Voir de l’antisémitisme partout nous promet le retour au ghetto i24news

La semaine dernière, le président du Parlement européen, l’Allemand Martin Schulz, a relaté dans son discours devant la Knesset, dans sa langue, une conversation avec un jeune de Ramallah qui s’était plaint de la disparité entre la quantité d’eau dont disposent les Palestiniens et celle dont bénéficient les Israéliens, et a demandé à ses hôtes si c’était vrai.

En Hongrie, un parti ouvertement fasciste, Jobbik, tient le haut du pavé, un buste de l’amiral Miklos Horthy, dirigeant du régime ultraréactionnaire qui a collaboré avec Hitler orne depuis novembre dernier une place de la capitale, et un certain Sandor Szakaly, historien militaire et directeur de l’Institut de recherche historique Veritas, a qualifié de simple « opération de police contre des étrangers » la déportation vers l’Ukraine, en 1941, de 14.000 juifs d’Europe centrale qui y furent massacrés par les nazis. A partir de ce lundi 17 février, le Danemark interdit l’abattage rituel juif sur l’ensemble de son territoire.

Qu’est-ce qui relie entre eux ces événements apparemment disparates ? L’antisémitisme, pardi. Aussi bien, chacun d’entre eux a été l’occasion d’une réaction appropriée de Jérusalem. Martin Schulz a été étrillé en pleine enceinte du siège de la souveraineté israélienne, boycotté par les députés du parti Habayit Hayehoudi, membre de la coalition gouvernementale, qui ont vidé les lieux, puis vertement remis à sa place par le Premier ministre en personne.

L’ambassadeur de Hongrie en Israël, Andor Nagy, a été convoqué au ministère des Affaires étrangères à Jérusalem, où le directeur-adjoint des Affaires européennes, Rafi Schutz, lui a fait part de la « profonde inquiétude » des autorités israéliennes face à l’antisémitisme et au négationnisme qui se manifestent dans son pays. Et le vice-ministre israélien des Cultes, Eli Ben Dahan, a fermement condamné la décision danoise, qu’il a placée, comme il se devait, dans un contexte d’atmosphère antisémite en Europe : « L’antisémitisme européen dévoile son véritable visage et se retrouve même dans les sphères gouvernementales », a-t-il déclaré, avant d’ajouter : « J’appelle l’ambassadeur danois [en Israël] à empêcher l’application de la décision qui interdit l’abattage kasher. Nous ne nous tairons pas ». On ne voit pas trop comment le malheureux ambassadeur pourrait empêcher l’exécution d’une mesure prise par son gouvernement sur son territoire, mais passons.

Dans cet inventaire à la Prévert, tout individu doté d’un peu de jugeote, autrement dit capable du minimum de discernement sans lequel il n’est pas de réflexion politique possible, comme d’ailleurs de réflexion tout court, comprend que seule l’affaire hongroise relève de l’antisémitisme. Si Martin Schulz, social-démocrate bon teint et ami éprouvé d’Israël, si cet homme qui dit être entré en politique à cause de la Shoah, qui considère que le devoir premier de l’Allemagne est de protéger Israël et qui affirme haut et fort que, lui aux affaires, jamais l’Union européenne n’acceptera de boycotter l’Etat juif, si cet homme est antisémite, alors tout le monde est antisémite, ou personne ne l’est. On peut, évidemment, discuter du bien-fondé de la décision de Dan Jørgensen, le ministre danois de l’Agriculture et de l’Alimentation de ne plus permettre l’abatage kasher et contester son affirmation selon laquelle « Les droits des animaux sont prioritaires par rapport aux droits religieux ». Mais, grands dieux, qu’est-ce que cela a à voir avec l’antisémitisme ?

Devant cet étalage de chauvinisme et de bêtise, on peut hausser les épaules et passer à autre chose. On aurait tort. A un moment où les nuages du boycott s’amoncèlent à l’horizon et où chaque bonne volonté compte, une fraction non négligeable de la classe politique locale semble avoir décidé qu’il était de bonne politique de nous aliéner les amis dont Israël dispose encore de par le vaste monde, notamment en Europe. Politiquement, c’est suicidaire.

Plus profondément, c’est le projet sioniste lui-même que ces mauvaises manières mettent à mal. Le sionisme, rappelons-le, était ce mouvement national né pour assurer au peuple juif une place parmi les nations du monde, une place d’égal parmi des égaux. A force de voir des antisémites partout, ce que les Bennett, Ben Dahan et consorts nous promettent, c’est le retour au ghetto. Quoi d’étonnant dès lors si les Israéliens se précipitent par milliers aux guichets des consulats européens ?

Elie Barnavi est historien et essayiste, Professeur émérite d’histoire moderne à l’Université de Tel-Aviv, et ancien ambassadeur d’Israël en France.