Le prochain cercle de silence de Strasbourg aura lieu dimanche 28 février à 18 heures afin de protester contre la criminalisation des personnes démunies de papiers. A Strasbourg, ce mois de février a été lourdement marqué par une succession de familles déchirées et anéanties par la surdité des autorités qui n’ont tenu compte de rien : ni de l’enfant gravement handicapé qui se retrouve sans père, ni de la petite qui, à l’issue d’une grave opération chirurgicale des reins ne reverra plus non plus son père, ni des ultimes appels au secours de ceux aura enfermé et expulsé ainsi : tentative de suicide, refus d’embarquement, grève de la faim… Sans tenir compte non plus des rassemblements de protestation, des pétitions et des multiples courriers adressés à la Préfecture pour demander l’arrêt de ces violations flagrantes des droits humains.
De plus en plus de familles, effrayées par le danger d’être arrêtées à tout moment demandent un parrainage au Réseau Education Sans Frontières afin d’être un peu mieux protégées. Nous dédions le cercle de silence de ce mois de février à tous ces parrains et marraines qui accompagnent ces familles dans leurs épreuves. Témoignage de Sabine, une marraine parmi tant d’autres, à Strasbourg :
“L’été dernier, suite l’appel de RESF, mon mari et moi décidons pour la deuxième fois de devenir parrains. Nous rencontrons « notre » nouvelle famille : un couple Géorgien et leurs deux enfants, lors de la cérémonie de parrainage officielle. Il y a beaucoup de monde autour. Malgré la barrière de la langue, nous avons l’impression, immédiate, que nous allons vivre ensemble des moments assez intenses.
Nous partons en vacances. Le soir de notre retour, nous apprenons, par une cascade de mails, que le père a été arrêté et enfermé au Centre de Rétention de Geispolsheim. Il a failli être renvoyé en Géorgie et vient juste d’être libéré. La famille a une semaine pour quitter le territoire – malgré le recours auprès de la Cour Nationale du Droit d’Asile. Durant tout le mois de juillet, les autres parrains-marraines sont intervenus, ont manifesté pour éviter le pire. Maintenant, nous prenons le relais.
Pour leur permettre de souffler un peu, nous les invitons dans notre maison de campagne. Nous communiquons par gestes, par mots simples. Tout juste sorti du Centre de Rétention, le père revoit ses enfants pour la première fois depuis trois semaines. Ils sont comme… en convalescence, ils ont besoin de se rétablir du traumatisme subi.
Après la rentrée scolaire, les contacts restent fréquents. Parfois, ils nous demandent de les aider à remplir des papiers : demande de bourse, inscription à la cantine, courriers de délégués de parents d’élèves… Routine pour nous, une montagne pour eux… Plus difficile, leur « interpréter » en français courant leurs courriers administratifs ou juridiques – jargon quasi-incompréhensible pour nous, qui donne le sentiment qu’il est plus important de faire entrer les gens dans des cases administratives, plutôt que de leur faire justice.
Notre petit dernier est très ami avec eux, leur saute au cou dès qu’il les voit. Parfois, nous vivons de près leurs changements d’humeur : moments d’abattement, face à l’immense point d’interrogation qu’est leur avenir. Déprime, lorsqu’ils se font rabrouer par une instance administrative. Sentiment d’humiliation, de ne pas être considérés comme des personnes dignes de ce nom, d’être traités comme des criminels, alors qu’ils veulent justement prouver le contraire. Et toujours cette peur, quotidienne, de se faire contrôler et arrêter.
Cette peur, nous la ressentons nous-mêmes. Il nous arrive de les attendre pour partager un moment ensemble. Ils sont en retard et déjà, nous prévoyons le pire. Nous imaginons les lieux où ils ont pu être contrôlés : près de Casas, en voulant chercher leur courrier, au centre ville, n’importe où… Ces contrôles d’identité, nous en avions entendu parler. Mais les appréhender ainsi, rend cette peur autrement plus tangible, familière… et insupportable.
En décembre, l’OFPRA retire la Géorgie de la liste des pays considérés comme « sûrs ». Tout à coup, plus besoin d’éviter les policiers, ils peuvent marcher dans la rue sans crainte. Du jour au lendemain, ils deviennent des demandeurs d’asile « normaux »… qui ont provisoirement le droit d’être ici… et qui ont eu « la chance » de ne pas se faire expulser quelques semaines trop tôt… Un soulagement indicible… mais qui met d’autant mieux en lumière le côté kafkaïen de leur situation précédente. Tellement ridicule qu’il en serait presque drôle, s’il n’y avait pas, en jeu, des vies humaines, et l’équilibre psychique d’une famille…
Au fil des mois, nous percevons un peu mieux leur vie d’avant. Ils nous montrent des photos : leur famille, leurs amis, quelques fêtes. Nous regardons sur Internet, des images de leur région, ses paysages, ses châteaux. Ils s’intéressent à l’histoire de l’Alsace. Ils nous préparent des plats géorgiens – ah, ce poulet à la sauce aux noix, dégusté tous ensemble, le soir de Noël. Ou les biscuits aux noix et au miel – sacrée concurrence à nos « bredele » ! Nous fêtons plusieurs anniversaires – de leur famille, et de la nôtre. Nous sentons leur joie, mais aussi leur immense nostalgie, quand un membre de leur famille réussit à leur téléphoner.
Pour nous, c’est l’évidence : des personnes avec un travail, une bonne situation sociale, une place à l’université, un réseau familial riche, ne quittent pas tout cela du jour au lendemain sans raisons graves.. Pour nous, l’idée qu’ils puissent ne pas obtenir leur statut de réfugié est quasi taboue. Mon mari se projette en avant, imagine déjà la fête, avec beaucoup d’invités, qui partageront leur joie (deux bouteilles de vin Géorgien attendent déjà dans notre cave). Moi, je n’ose rien imaginer, par peur que cela se passe autrement.
Ce parrainage nous aura fait prendre conscience de plusieurs choses :
– Quand la famille nous raconte la situation dans leur pays, nous ressentons combien il est précieux de préserver la liberté d’expression en France et de mener des actions citoyennes.
– En même temps, nous avons pris conscience à quel point les personnes sans papiers subissent le non-droit et l’arbitraire, sans comprendre ce qui préside aux décisions des administrations de l’Etat.
– Nous n’admettons pas la contradiction entre les conventions internationales que la France a signées et l’application tellement mesquine, faussée, hypocrite, que le gouvernement actuel en fait.
Notre engagement de départ, par générosité humanitaire un peu naïve, a changé. Aujourd’hui, il est devenu un choix politique, avec un grand « P ». Et c’est pour cela que nous sommes prêts à continuer à être parrains de personnes sans papiers.”
PS : Si vous êtes intéressés pour devenir parrain ou marraine, une réunion d’information aura lieu ce mercredi 24 février à 18 h30 à CASAS, 13 Quai Saint Nicolas 67000 STRASBOURG
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