Hollande et le fantôme de Guy Mollet
Le fantôme de Guy Mollet
Il a suffi d’un coup d’Etat non autorisé par Paris, d’un appel au secours d’un Président intérimaire sans légitimité et de subtiles pressions de nos «amis» dictateurs de la CEDEAO pour qu’enfin la voie soit ouverte à l’intervention militaire française au Mali. Trop d’atermoiements de l’ONU et de nos alliés concurrents ! Il y avait urgence ! De fanatiques saigneurs de guerre, anciens mercenaires libyens, trafiquants de drogues et de cigarettes ne menaçaient plus seulement contre rançon quelques otages oubliés, mais s’alliaient entre eux, désorganisaient la rébellion touareg au Nord Mali et pénétraient au Sud. Cette partie de la Françafrique risquait d’être déstabilisée. Les sectateurs du profit ont dit Pas touche au grisbi, à l’uranium d’Areva, aux richesses aurifères du Mali, au pétrole et au gaz du Sahelistan si prometteur !
C’est ainsi qu’un monarque républicain un peu falot, s’est transformé en chef de guerre. La fonction de chef de l’Etat capitaliste l’exigeait ! La caste militaire pré-positionnée dans différents «pays amis» où règnent des dictateurs sans scrupules n’a d’autre mission que celle de défendre becs et ongles les intérêts des grands capitaines de l’industrie française. A peine sorti du guêpier afghan où les talibans négocient leur retour aux affaires, après le coup de botte dans la fourmilière libyenne d’où sont sortis des diables djihadistes, il était impératif de s’enfoncer dans les sables maliens ! Il y avait urgence, nos alliés tergiversaient tout en lorgnant sur les richesses de ces pauvres pays ! Et la Chine aussi !
Après la geste vibrionnante de Sarko, nous eûmes droit au ton saccadé hollandais, plein d’emphase de circonstance, reprenant les accents bushiens de la guerre des civilisations, presque poutiniens. Il faut tuer les terroristes… mais pas jusque dans les chiottes ! C’est qu’il fallait nous faire accepter cette entrée en guerre. Les choristes des médias ont donné leur bénédiction, les politiciens ont ânonné, le Parlement saisi après coup, sans débat, donnant son approbation silencieuse.
Car, pour la classe dominante, le Mali (pré carré de la Francafrique), terre des dictatures imposées depuis 1968, ravagé par les politiques néolibérales d’ajustements structurels du FMI, pillé de ses richesses aurifères, volé par ses politiciens prédateurs, son Nord touareg abandonné à la misère, doit demeurer sous dépendance française.
Certes, les apprentis sorciers, émirs du Golfe ou DRS algérien, manipulant les wahhabites fanatiques qui barbotent dans le bénitier d’Allah, veulent imposer leur despotisme réactionnaire. Certes, dans toute guerre coloniale, comme les harkis et les tirailleurs sénégalais hier, la chair noire sera en première ligne. Mais, déjà, les «dommages collatéraux», exactions et règlements de compte contre les civils font fausse note. Déjà le fantôme de Guy Mollet vient hanter Hollande fraîchement galonné. Espérons que l’esprit du forum altermondialiste de Bamako ne soit pas mort.
Lever le voile sur le projet Peillon pour l’école
Lever le voile sur le «projet pour l’école»
L’article d’Isabelle Mely et Marc Lefebvre, paru dans le n° précédent (241) d’ACC, sur la signification de la «réforme» Peillon de l’école primaire et le rôle pour le moins ambigüe que jouent les organisations syndicales, souligne que ce «projet éducatif» a pour fonction d’opérer une mutation de l’école au profit des «potentats patronaux» locaux. Le développement qui suit cherche à approfondir cette veine ; la restructuration du capitalisme nécessite, outre l’acceptabilité de cette réforme par le monde enseignant et ses syndicats, une nouvelle conception de l’école et des enseignants.
La semaine des 4 jours ½ qui, dit-on, viserait à prendre soin des élèves, ne serait-elle pas l’arbre qui cache la forêt ? OU plutôt un piège faisant apparaître les enseignants comme des privilégiés, éternels réticents à toute « réforme » ? Au-delà du pouvoir des Maires introduits dans les conseils d’écoles, quelle est la nature des activités pédagogiques complémentaires qui seront mises en œuvre ? Que signifie véritablement pour Vincent Peillon « répondre au besoin de l’économie et des entreprises » ?
L’école des compétences contre l’école de transmission des connaissances
Pour répondre à ces questions mieux vaut partir des directives des «maîtres» avant de souligner l’obéissance de leurs serviteurs. Selon Mme Andralou Vassiliou, commissaire européenne de l’éducation, l’objectif est «d’améliorer les compétences et l’accès à l’éducation en se concentrant sur les besoins des marchés» et de préciser que la «réforme» du système éducatif doit viser «la maîtrise de la langue maternelle, des langues étrangères», l’acquisition «de compétences en mathématiques, en sciences, en technologies numériques». Cette énumération restrictive fait donc disparaître la philosophie, l’histoire, la littérature… disciplines jugées non-productives. Cette stratégie de Lisbonne explicitée, introduite en France en 2005, recourt à la novlangue, «apprendre à apprendre» (mais quoi ?) qu’il faut décrypter. En effet, derrière «le socle commun des compétences» se joue toute une conception/appauvrissement de ce qui doit être enseigné. Ceux qui sortent de l’école doivent être employables sur un marché du travail déréglementé et être capables «de projet en projet», selon un parcours heurté de périodes de travail et de chômage, de s’adapter. Jetables et ré-employables, ils devraient pouvoir «apprendre tout au long de la vie». Dans ces conditions le savoir est considéré comme superflu, voire périssable, les nouvelles technologies y pourvoyant selon les différentes séquences de la vie. Les seules compétences requises seraient celles permettant de s’adapter, en possédant un savoir-être normé et une communication de qualité pour pouvoir vendre sa force de travail.
Si l’innovation technologique est «moteur de croissance», s’il s’agit de gérer l’obsolescence de produits qui, à peine commercialisés, nécessitent de produire autre chose du même type, si la finalité du capitalisme débridé est la «destruction créatrice», l’identité professionnelle devient obsolète, tout comme les qualifications reposant sur des connaissances et des savoir-faire. L’exigence de mobilité, de flexibilité et, par conséquent, de précarisation du salariat doit se conjuguer avec une «logique de compétence» et de maîtrise des nouvelles technologies informatiques. Ce processus en marche depuis 2005 s’accélère avec Peillon.
La circulaire du 9 septembre 2005 met en place une compétence B2i (Brevet informatique et internet) comprenant 3 niveaux (école, collège, lycée) pour les enseignants ; celle-ci, tout comme le B21 et la maîtrise TICE (technologies informatique, commerciale, électronique) de 2010, obligatoire pour être nommé professeur stagiaire après réussite au concours, sont déjà significatives de la volonté de conditionner les élèves à l’usage des TICE surtout lorsqu’on les met en relation avec leurs conséquences pratiques initiées par des bâtisseurs de droite et de gauche. Ainsi, Xavier Bertrand, avait concocté un plan doté de 50 millions d’euros, en 2009, afin que les 4/12 ans puissent bénéficier d’un cartable électronique, suivant en cela l’initiative locale de François Hollande offrant dès 2008 aux Corréziens de la 5ème à la 3ème un ordinateur portable, tous les élèves devant être dotés à partir de 2010. Rien d’étonnant donc que Vincent Peillon annonce, le 30 mars 2012, qu’il mettra en place «l’éducation numérique moteur du changement» afin de «former les élèves au monde qui les attend»…. Et comme pour s’en justifier, d’ajouter «les TICE entrent en résonnance avec les pratiques affectives des jeunes, c’est une source d’attrait». Il ne faisait là que suivre le rapport Fourgous remis à François Fillon : «l’utilisation de la 3D et les jeux sérieux dans les cours permettront des enseignements plus attractifs et plus motivants» ; il s’agit désormais de «former et manager les enseignants pour que les TICE se développent. Leur formation et leur statut doivent évoluer : ils vont devenir des guides, des metteurs en scène, des ingénieurs pédagogiques».
Vers un enseignement sans enseignants ?
Si l’on a pu remplacer des ouvriers par des machines en les expropriant de leur savoir et de leur savoir-faire, pourquoi ne pourrait-on pas remplacer les enseignants par des ordinateurs ? La réponse n’est pas seulement dans la question, elle et déjà à l’œuvre. Les supports pédagogiques numériques comprenant cours, fiches pédagogiques, exercices, tests existent déjà. Leur extension signifie que les capacités des professeurs à transmettre des savoirs seraient purement niées, leur rôle réduit à celui d’animateur numérique ou assistant navigateur doublé d’un surveillant. L’utopie numérique du capitalisme néolibéral technologisé en matière d’éducation rejoint le fantasme d’un enseignement sans enseignants. Il va de soi que ces nouvelles «pratiques éducatives» auront (ont déjà1) de profondes répercussions sur le mode de recrutement du personnel de l’éducation nationale. Quant aux entreprises privées, elles profitent de l’aubaine. L’enseignement à distance de soutien scolaire connaît une augmentation de 10% de son chiffre d’affaires par an et concerne 850 000 élèves sur 2 millions. Ainsi à titre d’exemple, Academia a réalisé 110 millions de chiffre d’affaires l’an dernier. Comme le soulignent les articles du Monde du 24 janvier, consacrés à l’expérimentation qui prévaut à l’université de Bretagne, celle-ci permet de désengorger les amphis bondés, de flexibiliser les professeurs qui interviennent sur plusieurs sites tout en se déplaçant uniquement pour orchestrer les travaux dirigés. Geneviève Fraroso, vice-présidente de cette université, travaille, reconnaît-elle, au lancement de «France université numérique» afin de «développer une offre de formation initiale et continue en ligne». Elle est d’ailleurs chargée de préparer un projet de loi que le ministre de l’enseignement supérieur doit déposer le 6 mars prochain au conseil des Ministres. Le but, comme le reconnaît son collègue, Patrice Roturier, c’est de «faire des économies d’échelle». Il a déjà calculé que «la licence en droit coûtera 2 fois moins cher». Quant à «l’expert» interviewé un certain François Taddéi, ces formulations sont encore plus abruptes : «la question est de savoir s’il restera des étudiants dans les amphis demain» et à l’interrogation «Va-t-on apprendre aussi bien ?» d’avouer : «pas forcément. Mais on apprend pour moins cher et d’une manière plus flexible».
Tous ces politiques et hauts fonctionnaires de s’indigner : «Nous sommes en retard !» En effet, l’exemple de la Floride est emblématique d’une avancée qu’il nous faudrait rattraper. Patricia Cabera, directrice de l’institut universitaire de révéler ( !) que les classes virtuelles appelées «labos d’apprentissage électronique» nous ont permis des coupes sombres dans le budget de l’éducation. Nous avons procédé à la «dématérialisation de l’école», «les élèves peuvent s’entraîner sur ordinateur avec des exercices auto-corrigés, chacun selon son rythme d’apprentissage». Mais elle compte maintenir son avance : «Nous imaginons des contenus éducatifs que le professeur pourra recevoir via son téléphone portable ou son i.pad. Nous cherchons à comprendre comment diffuser ce matériel via facebook ou twitter. C’est le sujet de nos échanges avec le ministère».
Le monde de demain qu’ils nous préparent
Vis-à-vis de l’introduction des nouvelles technologies informatiques à l’école, il y a chez les enseignants à la fois comme une résignation face «au progrès» et un certain malaise vis-à-vis du comportement des jeunes. En deux clics, ils peuvent avoir accès aux informations demandées et face au scintillement des écrans, avoir du mal à fixer leur attention. C’est que la recommandation de «sortir de la routine du tableau noir» occulte la différence entre informations accessibles et connaissances articulées sur un savoir qui nécessite une mémorisation. D’où les difficultés au maniement de la syntaxe, la méconnaissance de l’orthographe, voire les obstacles à procéder à la lecture, à l’écriture, à articuler des raisonnements logiques. Car ce que l’on forme, ce sont des esprits zappeurs, une génération multitâche qui cherche des recettes immédiates sans avoir la possibilité de les resituer dans leur contexte. Pour Michel Desmurget, chercheur en neurosciences, «la multitâche est antinomique du fonctionnement cérébral», «cela altère les mécanismes d’apprentissage et de mémorisation au niveau neuronal». Plus abrupt, le philosophe Jean-Claude Michéa déclare : «il s’agit d’un sabotage des apprentissages fondamentaux». En effet, si la «vraie vie» ce sont les jeux vidéo, facebook, la saturation informationnelle, la destruction cognitive n’est pas loin. C’est peut-être l’ambition qui taraude les élites qui nous gouvernent. Ainsi, John Gage dirigeant de Sun Microsystems, chantre de la malléabilité flexible de la main d’œuvre, déclare tout de go : «nous engageons nos employés par ordinateur, ils travaillent sur ordinateur, ils sont virés par ordinateur». Cette vision est définie depuis 1995 par «l’aristocratie» capitaliste qui entend façonner le monde de demain. Deux journalistes d’investigation, Hans Peter Martin et Harold Schumann2 rapportaient les délibérations des «500 grands leaders économiques, politiques de premier plan réunis à San Francisco en septembre 1995». S’agissant des grandes évolutions à venir «ils estimèrent que seuls 20% de la population active suffiraient à maintenir l’activité économique mondiale. Les 80% restants, il conviendrait de les occuper». Et Zbigniew Rsazezinski d’ajouter «il va falloir les allaiter avec un cocktail de divertissements abrutissants et une alimentation suffisante pour maintenir cette population frustrée dans la bonne humeur» et garantir ainsi la «paix sociale».
S’agissant précisément des 20%, les cadres supérieurs de Google, Yahoo, Apple dans la Silicon Valley ne s’y sont pas trompés. Ils envoient leurs enfants dans des écoles où les nouvelles technologies sont proscrites et où prévaut la pédagogie de Waldorf. Pour ce dernier, «les ordinateurs inhibent la créativité, le mouvement, les interactions sociales et les capacités d’attention». Dans ces écoles pour l’élite, «il n’y a que du papier, des stylos, de bons vieux tableaux noirs et des encyclopédies» ; Interpellé, Thierry Klein, gérant d’une société spécialisée dans les logiciels éducatifs de s’exclamer : «ils sont parfaitement conscients du phénomène d’addiction qu’ils créent et veulent en préserver leurs enfants. C’est d’un cynisme génial !».
Mais il n’est pas certain que les «maîtres du monde» parviennent à mettre en application leur vision du monde.
Quelle mobilisation des enseignants et des parents d’élèves ?
Si on laisse penser que, tous comptes faits, l’aménagement du rythme scolaire que veut imposer Peillon n’est animé que par de bonnes intentions visant à améliorer l’apprentissage des élèves, s’il parvient à faire croire que les augmentations de salaires doivent être différées pour rembourser la dette de l’Etat et satisfaire les créanciers et, par conséquent, que le monde enseignant doit participer à «l’effort demandé à tous», lui faisant obole d’une petite prime, la mobilisation placée sur le terrain de l’adversaire restera minoritaire. Elle prêtera le flanc à toutes les accusations stigmatisantes (corporatisme, des nantis qui défendent leurs privilèges…).
Cela ne veut pas dire qu’il faille se priver de contre-attaquer sur le terrain des soi-disant bonnes intentions du ministre. A l’instar de Sylvia Ulmo3, il y a quelques bonnes questions à poser : «Qui a tronçonné l’année avec 6 semaines de vacances» pour satisfaire les organisateurs de tourisme et les stations de sports d’hiver ? Est-ce les enseignants qui ont demandé la suppression des cours le samedi pour satisfaire les parents qui ont les moyens de partir en week-end ? Qui a réduit le temps de travail annuel des élèves de 20% en 4 ans et supprimé les RASED (Réseaux d’Aide aux Elèves en difficultés) ? Toujours les mêmes, ces politiciens en mal de se constituer un capital électoral et de satisfaire des intérêts privés.
Mais plus fondamentalement, il s’agit de démontrer la nature du «projet de société» qui se dessine en creux derrière cette réforme en apparence anodine4. Si les Maires siègent au sein des Conseils d’écoles, ils vont être sollicités pour fournir aux écoles des ordinateurs et autres NTCI ainsi que du personnel périscolaire. Confrontés au chômage dans leur bassin d’emploi, ne seront-ils pas les porte-parole des «entrepreneurs» ? Comment former ou formater les «citoyens» de demain et développer ou non leur esprit critique ? Les recrutements au rabais, l’invasion des nouvelles technologies informatiques n’augurent-ils pas la précarisation/prolétarisation du monde enseignant ?
Bref, la critique du néolibéralisme, d’une société à deux vitesses qu’il promeut, doit être une arme pour favoriser l’effervescence intellectuelle pour agir et contester le système qui se met en place. Ce combat contre l’idéologie dominante, sans rester abstrait, doit être porté au sein même des syndicats qui, certes, sont plus ou moins intégrés à l’appareil d’Etat mais dont la survie dépend en partie des réactions de leur base, y compris des réactions des parents d’élèves, voire des collégiens, lycéens et étudiants eux-mêmes.
Gérard Deneux
Le 2.02.2013
Sources pour cet article (sauf indications contraires), l’essai de Cédric Biagini «L’emprise numérique» édition l’Echappée (en particulier les pages 131 à 170).
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