Par Achille Blondeau, ancien secrétaire général de la fédération CGT du Sous-sol.
Il faut prendre au sérieux la récente attaque du directeur de l’Express, Christian Barbier, contre les congés payés. C’est un des plus connus de ces messieurs je-sais-tout qui pullulent dans les médias et véhiculent l’idéologie de la droite rétrograde. Après les salaires trop élevés, la durée hebdomadaire du travail trop courte, la retraite acquise de trop bonne heure et d’un coût ingérable, voilà maintenant les congés payés dans le collimateur. La bienveillance manifestée par François Hollande et son gouvernement envers le grand patronat encourage manifestement la mise en cause de tous les acquis sociaux sans exception. Un rappel historique s’impose.
Avant 1936, les ouvriers étaient condamnés au travail du 1er janvier au 31 décembre. La grève générale de juin 1936, avec occupation des mines et des usines, leur apporta, entre autres, deux semaines de congés payés l’an. Une véritable révolution. Alors âgé d’une douzaine d’années, j’en conserve un vif souvenir. Je revois la sortie avec vélos fleuris que la section syndicale CGT des mineurs de Raimbeaucourt (Nord), dont mon père était le secrétaire, avait organisée pour aller pique-niquer aux étangs de Brunémont. C’était le défilé de la victoire remportée sur les compagnies minières. Enfin l’on pouvait se reposer deux semaines consécutives sans devoir se lever à 4 h 30 et passer la journée au fond de la mine ! C’était une nouvelle vie qui commençait…
Les congés payés étaient tellement populaires que le gouvernement de Vichy n’osa pas les supprimer. Mieux : en juillet 1942, en butte au développement des conflits sociaux, il fit quelques concessions, dont la création des congés d’ancienneté : un jour pour cinq années passées dans la même entreprise, avec un maximum de six jours.
En 1955, les métallos de la forteresse ouvrière qu’était l’usine Renault de Boulogne-Billancourt ouvrirent la voie à la troisième semaine, qui fut généralisée par la loi du 7 mars 1956. Quant à la quatrième semaine, elle fut incluse dans quelques accords de branche en 1962. Elle figurait dans l’accord conclu début avril 1963 au sein des Charbonnages de France, mettant fin à une grève générale de 35 jours. Il fallut attendre le 16 mai 1969 pour que le Sénat adopte la loi, qui avait déjà fait l’objet de nombreux accords de branche et d’entreprise. La grève générale de 1968 continuait de payer. La cinquième semaine est un des résultats de la victoire électorale de l’union de la gauche et a été promulguée par l’ordonnance n° 8241 du 16 janvier 1982.
C’est le mouvement social, l’action syndicale et les luttes revendicatives qui ont fait progresser par étapes la législation pour aboutir aux cinq semaines actuellement en vigueur.
Les congés payés, c’est la possibilité de décompresser après une année de travail harassante, la possibilité de rendre visite à la famille, de voyager en France ou à l’étranger. C’est vivre en totale liberté. Et qui pourrait nier que l’allongement de la durée de vie des travailleurs résulte pour une part de la réduction de la durée effective du travail ?
On se moque du monde, on se moque de la vérité lorsqu’on affirme que l’actuel chômage massif est dû à des salaires et des retraites trop élevés et à une durée du travail insuffisante. Eh oui, travailler plus et plus longtemps tout en gagnant moins, voilà les solutions que les médias martèlent alors que le nombre de millionnaires, actionnaires parasites pour la plus grande partie, est en constante augmentation.
Pendant près de quarante ans après la Libération, les besoins pour la reconstruction et le développement de l’économie ont été tels que le chômage a épargné la France. Il est, depuis, en augmentation continue et a atteint un niveau intolérable, avec ce que cela suppose de souffrances physiques et morales. Parmi les causes, il y a certes l’insuffisance du pouvoir d’achat. Mais mesure-t-on à leur juste valeur les progrès immenses et continus de la productivité du travail ? Nous vivons depuis quelques décennies dans une révolution technique et technologique permanente, qui, visiblement, n’est pas près de s’arrêter. Il faut mettre les rapports sociaux en concordance avec cette révolution par un changement fondamental du partage des fruits du travail et par une réduction de sa durée. Ainsi disparaîtra le chômage. Ainsi fera-t-il bon vivre. Un très vaste programme.
Achille Blondeau
Aucun commentaire jusqu'à présent.