Le gouvernement espagnol attaque les droits démocratiques
Par Alejandro Lopez
16 avril 2014
Le gouvernement du Parti populaire (PP) espagnol intensifie ses attaques contre les droits démocratiques en réaction à la vive opposition à la catastrophe sociale engendrée par ses mesures d’austérité et à celles de son prédécesseur, le Parti socialiste ouvrier espagnol (PSOE).
D’après le Fonds monétaire international qui est complice dans l’imposition des mesures d’austérité, le gouffre entre riches et pauvres a augmenté plus vite en Espagne depuis la crise économique qui a éclaté en 2008 que dans n’importe quel autre pays d’Europe. Un rapport de l’organisation humanitaire Caritas montre que les 20 pour cent les plus riches de la société espagnole sont maintenant sept fois et demi plus riches que le cinquième le plus pauvre – l’écart le plus important d’Europe. Une étude du Crédit suisse a révélé que le nombre de millionnaires en Espagne a atteint 402.000 en 2012, une augmentation de 13 pour cent en seulement un an. En même temps, le chômage est à 25,6 pour cent et 56 pour cent parmi les jeunes.
La résistance de la classe ouvrière contre l’appauvrissement a augmenté. D’après l’organisation des employeurs, la CEOE, durant les deux premiers mois de 2014 il y a eu 184 grèves soutenues par 56.693 travailleurs, entraînant la perte de 2.668.556 heures de travail, une augmentation de 5 pour cent par rapport à l’année passée. En tout en 2013, plus de 15 millions d’heures de travail ont été perdues suite à 1259 grèves où plus d’un demi-million de travailleurs furent impliqués.
Le nombre de manifestations a augmenté fortement. D’après le ministère de l’Intérieur, il y a eu 36.000 manifestations en 2012 – le double du nombre de 2011 (18.442).
Dans ces conditions, la classe dirigeante s’en remet ouvertement à des mesures autoritaires. Les travailleurs en grève et les manifestants sont traînés devant les tribunaux et les procureurs demandent des sanctions féroces.
Huit travailleurs d’Airbus sont actuellement poursuivis pour des affrontements avec la police devant l’usine au cours de la grève générale de septembre 2010 contre les réformes du droit du travail du PSOE. Les procureurs demandent huit ans d’emprisonnement pour chacune des personnes impliquées, la peine la plus élevée jamais demandée pour des affaires similaires depuis la fin du régime fasciste en Espagne en 1978.
À Madrid, 113 contrôleurs aériens (CTA) et huit responsables du syndicat USCA sont accusés de sédition et encourent jusqu’à six années de prison pour avoir participé à une grève sauvage en décembre 2010. Les CTA étaient en grève contre le décret du gouvernement du PSOE qui réduisait leurs salaires de 40 pour cent, augmentait les heures de travail et réduisait les périodes de repos. Le gouvernement du PSOE a réagi en déclarant un état d’alerte de 15 jours et en envoyant l’armée.
La grève des CTA a montré que lorsque les syndicats ne parviennent pas à contenir, isoler et démoraliser la classe ouvrière par leurs manifestations symboliques d’un jour, l’État emploie la répression sans retenue. Encouragé par la trahison syndicale de cette grève et d’autres depuis, et par leur collaboration dans l’application des coupes et des réformes du travail, le gouvernement tente maintenant d’établir le contexte dans lequel les grèves seront entièrement illégales.
La ministre du Travail et de l’Emploi, Fátima Bañez, lance des appels sur le «besoin d’une nouvelle loi sur les services minimums» pour toutes les grèves, qui viendrait neutraliser les mouvements de revendication comme c’est déjà le cas dans les «services essentiels» comme les transports publics, où 50 pour cent du service normal doivent être maintenus. Bañez a affirmé qu’une loi de ce genre devrait «être discutée naturellement et sérieusement par les représentants des travailleurs, des employeurs et du gouvernement». Les syndicats vont sans doute se plier à ses demandes comme par le passé.
Le gouvernement espagnol a également renforcé les forces de la répression, dont la police antiémeute impliquée dans le contrôle et la surveillance des manifestations. En 2013, le budget du matériel et des équipements antiémeute est passé de 173.670 euros en 2012 à 3,26 millions d’euros, et du financement supplémentaire est déjà promis.
Un cadre juridique est mis en place pour rendre les manifestations illégales. Le 31 mars, une affaire judiciaire sans précédent a commencé contre 20 jeunes accusés de «crimes contre les institutions de l’État » pour avoir cerné le parlement catalan en juin 2011 au cours d’une tentative d’empêcher les députés d’entrer et de voter d’importantes coupes budgétaires.
Les parties civiles dans cette affaire sont la Generalitat (l’exécutif régional catalan), le parlement régional catalan, et le syndicat fasciste Manos Limpias(Mains propres), qui demandent jusqu’à huit ans et demi de prison contre les accusés.
Le fait que le parti catalan au pouvoir Convérgencia i Unió, qui mène actuellement une agitation séparatiste en faveur d’une Catalogne indépendante, demande des poursuites et s’allie avec les fascistes, montre le genre de mini-État qu’il cherche à créer en Catalogne: un cadre antiouvrier favorable aux affaires, où les manifestations seront écrasées et où ceux qui sont arrêtés seront condamnés à des années de prison.
Les manifestations récentes des trois dernières semaines ont également subi la répression.
Après l’énorme manifestation du 22 mars contre l’austérité dans la capitale espagnole, le délégué du gouvernement à Madrid a annoncé que les principaux organisateurs allaient être accusés des dégâts causés durant les troubles qui ont eu lieu à la fin. Le maire de Madrid Ana Botella a exigé l’interdiction des manifestations dans les «zones d’intérêt historique et artistique, les zones avec une présence touristique importante et les voies de transport stratégiques» de la ville, les restreignant de fait à la périphérie de la ville. Cette demande est appuyée par le ministre de l’Intérieur, Jorge Fernández Díaz, qui a déclaré qu’«aucun droit n’est absolu».
Durant la grève du 26 au 28 mars contre les coupes dans l’éducation, l’élimination des bourses étudiantes et l’augmentation des frais d’inscription, qui avait l’appui de plus de 2 millions d’étudiants, la police a pénétré dans l’enceinte des universités, ce qui rappelle son action sous l’ère Franco: d’après la loi espagnole la police ne peut pénétrer dans une université qu’avec la permission du recteur. Rien qu’à Madrid, 80 étudiants ont été arrêtés parce qu’ils occupaient leur faculté.
Le 29 mars, une petite manifestation à Madrid pour l’abolition de la monarchie a été dispersée par des policiers antiémeute qui l’ont déclaré «illégale» parce qu’elle n’avait pas été annoncée aux autorités. Des journalistes connus pour leur critique de la conduite du gouvernement et de la police face aux manifestations ont été attaqués par la police et l’un d’entre eux a été arrêté.
Le même jour, à Barcelone, 1400 policiers antiémeute ont été mobilisés contre une manifestation de 8000 personnes contre le projet de Loi citoyenne, qui limite le droit de manifester et impose de lourdes amendes et des peines de prison pour «désobéissance».
Les autorités espagnoles font preuve d’un mépris de toute critique de leurs méthodes, dont l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE), qui a déclaré que «toute tentative d’intimider ou d’attaquer des journalistes est une violation claire du droit à des médias libres et ne peut être tolérée», après l’arrestation de quatre journalistes à Madrid.
La présidente de région du PP, Esperanza Aguirre, a attaquée l’OSCE en affirmant: «qui sont ces gens qui viennent en Espagne regarder notre police comme si c’était une république bananière ou une satrapie communiste […] la présence de ces gens est intolérable».
Une pratique de provocations policières délibérées émerge: la police charge les manifestations à 20h30, soit une demi-heure avant les grands journaux télévisés.
(Article original paru le 15 avril 2014)
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