Dieudonné n’exprime pas la colère des rejetés, il n’appelle pas à se soulever contre l’injustice et l’étouffement des esprits : il cultive le ressentiment. C’est depuis bien longtemps le ressort de toutes les droites extrêmes. Ses accointances avec Jean-Marie Le Pen ou Alain Soral ne doivent rien au hasard : Dieudonné fait de la politique. Il est infiniment méprisable car il n’offre pas l’horizon de la dignité, de l’intelligence critique mais seulement le présent de la haine et de la confusion. Il est toutefois absurde et dangereux d’opposer, à tous les Dieudonné, les seules ressources d’un ordre administratif et policier. Il faut lui objecter la justice, chaque fois qu’il viole les principes imprescriptibles de la dignité humaine, chaque fois qu’il s’adonne au racisme et à l’antisémitisme, direct ou larvé, par la parole ou par le signe. Et il faut lui opposer la force de la politique autour des valeurs d’humanité et de justice.
Mais pas de tartufferie. Comment invoquer la concorde sociale et s’accommoder, voire organiser, une société qui sépare, qui discrimine, qui polarise de plus en plus les avoirs, les savoirs et les pouvoirs ? Il y a, dans la réponse d’un Manuel Valls, une dose inacceptable de cynisme. Mais il n’y a pas que cela. Quand on renonce à contrôler le pouvoir de l’argent, quand on glisse, pièce par pièce, de l’économie de marché à la société de marché, quand on renonce à éradiquer la misère, quand on verrouille la démocratie, quelle autre voie possible que celle de l’ordre, rebaptisé « ordre juste » ?
Allons-nous nous contenter, en France comme en Italie, d’organiser le face-à-face du guignol et de l’État ? Le recul de l’esprit public, la débâcle de l’État protecteur, le déclin de la loi et le renoncement à la conflictualité politique sont les formes multiples d’un même processus de délitement démocratique. Chaque fois que la politique et la justice reculent, c’est l’ordre qui revient sur le devant de la scène, qu’il soit administratif, moral ou policier. La protection et la promotion de la personne sont des principes fondateurs de la gauche. L’ordre appartient à la droite. Cette affaire a pris des proportions que nos concitoyens ne comprennent pas. Il est évident que Manuel Valls allie enfumage, démagogie et autoritarisme. Il fait sa campagne. Mais ce qu’il enclenche est d’une cohérence inquiétante.
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