«J’ai peur! Nous, Israéliens, sommes devenus insensibles depuis Gaza»

UN AN APRÈS | Le 27 décembre 2008, Tsahal déclenchait une sanglante opération militaire contre la bande de Gaza, en représailles aux roquettes palestiniennes lancées sur Sdérot. Une guerre applaudie par presque tous les Israéliens. Rencontre avec deux voix discordantes.
ANDRÉS ALLEMAND | 24.12.2009 | 00:00
http://www.tdg.ch/actu/monde/peur-israeliens-devenus-insensibles-gaza-2009-12-23

«Quand 300 enfants sont tués sans que ça ne soulève une vague d’émotion, c’est qu’il y a vraiment du souci à se faire pour la société dans laquelle on vit!» Nomika Zion est inquiète. C’est peu de le dire. Cette Israélienne a beau vivre à Sdérot, la petite ville où tombent les roquettes palestiniennes, elle est catastrophée par les conséquences de l’offensive militaire lancée en représailles contre la bande de Gaza il y a un an, le samedi 27 décembre 2008. Pour mémoire, quelque 1400 personnes y ont trouvé la mort.

«Et pourtant, même maintenant que le calme est revenu à Sdérot, personne ne semble touché par les souffrances endurées du côté de Gaza. Vu d’ici, il n’y a là-bas que des ennemis. Que des Hamas. Des démons.» C’est pour lutter contre cette déshumanisation que Nomika Zion a cofondé il y a deux ans «Other Voice» (Autre Voix). «Le mois dernier, nous avons réussi à faire sortir quatre jeunes Palestiniens de Gaza et à organiser un week-end en Cisjordanie avec des jeunes Israéliens. C’était incroyable!» s’enthousiasme Eric Yellin, l’initiateur de cette Autre Voix. «Incroyable, mais tellement rare…»

Dans la peau du serpent

Car bien sûr, à chaque fois, il faut réussir à feinter le Hamas, qui n’autoriserait pas une telle rencontre. Et obtenir l’aval de l’armée israélienne, pour laisser sortir les jeunes. Quant aux rencontres, elles n’ont pas lieu à Sdérot. «La population n’est pas prête. Il y a encore tant de colère, tant de haine», explique calmement Eric Yellin, tout en emmenant le visiteur sur les lieux phare de Sdérot. Ici, l’un des nombreux abribus transformés en bunkers. Là, un parc de jeux muni d’un énorme serpent bariolé, sympathique animal à l’intérieur duquel les enfants se précipitent dès qu’ils entendent l’alerte «Couleur rouge! Couleur rouge!» Plus loin, une école surmontée d’un hideux bouclier antiroquettes. Sans oublier le supermarché devant lequel une femme est morte…

Traumatisés et vengeurs

«Même si on ne peut pas comparer ça avec la souffrance des Palestiniens, je comprends la colère, la frustration des gens», poursuit Eric Yellin. «Avant la guerre, il y avait jusqu’à vingt alertes par jour. Les roquettes faisaient peu de morts et de blessés, mais la vie était infernale. Des voisins, dans notre kibboutz, ont vu leur maison détruite. Les gens étaient tétanisés. Traumatisés. Pendant un an, mon fils était incapable de fermer l’œil, il dormait dans notre lit à l’âge de 12 ans! Des milliers de personnes ont dû suivre des traitements psy… Alors quand l’offensive israélienne a démarré, ils étaient soulagés de voir qu’ils n’étaient pas abandonnés à leur sort.»

Eric Yellin, pour sa part, était scandalisé. Lui qui tenait un blog en commun avec un Palestinien de Gaza City a affronté les caméras de télévisions israéliennes pour dénoncer cette «punition collective». Seul contre tous. Ou presque. Car au fond, il est convaincu que tout le monde sait que la plupart des Palestiniens ne sont pas responsables des attaques de roquettes.

Qu’on les laisse tranquilles

«Il n’y avait pas de frontière quand nous avons fondé à Sdérot notre kibboutz urbain il y a plus de vingt ans, avec Nomika et quelques autres. Les gens de Gaza venaient vendre leurs produits au marché. Nous allions à la plage à pied, ce n’était qu’une bonne promenade. Aujourd’hui je suis convaincu qu’en majorité les Israéliens ne sont pas anti­palestiniens. Ce qu’ils veulent, c’est simplement qu’on les laisse vivre tranquilles et que leurs enfants soient en sécurité.»

Nomika Zion acquiesce. «C’est une ville de tribus, qui a poussé au gré des vagues d’immigrants venus chercher refuge en Israël. Il y a les juifs kurdes et perses qui l’ont fondée en 1951. Puis un raz-de-marée marocain. Les Ethiopiens sont arrivés dès les années 80. Suivis par l’immigration massive en provenance des anciennes républiques soviétiques dans les années 90…» Mais à présent, conclut-elle, les roquettes palestiniennes puis l’offensive israélienne ont rendu ces deux sociétés insensibles l’une à l’autre. «C’est cela qui me fait peur.»