Justice pour la Palestine, la Palestine pour une justice mondiale
Michel Warschawski – AIC
5 janvier 2010
Une contribution au débat sur le sionisme
« Pourquoi s’occuper du sionisme ? Le sionisme est l’histoire, une simple idéologie, et l’on doit se concentrer sur la réalité politique telle qu’elle est, par sur les idéologies. » Une telle déclaration n’est pas inhabituelle dans le mouvement de solidarité pour la Palestine, et il faut sans aucun doute y apporter une réponse car le sionisme n’est ni une simple idéologie, ni une question du passé, mais un mouvement politique en vie, incarné par l’Etat d’Israël et sa politique.
Sans une analyse claire de la nature du sionisme, on ne peut comprendre l’échec du « processus de paix » et son sabotage méthodique par l’Etat d’Israël. Sans comprendre le sionisme, il est presque impossible de prédire quels seront les prochains actes de la direction israélienne.
Le sionisme, une question très à-propos
Ceux qui doutent de l’intérêt pour le sionisme dans le discours politique actuel décrivent souvent le conflit israélo-palestinien comme un « conflit national », semblable aux conflits des Serbes et des Croates dans l’ex-Yougoslavie, ou aux conflits dans le Caucase. Il y a sans aucun doute une dimension nationale dans le conflit israélo-arabe et tant les Israéliens que les Arabes sont motivés par des sentiments nationaux aussi. Mais le cœur du conflit, cependant, n’est pas national, il est colonial.
A l’époque du passage du 19ème au 20ème siècle, le sionisme cherchait à apporter une réponse à la question juive en Europe de l’Est et en Europe centrale, et une solution à l’antisémitisme par une combinaison de deux instruments qui étaient au cœur de la culture politique de cette période : l’Etat-nation et le colonialisme. La construction d’un Etat-nation juif était l’objectif du sionisme, et la colonisation de la partie occidentale de l’Orient arabe (la Palestine) en a été le moyen. Rien de très spécial pour la fin du 19ème siècle alors que la crise des Empires – tsariste, ottoman, austro-hongrois – provoquait l’extension de mouvements nationaux avec l’objectif de créer des Etats-nations. « Civiliser les pays non civilisés » par le colonialisme fut aussi une caractéristique commune alors en politique étrangère. Le sionisme est par conséquent un simple produit de cette période, l’aspiration à un Etat ethnique juif réalisée grâce à des méthodes colonialistes.
En dépit de ce que prétendent les « post-sionistes », la conduite colonialiste du sionisme n’a pas pris fin avec la création de l’Etat d’Israël, dont les frontières (la ligne de cessez-le-feu de 1948) étaient considérées par une majorité de dirigeants sionistes comme provisoires. En 1967, Israël a repoussé ses frontières jusqu’au Jourdain, étendant ainsi sa souveraineté sur toute la Palestine mandataire. Parler d’un « Israël normal » dans ses frontières d’avant 1967 et de « territoires occupés provisoirement », tout en aspirant à « un retour aux frontières normales d’Israël » est une absurdité totale : ce que l’on appelle l’ « Israël normal » a duré moins de 30% du temps de l’existence totale d’Israël jusqu’à ce jour.
Irréversibilité de l’occupation israélienne ?
Une telle appréciation factuelle signifie-t-elle que l’occupation de la Cisjordanie serait, dans les termes de l’analyste israélien Meron Benvenisti, « irréversible », et qu’une partition de la Palestine en deux Etats serait impossible ? Pas nécessairement : la réalisation du « compromis historique » proposé par le Conseil national palestinien en 1988 et de la création d’un Etat palestinien à côté d’un Etat israélien dépend d’un rapport des forces reflétant un équilibre entre la capacité sioniste de maintenir l’existence de l’Etat colonial d’Israël et celle, palestinienne, d’imposer un retrait israélien des territoires occupés en juin 1967. Un tel rapport des forces a existé entre 1990 et 2000 ; peut-être l’aura-t-on à nouveau dans l’avenir, mais telle n’est pas la réalité présente.
La « solution à deux Etats » est basée sur l’hypothèse que l’équilibre des forces créé par la résistance palestinienne dans les années 70 et 80, et par le contexte international de ces décennies, pouvait obliger l’Etat d’Israël non seulement à arrêter son expansion coloniale mais jusqu’à l’inverser partiellement. Un tel compromis aurait pu apporter à la population palestinienne de Cisjordanie et de la bande de Gaza la fin du joug militaire israélien et la décolonisation de leurs terres.
Avec la guerre globale de recolonisation engagée par les néoconservateurs états-uniens et israéliens à ce dernier changement de siècle, vers le 21ème, et les tentatives israéliennes réussies pour réduire à néant les réalisations limitées du processus d’Oslo, la perspective d’un Etat palestinien indépendant en Cisjordanie et dans la bande de Gaza a perdu, pour l’instant, sa probabilité en tant que projet à relativement court terme.
Solutions et droits
Cela signifie-t-il que l’on doive lâcher l’exigence d’un Etat palestinien et la remplacer par la perspective d’un seul Etat (binational) ? Le débat – spécialement à l’extérieur du mouvement national palestinien – entre ceux qui sont pour une « solution à deux Etats » et les autres pour une « solution à un Etat » est souvent absurde, comme si on se trouvait devant un choix personnel entre deux options parallèles que l’on sélectionnerait en fonction de son propre goût ! « J’aime bien celle à deux, mais je préfère celle à un ».
Ce qui manque à ce prétendu « choix » c’est « le facteur temps », qui fut essentiel dans la stratégie de Yasser Arafat et les options alternatives qu’il avait posées à son propre peuple : un compromis injuste qui peut offrir à l’actuelle génération une liberté relative et une souveraineté limitée, ou beaucoup d’autres années de colonisation, de combat difficile et de souffrances jusqu’à l’obtention de droits palestiniens dans leur globalité. Le CNP de 1988 à Alger a choisi la première option.
Que cela ait été un bon choix ou non est une question qui doit être débattue par le mouvement national palestinien. Pour ce qui concerne le mouvement international de solidarité, y compris les anticolonialistes israéliens, au lieu de débattre des solutions, il faut concentrer nos efforts sur la question des droits : les droits nationaux (droit à l’autodétermination), les droits humains (les Conventions de Genève), les droits sociaux et les droits individuels (le droit au retour).
Partie intégrante de notre combat pour les droits des Palestiniens et du peuple palestinien : la campagne pour les sanctions internationales à l’Etat d’Israël pour ses innombrables violations de la loi internationale et des résolutions des Nations unies. La campagne BDS (pour le boycott, le désinvestissement et les sanctions) contre Israël n’est pas seulement une façon de dire au peuple palestinien que le monde se préoccupe des Palestiniens, c’est une question d’hygiène publique mondiale : un Etat qui viole le droit doit être sanctionné, faute de quoi notre monde devient une jungle où la force est le droit et où il n’existe aucunes règles ni limites éthiques.
Depuis la victoire sur le fascisme, en 1945, les peuples de notre planète ont défini ce qu’étaient les crimes de guerre et les crimes contre l’humanité et, dans les dernières décennies, des tribunaux internationaux ont été réunis afin de juger des criminels de guerre présumés. Il n’y a aucune raison pour que les dirigeants israéliens échappent au droit international et soient autorisés à une impunité choquante.
L’exigence d’une procédure internationale à l’encontre des dirigeants israéliens soupçonnés de crimes de guerre, comme indiquée par le juge Goldstone, rapporteur des Nations unies, fait partie de notre combat international commun en faveur de la justice pour la Palestine et, ce qui n’est pas le moindre, pour un ordre mondial basé sur les droits, la loi internationale et le respect de tous les êtres humains.
La Palestine est le baromètre de l’état du monde, et une ligne de front de la confrontation mondiale entre domination, et liberté.
5 janvier 2010 – The Alternative Information Center – traduction : JPP
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