Le point de vue du sénateur-maire de Strasbourg sur la “laïcité” en Alsace-Moselle
Dès le titre, l’ex-professeur de lettres Roland Ries confond “laïc” et “laïque” et il récidive dans son auto-présentation: “laïc” et républicain…
Il prétend défendre la loi de 1905 alors qu’elle n’est pas appliquée en Alsace-Moselle!
Il mélange volontairement tout. Le droit local, l’identité régionale, le Concordat!
Il serait pourtant simple de comprendre et d’expliquer que les Alsaciens-Mosellans sont attachés au droit social local qui est plus avantageux que le droit outre Vosges, ce qui n’entraîne pas qu’on doive accepter que les prêtres, pasteurs, rabbins soient payés par l’État et qu’on enseigne encore la religion dans l’école publique!
Pourquoi je suis alsacien, laïc et pour le Concordat
Socialiste, j’appartiens à une famille de pensée dont les convictions puisent leur source dans la philosophie humaniste. Ces fondements ont guidé mon parcours politique autour des valeurs de liberté, de tolérance, de respect des différences et de promotion des diversités.
Laïc républicain, j’appartiens à la France de Jaurès, celle de la défense passionnée de Dreyfus et celle de la loi de 1905.
Alsacien depuis plusieurs générations, j’appartiens à une population qui, au gré des remous de l’histoire, s’est vue régulièrement amputée d’une part de son identité, avant de retrouver sa dignité.
Annexée par l’Allemagne en 1870, l’Alsace assiste impuissante à l’incorporation de ses enfants dans l’armée allemande en 1914, appelés à combattre pour le Reich jusqu’à l’arrivée des troupes françaises à Strasbourg en 1918. Le droit local appliqué dès lors en Alsace-Moselle comporte aussi bien des lois françaises datant d’avant l’annexion que des lois adoptées par l’Empire allemand entre 1870 et 1918.
Aujourd’hui, au terme des vicissitudes qui ont marqué son histoire, l’Alsace est très attachée à cet héritage composite. Au même titre que le bilinguisme, la culture régionale ou le droit local, le Concordat, traité signé en 1801 par Napoléon avec le Vatican pour mettre un terme aux conflits entre l’Eglise catholique et l’Etat français, constitue à présent un élément essentiel de l’identité alsacienne. Cet attachement, qui prend ses racines dans une histoire douloureuse et singulière, a valeur de socle culturel et sociétal.
” Concordataire “, j’appartiens à la très grande majorité des Alsaciens et Mosellans, d’obédiences religieuses diverses, laïques ou même athées, qui soutiennent le régime concordataire.
Strasbourg, quant à elle, choisie comme ville symbole de la réconciliation dans l’immédiat après-guerre, est aujourd’hui capitale européenne des droits de l’homme et de la démocratie. L’histoire des XIXe et XXe siècles nous a donc légué une double inscription symbolique, faisant de Strasbourg une ville de dialogue et de débat sur les grands sujets de société.
Ville du dialogue interreligieux, elle est riche de nombreuses initiatives, émanant tant de la collectivité que des responsables associatifs ou religieux (” Appel de Strasbourg pour le respect mutuel “, création d’une mosquée et d’un cimetière musulman, signature par dix responsables religieux des ” Dix commandements pour la paix ” à la suite de la rencontre d’Assise, etc.). Pour chacune d’entre elles, les représentants des cultes apportent leur soutien, appellent leurs fidèles à y contribuer et favorisent ainsi une meilleure connaissance de l’autre.
Ainsi, Strasbourg a réappris à vivre en paix, la paix telle que la définit Victor Hugo : ” La guerre, c’est la guerre des hommes ; la paix, c’est la guerre des idées. ” Tel est précisément l’objet de l’inscription dans la Constitution de ce principe de séparation de l’Eglise et de l’Etat : garantir la paix sociale, en reconnaissant la diversité des croyances, la liberté des pratiques et le choix de ne pas croire.
Certains considèrent pourtant que sacraliser le principe de laïcité, tout en émettant une réserve sur les modalités de sa mise en application, en Alsace-Moselle, est un paradoxe. Mais une réserve n’est pas une exception ; il ne s’agit donc ni d’un ” droit à la différence ” ni d’une ” différence de droits “, mais d’une différence de fait. La capacité à considérer l'” à côté ” du cadre général, afin d’élaborer des lois applicables à la fois à tous et à chacun, ne fonde-t-elle pas l’intelligence humaine ?
Roland Ries
Maire de Strasbourg et sénateur socialiste du Bas-Rhin (Alsace)
© Le Monde
Une réaction de Laïcité d’Accord
En tant que membre de l’association “laïcité d’Accord” et en réponse à la tribune du sénateur-maire de Strasbourg dans le journal “Le Monde”, je me dois de lui dire: Non Roland Ries, vous n’êtes pas laïque!
En quoi, comme tant d’autres régions de France, l’histoire mouvementée de l’Alsace justifierait-elle, que l’Alsace reste soumise à des législations archaïques et pour certaines anti-républicaines ou cléricales comme la loi Falloux, certaines lois de l’Empire autoritaire allemand ou le concordat de 1801?
Faut-il vous rappeler que ce sont les lois de laïcisation des services publics et la loi de séparation de 1905 qui ont pacifié, dans notre pays, les rapports entre les cultes et l’Etat? faut-il vous rappeler qu’elles ont mis fin à la “guerre des deux France” et fondé le “vivre ensemble” sur un “bien commun” dépassant toutes les options spirituelles, tous les engagements individuels ou collectifs, tout en garantissant la liberté de conscience et particulièrement la liberté religieuse ?
Faut-il vous rappeler que le concordat établissait, au contraire, une discrimination entre les cultes en faisant de la religion catholique “la religion de la majorité des français”?
Enfin, pensez-vous qu’il soit conforme aux principes républicains d’affirmer qu’exclure l’Alsace de la constitutionnalisation des principes laïques ne serait qu’une “différence de fait” et non “une différence de droits” ou “un droit à la différence”? depuis quand les “faits” supplantent-ils, en régime républicain, la loi qui est le garant du principe constitutionnel “d’égalité”?
Claude Hollé
Membre de “laïcité d’Accord”