 2009, de 18 à 19 heures, Place Kléber, afin de protester contre la politique du chiffre des expulsions d’étrangers sans papiers qui provoque sans cesse des situations indignes d’un état de droit, comme tout récemment celle de Louka.
Louka a fui la Géorgie pour demander l’asile en France. Il a eu le malheur de naître et de grandir sur une terre ravagée par la guerre civile, l’Ossétie. À l’âge de 9 ans, on enlève son père, on tue son cousin, on massacre tout leur troupeau de moutons. Plus tard, il deviendra policier et puis, il se mariera et aura deux enfants. La vie a suivi son cours, le temps semble avoir bien cicatrisé les blessures de son enfance lorsque survient une nouvelle guerre, l’été dernier.
Sa ville est investie par le tristement célèbre groupe paramilitaire de Bala Bestaev, tuant et brûlant tout sur son passage et mettant à feu et à sang le poste de police de Louka. En l’espace de quelques jours, sa ville passe officiellement sous le contrôle de l’Ossétie, autrement dit et en langage plus clair, de la Russie. Après avoir mis sa femme et ses enfants à l’abri, Louka réussi à fuir précipitamment son pays.
Arrivé à Strasbourg, il apprend que son pays d’origine est considéré par la France comme un pays sûr. Il apprend qu’en conséquence, il lui faudra vivre sans rien parce qu’il n’a pas droit à la moindre ressource en attendant la réponse de sa demande d’asile. Il apprend qu’il lui faudra dormir souvent dans la rue parce qu’il n’y a pas assez de places dans les abris de nuit. Peu lui importe, il se fera petit, il se fera invisible, jamais il ne se plaindra de rien.
Quand il reçoit la décision préfectorale de rejet d’autorisation provisoire de séjour au titre de l’asile pour cause de « pays sûr », on lui dit qu’il peut tenter un recours au Tribunal Administratif mais, selon notre expérience, il a très peu de chance d’avoir gain de cause. De toute façon, il ne veut pas, il ne veut pas faire quoi que ce soit contre la France qui l’accueille, il veut respecter la loi comme son père le lui a appris et comme il l’a appris à ses enfants. On lui dit que c’est un juste un droit qu’il peut exercer mais non, il ne veut pas déranger.
Il a très bien compris sa situation : depuis le rejet de l’OFPRA, il n’est plus protégé car le recours qu’il a introduit auprès de la Cour Nationale du Droit d’Asile n’est pas suspensif et on peut donc l’expulser avant son jugement. Il va tout simplement vivre comme tous ses compatriotes qui ont d’ailleurs tenté en vain un recours au Tribunal Administratif. Il va devoir vivre caché quelque part en attendant sa convocation à la Cour Nationale du Droit d’Asile.
Le problème c’est qu’il n’a nulle part. Il lui faut quand même un peu manger, aller au restaurant du cœur ou à l’abri bus. Il lui faut quand même un peu se reposer quand le 115, de temps en temps, lui dit qu’il peut dormir dans un lit. Il lui faut quand même aller à l’association d’aide aux étrangers pour voir s’il n’a pas de courrier car il ne faut surtout pas louper la convocation. Il en profite pour boire un café et parler un peu avec des compatriotes qui, comme lui, doivent faire très attention à ne pas se faire contrôler.
Mais ce sont les endroits les plus dangereux. C’est en allant ou en repartant du restaurant du cœur, de l’abri de nuit, de l’association d’accueil des étrangers, qu’ils sont le plus exposés. Ça lui fait drôle d’avoir peur de la police, lui qui était policier. À son travail, on essayait de faire peur aux criminels, de les arrêter. Ici c’est différent, on pourchasse les pauvres gens qui ne font de mal à personne.
Il voit bien pourtant que, ici, c’est un pays où l’on peut vivre en paix, ce n’est pas comme chez lui. Peut-être un jour, quand on l’aura jugé, on lui donnera les papiers et il pourra alors vivre tranquille comme tous les passants qu’il croise dans la rue. Il pourra alors même demander que sa femme et ses enfants viennent ici et ils pourront à nouveau vivre ensemble.
Puis, un jour, c’était il y a à peine un mois, il voulait venir chercher son courrier puis, comme à son habitude, boire un café en conversant un peu avec ses compatriotes, il voulait échanger des sourires avec nous qui le connaissons bien maintenant et qui savons qu’il ne nous demande jamais rien sauf de pouvoir être là pour se sentir moins seul.
Ce jour-là, c’était le 2 septembre, ses compatriotes s’inquiètent de ne pas le voir arriver. Ils nous en alertent et nous tentons de le localiser. Oui, il s’est bien fait arrêter et il se trouve au centre de rétention de Geispolsheim. Désormais, mis à part s’informer de l’issue des derniers recours possibles grâce à l’aide de la Cimade au centre de rétention, on ne pourra rien faire. Non, le Tribunal Administratif n’a pas voulu le libérer même si la Cour Nationale du Droit d’Asile n’a pas encore statué sur sa demande de protection. Non, la Cour européenne des Droits de l’Homme n’a pas voulu suspendre son expulsion même si nombre d’autres pays européens considèrent que la Géorgie n’est pas un pays sûr. Oui, un vol est prévu pour lui le 17 septembre, ses jours sont maintenant comptés.
Alors, lui, qui n’a jamais rien voulu faire contre la France qui l’accueille, va résister à l’embarquement à l’aéroport de Bâle-Mulhouse. Il savait qu’un refus d’embarquement relève du pénal et le condamnera à de la prison. Mais visiblement la prison n’est rien en comparaison à ce qui l’attend à son arrivée à l’aéroport en Géorgie. De toute évidence, le tribunal correctionnel le condamnera aussi à une interdiction de territoire, ce qui signifie que dès qu’il aura purgé sa peine, on pourra à nouveau l’expulser, directement à sa sortie de prison. On attend cet ultime jugement du Tribunal Correctionnel de Mulhouse, on s’attend à ne plus jamais le revoir.
Et puis tout d’un coup, il est là, devant nous, devant la boîte de courriers. Il n’a rien compris, et nous non plus, à cette libération échappant à toutes règles. Il n’est pas passé au tribunal, après son refus d’embarquement, les policiers l’ont laissé partir. Pour revenir à Strasbourg, il a pris le train et il a même pris une amende parce qu’il n’avait pas l’argent pour payer le billet. On se sourit, lui qui se fait un point d’honneur à ne jamais se rendre coupable d’aucun délit, en l’espace de deux jours, il cumule… Il tombe dans les bras des uns puis des autres.
Puis on lui donne un café chaud et on lui rappelle ce qu’il sait bien mieux que nous : maintenant ce serait bien de se cacher. Mais il n’a toujours nulle part. Et il lui faut quand même un peu manger, un peu dormir, et continuer à chercher son courrier dans l’espoir de trouver enfin sa convocation à la Cour Nationale du Droit d’Asile…
Appel à dons : si vous voulez soutenir les nombreuses familles en très grande précarité suivies par le Réseau Education sans Frontière, merci d’envoyer vos dons à l’ordre de CASAS enfants à l’adresse : 13, Quai Saint Nicolas, 67000 STRASBOURG. Un reçu fiscal pour votre déclaration d’impôt vous parviendra par retour de courrier.
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