Français, avocat, juif, né à Sarcelles, dans le désordre
27 juillet 2014 | Par arié alimi
Je n’ai jamais pris la plume publiquement pour défendre des valeurs ou des clients. Ma tradition, professionnelle et confessionnelle, est avant tout orale. J’ai pourtant éprouvé la nécessité de transmettre ces quelques reflexions qui me taraudent depuis mardi, depuis cette audience qui s’est tenue devant le Tribunal de Grande Instance de Pontoise, au cours de laquelle j’ai choisi de défendre deux jeunes hommes que beaucoup ont voulu assimiler aux violences à caractère antisémite qui se sont déroulées dimanche dernier à Sarcelles. Depuis ce jour, nombreux sont ceux, proches, connaissances ou personnes se revendiquant de la communauté juive qui m’ont exprimé leur incompréhension voire leur dégout. A cela s’ajoutait la défense que j’avais également choisi d’assurer d’un jeune homme à qui l’on reprochait de s’être rendu en Afghanistan à des fins « Jihadistes ».
Comment, moi, juif, pratiquant, né à Sarcelles, ayant passé l’essentiel de ma scolarité à l’école Otsar Hatorah de Sarcelles, me rendant à la synagogue de Sarcelles avec ma famille, originaire dqui vit encore aujourd’hui dans cette ville avec cette haine triviale des arabes, ai je pu défendre un « jihadiste », et des « emeutiers antisémistes » qui s’en sont pris à mes coreligionnaires ? Le sujet a semble-t-il retenu l’attention de certains qui y sont allés de leurs explications de tous ordres.
La haine de soi d’abord. La haine d’être juif. Anathème lancé à chaque fois qu’une personne se revendiquant ou se voyant imposée cette identité n’agit pas conformément à la solidarité avec sa communauté et plus confusément avec celle de la politique de l’Etat d’Israel en particulier en période de conflit meurtrier avec le peuple Palestinien. J’ai toujours porté haut et fort, mon nom, ma tradition, y compris mon attachement à Israel. A l’université, en tant que président de l’UEJF à ASSAS en combattant toutes les formes de racisme et d’antisémitisme, dans mon assiette en respectant certains interdits alimentaires, en vacances, à chaque fois que je me rends à Jérusalem et que je sens le souffle du Judaisme pénetrer mon corps et mon esprit, et plus encore lundi dernier lorsque je me suis senti suffoquer face à la pharmacie des flanades, tenue par une vieille dame juive depuis quarante ans, brulée, aux vitres brisées des magasins aux enseignes trop connotées, à toutes ces images de pogroms qui ressurgissent, comme un eternel et inexorable recommencement.
Alors, une haine de ce moi ? Peut être. Mais alors, une haine de ce moi inconsidérément collectif, tribal, ce moi de la communauté de sang et du sang qui ne parvient plus à reprendre son souffle dans son élan guerrier contre cette masse indistincte antisémite ou antisioniste, la différence ne pouvant plus être prononcée ou simplement pensée, après Barbes et Sarcelles, après les diatribes gouvernementales, après les condamnations de ces émeutiers.
Alors, j’ai choisi de défendre ces deux jeunes hommes arrêtés par des fonctionnaires de Police qui ont vu en eux des casseurs, parce qu’une bouteille en verre était venue s’échouer près d’eux, et que ces deux là étaient dans la rue au même moment. Certains ont cru voir dans mon choix, un simple appat du gain. Je les offenserai encore plus en leur disant que je n’ai pas souhaité être rémunéré pour cette défense. Beaucoup ont pensé au narcissisme de l’avocat face aux caméras. Et je dois reconnaître, que si la presse a cet avantage de porter rapidement et au plus grand nombre des idées, elle nécessite d’être véhiculée par l’image d’une personne qui doit se mettre en avant pour les faire entendre.
D’autres ont vu dans cette défense, une énième provocation, après avoir défendu un « jihadiste », si tant est que ce terme ait un sens. Et je dois avouer que cette explication me semble être la plus proche de mes intentions. Provoquer. Provoquer la réaction, le débat pour tenter de contribuer à mon petit niveau à la dislocation de ces deux masses informes qui se structurent au sein même de la communauté Francaise, cette communauté républicaine, qui voit s’affronter la communauté juive à des jeunes des cités pour certains aveuglés par une rage que les politiques de plusieurs décennies n’ont cessé d’alimenter.
Je continuerai donc à défendre des jeunes des cités, des « jihadistes », des emeutiers, parce que face aux sombres jours qui s’annoncent pour notre pays, face à un racisme et à un antisémitisme d’Etat qui se prépare dans l’ombre, le dialogue intime que se noue entre un avocat et son client quelque soient ses haines et ses colères, est déjà source d’apaisement et de compréhension retrouvés. Francais, avocat, juif, ayant passé ma jeunesse dans les cités, je revendique chacune des ces identités, dans le désordre.
Arié Alimi,
Avocat
DANS LE DESORDRE
Français
Juif
NE A SARCELLES
-en effet c’est un massacre, pas un pogrom
Beau texte, d’une personne arrivant à dépasser une haine ancestrale pour exercer son métier correctement.
Cependant, et s’il évite de parler du conflit israélo-palestinien, l’appelation de ”pogrom” pour parler des derniers évènements est très fortement exagérée et pour me justifier je vous renvoie à la lettre ouverte à Roger Cukiermann sur ce site ou tout simplement à la définition d’un pogrom ou encore à un bouquin d’histoire.