Saisi par Manuel Valls, le conseil d’État a, jeudi, confirmé l’interdiction du spectacle de Dieudonné qui devait débuter deux heures plus tard à Nantes. Il casse ainsi l’ordonnance du tribunal administratif qui avait fait le choix inverse.
Au terme d’une après-midi qui aura vu la justice administrative jouer du chronomètre, le juge des référés Bernard Stirn, du conseil d’État, a pris la décision en une heure, jeudi 8 janvier, d’interdire le spectacle de Dieudonné qui devait se tenir le soir même au Zénith de Saint-Herblain/Nantes. Plus de 5 500 personnes avaient réservé leur place pour le spectacle qui devait débuter à 20 h 30. Hier soir, plusieurs centaines de personnes massées devant la salle appelaient « à la révolte », criant « Valls, démission ».
Siégeant en urgence à 17 heures après avoir été saisi deux heures plus tôt par Manuel Valls, le magistrat du conseil d’État a annulé une ordonnance rendue à 14 h 30 par le tribunal administratif de Nantes et qui désavouait le choix du ministre de l’intérieur de faire interdire les spectacles de Dieudonné. Cette célérité tout à fait exceptionnelle de la part d’un magistrat du conseil d’État étonnait de nombreux avocats, jeudi soir. Le tribunal administratif avait en effet décidé de suspendre l’arrêté préfectoral qui interdisait le spectacle. Saisi par le ministre, le conseil d’État avait légalement 48 heures pour se prononcer mais il l’a fait immédiatement, voulant rendre sa décision avant le début du spectacle. Il casse l’ordonnance du tribunal et rétablit ainsi l’arrêté préfectoral d’interdiction.
Jean-Marc Ayrault a estimé que cette décision du conseil d’État « conforte la position du gouvernement » prise pour enrayer la « dérive antisémite » dans laquelle s’est engagé Dieudonné. « Chaque spectacle était une spirale. Il s’agit d’une décision administrative qui annule un spectacle mais le combat n’est pas qu’administratif, il est aussi éducatif, politique », a-t-il ajouté. « La République a gagné », déclarait pour sa part Manuel Valls.
Dans sa décision, le magistrat du conseil d’Etat prend le contrepied des juges administratifs de Nantes, considérant qu’il y a bel et bien de sérieux risques de troubles à l’ordre public « qu’il serait très difficile aux forces de police de maîtriser ».
Le conseil d’État ajoute que « le spectacle ‘Le Mur’, tel qu’il est conçu, contient des propos de caractère antisémite, qui incitent à la haine raciale, et font, en méconnaissance de la dignité de la personne humaine, l’apologie des discriminations, persécutions et exterminations perpétrées au cours de la Seconde Guerre mondiale ». Il ajoute que Dieudonné a fait « l’objet de neuf condamnations pénales, dont sept sont définitives, pour des propos de même nature ».
L’arrêt du conseil d’Etat, dans son intégralité, peut être lu ici
Dans son ordonnance, le tribunal administratif suspendait au contraire l’arrêté d’interdiction pris par le préfet de la Loire-Atlantique, Christian de Lavernée, estimant que cet arrêté « constitue une atteinte grave à la liberté d’expression ; qu’en l’absence de tout motif invoqué par le préfet de nature à la justifier, cette atteinte est manifestement illégale ». Le tribunal ajoutait que le spectacle « ne peut être regardé comme ayant pour objet essentiel de porter atteinte à la dignité humaine » et qu’il« n’est pas établi par les seules pièces du dossier qu’à l’occasion de ce spectacle, l’intéressé puisse être regardé comme ayant manifesté l’intention de reprendre les mêmes phrases et de commettre les mêmes infractions » que celles constatées lors de précédentes représentations.
Le tribunal écartait également l’argument avancé par le ministre de l’intérieur de« troubles à l’ordre public », argument repris dans la circulaire envoyée aux préfets et par le conseil d’État. Le tribunal précisait que face à ce risque de troubles, « il n’est pas justifié que le préfet ne disposait pas des moyens nécessaires au maintien de l’ordre public » et que ce risque « ne pouvait fonder une mesure aussi radicale que l’interdiction de ce spectacle ».
Enfin, les magistrats rappelaient que plutôt que d’interdire a priori un spectacle, les propos tenus à cette occasion pouvaient être poursuivis et sanctionnés : « En tout état de cause, alors qu’il appartient aux autorités investies du pouvoir de police, si elles s’y croient fondées, de prendre toutes dispositions utiles en vue de la constatation des infractions et de la poursuite de leurs auteurs devant les juridictions pénales, il n’est pas démontré que l’interdiction en cause serait seule de nature à s’opposer à ce que M. M’Bala M’Bala profère des injures publiques envers des personnes ou des incitations à la haine raciale ou religieuse. »
L’intégralité de l’ordonnance peut être lue en cliquant ici
Les considérants de cette ordonnance mettaient à bas l’ensemble de l’argumentaire avancé ces derniers jours par Manuel Valls. Le ministre de l’intérieur affirmait dans un communiqué que la décision de Nantes « n’éteint pas les voies de droit » car le tribunal administratif « a confirmé la thèse qui fait du respect de la dignité de la personne humaine une composante fondamentale de l’ordre public ». Le ministère de l’intérieur décidait alors de saisir en urgence le conseil d’État, espérant l’invalidation de l’ordonnance du tribunal administratif.
« Fallait-il ne rien faire ? Certainement pas, a affirmé Manuel Valls jeudi après-midi lors d’un déplacement en Bretagne. D’ores et déjà nous avons gagné le combat politique de la mobilisation et du sursaut. Quelles que soient les décisions en cours, la mobilisation continue. Le combat continue et tous les moyens de droit doivent être employés. »
Le conseil d’État, de manière exceptionnelle, s’est réuni quelques heures seulement après sa saisine. Les polémiques de ces derniers jours et le face-à-face médiatique organisé par le ministre de l’intérieur ont largement contribué à populariser la tournée de Dieudonné. Au Zénith de Nantes, plus de 5 500 places (pour une capacité de 6 000) étaient réservées jeudi matin, ce qui représenterait une recette de plus de 200 000 euros.
L’ancien ministre socialiste Pierre Joxe mais aussi Jack Lang et le député socialiste Olivier Faure, proche de Jean-Marc Ayrault, s’étaient prononcés contre la circulaire du ministre de l’intérieur incitant les préfets à prendre des arrêtés d’interdiction (la circulaire est à lire ici). Le 6 janvier, la Ligue des droits de l’homme critiquait la voie empruntée par le ministre de l’intérieur, ces « interdictions préalables au fondement juridique précaire et au résultat politique incertain, voire contreproductif ».
En revanche, François Hollande, en soutien à Manuel Valls, a demandé mardi aux préfets de se montrer « vigilants et inflexibles » dans l’application de la circulaire. « Face à l’antisémitisme, face aux troubles à l’ordre public que suscitent des provocations indignes, face aux humiliations que représentent les discriminations, je demande aux représentants de l’État et en particulier aux préfets d’être vigilants et inflexibles », déclarait le chef de l’État.
Lire ici le parti-pris d’Edwy Plenel : Contre Dieudonné, mais sans Valls
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