Rencontres à Johannesburg
Je séjourne actuellement trois semaines en Afrique du Sud, et j’en ai profité à Johannesburg pour chercher à rencontrer des militants de BDS South Africa et des militants juifs antisionistes.
J’ai en même temps commencé à percevoir la situation générale du pays, ce qui indispensable pour comprendre dans quel contexte s’inscrit le travail de ces militants.
J’ai préféré ne pas charcuter mon petit compte rendu en dissociant ce qui intéresserait la Campagne BDS de ce qui intéresserait plus spécifiquement l’UJFP – ou IJAN-, ou aussi la campagne contre le KKL, parce que j’espère que l’ensemble vous intéressera tou-te-s.
Première impression : bien que je m’y attendais, j’étais stupéfait par la disparité des situations sociales, me déplaçant le même jour d’abord dans des quartiers très résidentiels, ultrasécurisés avec gardiens à l’entrée et murs d’enceinte surmontés de fils électrifiés, les habitants bénéficiant de personnels de service (femmes de ménage, jardiniers …), puis deux heures plus tard dans des townships avec baraques misérables à toits en tôle.
La pauvreté et le chômage sont très importants parmi la population noire ; de nombreux hommes attendent sur les trottoirs, souvent par petits groupes, qu’une opportunité se présente à eux pour un travail la plupart du temps très temporaire. De plus, il y d’importants bidonvilles peuplés de gens de pays limitrophes ou proches venus dans l’espoir de trouver un travail.
En même temps que ce sombre tableau, on peut percevoir en discutant avec les gens que pour eux l’apartheid racial c’est le souvenir d’une période révolue et, autre point à signaler, dans certains townships et notamment à Soweto, des logements plus confortables (et toujours sous forme de maisons basses) apparaissent. Je peux donner des détails, particulièrement sur le souvenir de l’apartheid, sur l’hommage à Mandela et aux autres combattants, sur le bilan moral et politique de la période de l’apartheid (très riche et émouvant musée de l’apartheid), mais j’en reste là, pour en venir aux sujets qui nous unissent : BDS, StopFNJ et le militantisme des juifs antisionistes, ou au moins mobilisés contre l’occupation et pour l’égalité des droits des Palestiniens.
Avant de partir de France, j’avais signalé ma venue à Muhammed D., animateur de BDS South Africa.
Il m’avait proposé par internet de rencontrer les militants de StopFNJ à Johannesburg.
Je suis alors allé à cette rencontre, et me suis retrouvé dans une réunion interne de StopFNJ, menée tambour battant sur un projet précis et avec une connection skype avec un militant d’Angleterre et une militante rabbin en Californie. J’ai bien-sûr expliqué notre situation en France concernant le KKL, nous avons eu beaucoup de discussions, dont je présenterai plus loin les points qui me paraissent les plus importants, mais une question m’a perturbé : je me suis aperçu que StopKKL de Johannesburg, voire de toute l’Afrique du sud, était une association uniquement juive.
Qu’il y ait des Juifs anti-KKL dans cette association, heureusement, mais pourquoi uniquement des Juifs ? Imaginerait-on pareille situation en France ?
J’ai alors eu le lendemain deux autres rencontres pour avoir des éclaircissements : avec Allan H. venu la veille, et avec Muhammed de BDS South Africa.
Ce qui suit est un petit rapport sur la campagne BDS en Afrique du Sud, sur l’histoire des Juifs sud africains opposés à la politique israélienne, et sur StopFNJ d’Afrique du Sud.
BDS South Africa :
Point de vue de Muhammed :
BDS South Africa a le statut d’ONG, avec un « board » de 7 membres et quelques permanents.
L’association existe depuis 4 ans, alors qu’avant BDS touchait surtout les officiels de l’ANC et le gouvernement. Au début la campagne BDS était composée principalement de musulmans.
Le gouvernement et les médias sont réceptifs à BDS.
La campagne a un accès à des membres du gouvernement, pas à tous, mais certains ministres soutiennent discrètement. En même temps le gouvernement n’est pas toujours très populaire.
Le Sud Africain moyen soutient le mouvement BDS quand il a des réunions avec l’ANC ou les syndicats : la question est alors comment canaliser cela.
Certains jeunes sud africains apprennent maintenant ce qu’avait été le soutien international à la lutte contre l’apartheid.
Muhammed me remet plusieurs DVD sur le boycott à l’époque de l’apartheid (enregistrement d’une série télévisée)
Il dit que pour l’Afrique du Sud les autres pays qui mobilisent le plus l’opinion sont dans l’ordre la Palestine, Cuba et le Sahara occidental.
Le gouvernement n’est pas plus actif pour la Palestine à cause de la pression des USA, des lobbies sionistes juifs et d’Israël.
Le South African Jewish board of deputies, ainsi que la South African Zionist Federation font pression.
Israel noue des contacts avec des responsables sud africains aux échelons régionaux pour leur proposer des produits high tech et du matériel de répression et de surveillance. Israël a peur d’un effet boule de neige avec d’autres pays africains s’il perd le contact avec l’Afrique du Sud.
L’appel à boycott auprès des consommateurs est nouveau en Afrique du Sud.
L’appel à boycott de la société Woolworth (qui commercialise notamment des fruits et légumes) est un exemple.
BDS South Africa projette de travailler aussi dans les townships.
En réponse à l’une de mes questions, il m’est précisé que la société israélienne qui commercialisait des dattes cultivées en Afrique du Sud a indiqué qu’elle a cessé cette activité.
Concernant les rapports avec d‘autres groupes de solidarité avec le peuple palestinien, ce qui est important est que BDS devienne un sujet majeur.
Concernant la population juive, une pétition « Not in my name » avait été lancée, elle a touché surtout des gens âgés, mais son impact n’a pas duré.
La jeune génération juive commence à s’interroger sur la situation en Palestine et Israël.
StopJNF est une tentative intéressante de pénétrer la communauté juive. La campagne BDS reconnait la complémentarité entre son travail et le travail des militants juifs qui animent StopJNF ; elle appelle à des initiatives de StopFNJ.
BDS South Africa était venu en France (intervention de l’un de ses militants) lors de la dernière semaine contre l’apartheid sud africain. Elle serait prête à revenir pour une autre initiative.
Muhammed nous suggère d’inviter lors d’une occasion militante propice l’écrivain sud africain Breiten Breytenbach qui vit en France (note : l’écrivain André Brink est souvent en France aussi).
Point de vue complémentaire de militantes de StopFNJ :
Le gouvernement, les grands syndicats et l’ANC ont déclaré leur soutien à BDS, mais ils ne font pas grand-chose à cause du poids du lobby sioniste juif, qui a beaucoup d’influence.
L’étiquetage des produits des colonies est imposé par le gouvernement.
BDS South Africa se compose de petits noyaux, mais qui sont affiliés à d’autres mouvements, par exemple des syndicats.
Quand BDS South Africa organise une action, des militants de StopFNJ y participent, permettant ainsi d’éviter l’accusation d’antisémitisme.
Les militants juifs sud-africains contre l’occupation et pour l’égalité des droits des Palestiniens.
Il est utile de rappeler les contextes historique et géographique.
Les familles de beaucoup de membres de la communauté juive sont issues de Lithuanie (à partir des années 1880) et d’Allemagne (immigration de l’époque du nazisme)
Il y a actuellement 70000 Juifs en Afrique du Sud (sur 51 000 000 d’habitants), et surtout dans quelques grands centres urbains (surtout Johannesburg et Cape Town)
Pour les militants juifs aujourd’hui mobilisés contre l’occupation et pour l’égalité des droits des Palestiniens, la mémoire de la lutte contre l’apartheid sud-africain est une référence importante.
Pendant l’apartheid beaucoup de Juifs se sont comme tous autres blancs accommodés de l’apartheid, mais il est vrai que parmi les militants blancs mobilisés contre l’apartheid il y a eu proportionnellement plus de Juifs que d’autres blancs – toutefois dans leur combat contre l’apartheid ces Juifs ne se revendiquaient pas en tant que Juifs.
A partir de la période 1986/87, « Jews for social Justice » soutient le combat contre l’apartheid. Mais après la disparition de l’apartheid cette association n’a plus soutenu les militants Juifs qui se sont mis à critiquer l’Etat d’Israël.
Evolution selon Allan H. des Juifs mobilisés contre l’occupation et pour l’égalité des droits des Palestiniens :
Au début de la seconde intifada (en 2000 environ), « Jewish Voice … » d’Afrique du Sud a réuni environ 500 personnes. Mais le groupe a ensuite explosé suite à un débat sur « un Etat » ou « 2 Etats »
Puis une nouvelle association juive s’est formée, s’intéressant également à des problèmes sociaux.
Il y a eu alors un nouvel éclatement.
Au cours de cette période des militants de « Breaking The Silence » ont été invités.
La situation semble maintenant plus propice suite à l’enfoncement de la politique de l’Etat d’Israël et suite à l’activité de StopFNJ, qui peut rallier des Juifs sur un objectif simple : la démocratie et l’égalité des droits.
StopFNJ :
StopFNJ réunit à la fois des Juifs qui ont participé à la lutte contre l’apartheid sud-africain et des jeunes.
Les Juifs qui ont participé à la lutte contre l’apartheid ne sont pas tous autant mobilisés aujourd’hui contre l’apartheid israélien.
Le KKL en Afrique du Sud a des activités. Il se présente comme un organisme pour l’environnement, y compris en association avec d’autres organismes ; il est lié aux mouvements de jeunesse et aux écoles juifs.
Le KKL a décerné après le départ de l’ancien ambassadeur d’Afrique du Sud en Israël une plaque à titre honorifique. Ce dernier l’a alors renvoyé pour marquer sa désapprobation de la politique du KKL. Pour se venger le KKL a alors planté un arbre en son nom. Il a procédé de même à l’encontre de militants juifs anti-KKL.
La réunion de StopFNJ à laquelle j’ai participé comportait une dizaine de personnes, la moitié faisant partie de la génération ayant participé à la lutte contre l’apartheid et l’autre moitié étant des jeunes dont les parents ont participé à cette lutte. Plusieurs parmi ces jeunes sont issus de mouvements de jeunesse juifs sionistes et remette donc en question l’idéologie de ces mouvements.
StopFNJ travaille avec Zochrot (association israélienne pour la reconnaissance de la Naqba et pour la mémoire des villages palestiniens disparus) dans la perspective de préparer une action contre le KKL.
Différentes forêts, construites sur les ruines de villages détruits lors de la Naqba, portent des noms de pays. Ainsi l’African Forest (Afrique du Sud), et des forêts liées au Canada, à la Grande Bretagne, etc. L’African Forest a été plantée sur le lieu du village palestinien détruit Lublia.
L’idée est de faire pendant une semaine avec Zochrot et des survivants des villages disparus une action dans chaque forêt. Les gens qui participeraient à cette action feraient une cérémonie sur les lieux des villages disparus en faisant publicité sur le fait que la population palestinienne, même vivant en Israël, ne peut plus aller dans les cimetières de ces villages.
Les militants sud-africains souhaitent que les militants juifs d’autres pays s’associent à cette action en prenant en charge la mobilisation concernant les forêts au nom de leur pays.
Ils ont préparé une déclaration déjà envoyée à une centaine de personnes juives et affirmant « qu’au cours de leur jeunesse ils ont mis de l’argent dans la petite tirelire bleue du KKL en croyant faire une bonne action, mais qu’ils ont compris maintenant que cet argent a servi à effacer le souvenir des lieux où les Palestiniens habitaient autrefois. Ils ont compris qu’il ne s’agissait pas d’une opération environnementale mais d’un programme pour favoriser une élite ethnique »
Il m’est signalé que la militante rabbin de Californie participant à la réunion par skype est engagée dans « Jewish Voice for Peace » (association étatsunienne) et travaille sur un projet éducatif sur l’histoire de la Naqba destiné à toucher le public américain, juif ou non juif ; des conférences avec Zochrot à travers les USA sont prévues dans ce projet.
StopFNJ estime que l’action souhaitée avec Zochrot dans les forêts plantées sur les ruines de villages palestiniens détruits peut avoir un impact fédérateur des Juifs israéliens anti-occupation et pour l’égalité des droits et que d’autres associations juives peuvent se rallier à ce projet.
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