Comme 1942, les nourrissons aussi?

lu dans les Dernières Nouvelles d’Alsace:

Famille kosovare : l’incertitude des « dublinés »

La préfecture se verra-t-elle interdite de réorganiser le départ pour la Hongrie de la famille kosovare qui espérait demander l’asile en France ? Le couple Hoxha et ses six enfants, dont des triplés nés à Strasbourg, n’avaient pas encore, hier soir, la réponse du tribunal administratif.

Ce ne sont ni des réfugiés, ni des demandeurs d’asile, mais des « dublinés » ! Comprenez : des non-Européens qui espèrent l’asile politique dans l’Union, mais ne le demandent (peut-être) pas dans le bon pays. Car le règlement dit « Dublin II » de l’Union européenne (2003) écrit qu’en principe, on doit demander l’asile dans le pays d’entrée. Si l’on a bougé, le pays de résidence a le droit de renvoyer le demandeur dans ce premier pays. C’est la « réadmission ».
C’est aussi l’épée de Damoclès au-dessus de la famille Hoxha. Hamit et Fatmire Hoxha, venus du Kosovo, sont entrés dans l’Union par la Hongrie avec trois enfants, puis, en janvier 2009, à Strasbourg. Madame a accouché de triplés le 12 avril. Désormais à huit, la famille veut demander l’asile en France.
Pas question, leur a répondu la préfecture du Bas-Rhin : la Hongrie est compétente. Les Hoxha demandent une dérogation ; elle leur est refusée le 9 octobre. Et le 10 décembre, la préfecture essaie d’organiser leur transport vers Budapest. « Essaie », car l’hospitalisation d’un des triplés bloque les choses. Et les Hoxha déposent un recours en référé-liberté devant le tribunal administratif.

Clause humanitaire

Leur avocat, Me Laurent Jung, insiste d’abord sur la situation de la famille : trois nourrissons, nés prématurés, de santé fragile, deux autres enfants scolarisés, le père psychologiquement affecté, cela devrait inciter la préfecture à accepter la « clause humanitaire ».
Prévue dans la convention de Dublin, elle permet à l’État de résidence, par dérogation, d’étudier l’asile lui-même et d’éviter la réadmission. D’autant plus, explique Me Jung, qu’« on n’a aucune assurance sur ce qui leur arriverait en Hongrie ».
Ensuite, il y a les délais. Dublin II donne six mois à l’État de résidence pour exécuter une réadmission. Ces six mois peuvent devenir dix-huit, mais il faut en ré-informer l’État qui attend le demandeur. Pour les Hoxha, la Hongrie a accepté le 16 juin. La préfecture a demandé une prolongation de délai le 14 décembre, deux jours avant la date-limite. « Est-on sûr qu’elle a été envoyée, qu’elle a été reçue ? », se demande l’avocat.
La juriste de la préfecture conteste ces arguments. La situation de la famille, dit-elle, a été prise en compte. C’est justement en raison de la grossesse, puis des naissances multiples, que l’administration a pris son temps. Le médecin inspecteur de la DDASS a donné le feu vert au voyage. S’il y a de nouvelles complications, on attendra le moment où toute la famille pourra prendre l’avion. Quant au délai, elle a envoyé un fax à la bonne date, en montre l’accusé de réception. A ses yeux, la famille est « en fuite », au sens de Dublin II, puisqu’elle se dérobe au transfert.

Jacques Fortier

Édition du Jeu 24 déc. 2009
Note:

On peut, si on lit vite, s’étonner du qualificatif “non-Européens” attribué à cette famille kosovare.

Qu’on sache, le Kosovo, un territoire de l’ex Yougoslavie, est en Europe?

Il faut bien sûr comprendre que, si cet État naissant est,géographiquement, sur notre cap asiatique, il ne fait pas encore partie de l’Union européenne.

Ils “espèrent l’asile politique dans l’Union.”

Déclaration universelle des droits de l’homme

Article 13

1. Toute personne a le droit de circuler librement et de choisir sa résidence à l’intérieur d’un État.
2. Toute personne a le droit de quitter tout pays, y compris le sien, et de revenir dans son pays.

lu dans Libération

Politiques 23/12/2009 à 00h00

Le pays où on enferme les nourrissons

Par KARINE PARROT professeure de droit privé, université de Valenciennes, JEAN MATRINGE professeur de droit public, université de Versailles Saint-Quentin

Jusqu’où un système qui se déclare fondé sur le respect des droits fondamentaux peut-il aller dans la maltraitance des êtres humains sans perdre son âme ? Nous avons une nouvelle preuve qu’en France le seuil est aujourd’hui franchi.

En effet, par deux arrêts du 10 décembre, la Cour de cassation vient de juger sans plus de motivation que le maintien en rétention avec leur famille de deux nourrissons (deux mois et demi et un an) ne constitue pas en tant que tel un traitement inhumain ou dégradant. Pourtant, dans les deux affaires en cause, deux présidents de cour d’appel et un juge des libertés avaient jugé que «les conditions de vie anormales imposées à ces très jeunes enfants quasiment dès leur naissance» et «la grande souffrance morale et psychique infligée aux parents par cet enfermement» interdisaient un tel traitement au regard de la Convention européenne des droits de l’homme. L’avocat général de la Cour de cassation avait quant à lui invité la Cour à confirmer cette position contre l’obstination des préfets.

Ainsi, la Cour de cassation, gardienne de la liberté individuelle – comme avant elle le Conseil d’Etat, garant du respect du droit par l’Etat – accompagne la politique inhumaine de lutte contre l’immigration menée par le gouvernement. Car, comment qualifier autrement la soustraction soudaine d’enfants à leur cadre de vie habituel pour être enfermés plus de quinze jours, fussent-ils accompagnés de leurs parents, dans un milieu inconnu régi par une logique policière ? Rappelons qu’on estime nécessaire dans le même pays que les enfants français – ou du moins les enfants de parents «réguliers» – bénéficient pour leur bien-être d’une période d’adaptation progressive au cocon douillet et épanouissant de nos crèches.

Plus encore, le droit communautaire fait désormais planer la menace qu’un tel enfermement des enfants puisse se prolonger dix-huit mois et ait lieu dans de véritables prisons, lieux réservés, en principe, aux personnes coupables de crimes ou délits ! Un régime politique qui sécrète de telles pratiques perd manifestement toute légitimité. Rien, ni la lutte contre l’immigration ni aucun autre objectif, ne doit permettre des attaques aussi violentes contre des personnes aussi vulnérables.

Qu’on y prenne garde ; si l’on s’en prend même aux nourrissons, c’est bien le signe que tout est désormais permis.

Crime de bureau

Le père de famille turc expulsé hier matin

Sous le coup d’un arrêté préfectoral de reconduite à la frontière suite au non-renouvellement de son titre de séjour, Zeynel Bulut a été expulsé hier matin vers la Turquie. Mardi soir, une cinquantaine de personnes s’étaient rassemblées sur les marches de l’opéra, place Broglie à Strasbourg, pour soutenir le père de famille et tenter d’infléchir la décision du préfet (DNA d’hier). Zeynel Bulut résidait à Strasbourg depuis une dizaine d’années.

Édition du Jeu 24 déc. 2009 DNA

Et pour finir, provisoirement, une bonne nouvelle.

Les ouvriers n’ont pas de patrie.” Karl Marx.

Faits divers
Solidarité

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Création d’un collectif de sans-papiers

L’Union départementale CGT du Bas-Rhin, la Cimade et RESF se sont réunis récemment pour créer un collectif de sans-papiers à Strasbourg.
Le mouvement des travailleurs sans papiers ne cesse de s’étendre et il réunit aujourd’hui en Ile-de-France, autour de 5 500 grévistes. Suite à la parution de la circulaire du 24 novembre 2009, les travailleurs grévistes ont exprimé leur détermination à continuer la grève. En effet, « du fait de nombreux critères imprécis et flous, cette circulaire laisse une très grande marge d’appréciation aux préfectures, et donc à l’arbitraire, que cette mobilisation visait justement à dénoncer. »
Les trois signataires estiment que cette circulaire « fragilise encore un peu plus les travailleurs sans papiers ».

Édition du Jeu 24 déc. 2009