Elias Sanbar : « Des Territoires palestiniens à un État reconnu »

al aqsa afpAFP /​ Ahmad Gharabli

Elias Sanbar : « Des Territoires palestiniens à un État reconnu »

Par Denis Sieffert – 23 octobre 2014

Elias Sanbar analyse le changement de stratégie de l’Autorité palestinienne dans un contexte nouveau qu’il juge favorable.

La 69e Assemblée générale des Nations unies a inscrit à son ordre du jour la sem­pi­ter­nelle question pales­ti­nienne. Le débat s’est ouvert mardi. Au bout du chemin, le Conseil de sécurité aura à se pro­noncer sur un projet de réso­lution pré­senté par Mahmoud Abbas, le pré­sident de l’Autorité pales­ti­nienne. Ce n’est pas la pre­mière fois, et beaucoup d’espoirs et d’illusions ont déjà été déçus. Mais Elias Sanbar, ana­lyste et his­torien de cette si longue his­toire, auteur de nom­breux ouvrages, estime que les condi­tions sont cette fois dif­fé­rentes. Il nous dit pourquoi.

Qu’attendez-vous de nouveau de cette assemblée ?

Elias Sanbar : La tenue de l’Assemblée générale et du Conseil de sécurité n’est qu’une étape dans ce que l’on peut qua­lifier de nou­velle approche dans la recherche d’une solution conduisant à l’établissement d’un État pales­tinien sou­verain et indé­pendant. L’idée fon­da­mentale a été d’inverser la pro­cédure. Jusque-​​là, et en un quart de siècle de négo­cia­tions, nous n’avons rien obtenu d’autre qu’un sup­plément de colo­ni­sation. Le point fon­da­mental de la para­lysie est de nature pro­cé­durale. C’est l’idée qu’il devait y avoir un premier accord, puis un statut inté­ri­maire, puis la dis­cussion sur le statut final. Ce qui a permis à ceux qui ne vou­laient jamais arriver au statut final de faire en sorte que l’intérimaire devienne le défi­nitif. Nous en sommes arrivés à l’idée qu’il fallait inverser la pro­cédure. Ce que nous pro­posons aujourd’hui est une véri­table rupture. Nous voulons d’abord fixer les fron­tières, dire quelle sera la capitale, et quelle est la date limite à partir de laquelle il n’y aura plus d’occupation. Une Palestine dans les fron­tières de 1967, en nous appuyant sur la réso­lution 242, Jérusalem-​​Est comme capitale, et un délai de deux ans. Voilà le cadre. Dans deux ans, c’est fini. À partir de là, nous sommes prêts à remonter les pro­blèmes : comment pro­céder pour arriver à une fin que nous connaissons déjà ? Le projet de réso­lution fixe cette nou­velle pro­cédure et fixe ce délai. L’intérêt est de définir les fron­tières. Une fois que l’on aura dit quelles sont les fron­tières de la Palestine, on aura dit aussi les fron­tières d’Israël. Car qui peut dire aujourd’hui quelles sont les fron­tières d’Israël ?

Mais la résolution palestinienne a-​​t-​​elle une chance de passer ?

Il nous faut une majorité au Conseil de sécurité, c’est-à-dire neuf voix. Et il nous faut éviter le veto amé­ricain. Nous devons obtenir des Amé­ri­cains une abs­tention. Il y a du travail pour y par­venir. Cer­tains des alliés des États-​​Unis y travaillent [1]. Ils leur disent : « Ne com­pliquez pas les choses ! » C’est ce travail et son issue qui vont déter­miner le moment où nous pré­sen­terons la réso­lution. Le 21 octobre com­mence donc le débat sur cette question, mais pas encore sur la réso­lution pro­prement dite.

Qu’est-ce qui vous laisse sup­poser que les États-​​Unis pour­raient ne pas uti­liser leur veto, comme ils le font tou­jours quand il s’agit d’Israël ?

Ce qui est important dans ce contexte, ce sont les recon­nais­sances. Plus de 130 pays ont déjà reconnu la Palestine dans son statut d’observateur aux Nations unies. Mais, avec les nou­velles recon­nais­sances de ces der­nières semaines, il y a un saut qua­li­tatif. Les fron­tières sont définies. Ce sont des recon­nais­sances d’État. C’est ce qui est important dans le pré­cédent britannique [2]. La Suède l’a fait au niveau de son gou­ver­nement. Les contacts avec la France sont positifs. Si la France franchit le pas, elle entraînera trois ou quatre pays. Ce qui peut enclencher un mou­vement. Ce n’est pas seulement du sym­bo­lique. La colère des Israé­liens en témoigne. Il y a vraiment quelque chose de nouveau. Nous demandons la consé­cration du principe pour pouvoir négocier la pro­cédure. Nous passons de l’usage du pluriel au sin­gulier, des ter­ri­toires au pays. Rien n’est acquis, mais c’est une bataille, et nous avons beaucoup de raisons d’espérer.

J’imagine que, dans vos raisons d’espérer, il y a un contexte général que vous jugez plus favo­rable…

Nous avons eu vingt-​​cinq ans pour constater que les diri­geants israé­liens ne veulent pas de solution, qu’ils ne veulent pas d’État pales­tinien, même s’il leur arrive d’en parler. C’est le premier élément, négatif. Mais ce qui a accéléré les choses, c’est évi­demment la guerre à Gaza. Elle a eu des effets énormes sur les opi­nions, sur les États et sur les res­pon­sables poli­tiques. Le fait qu’Israël ait ensuite mis la main sur 400 nou­veaux hec­tares dans la région de Bethléem, en Cis­jor­danie, en signe de punition col­lective, au len­demain des mas­sacres commis à Gaza, a ren­forcé cette prise de conscience. Tout le monde est convaincu aujourd’hui que les diri­geants actuels d’Israël ne connaissent pas de limites.

Soyons optimistes. Que se passera-​​t-​​il si la résolution est adoptée ?

Si elle est adoptée, la Palestine ira immé­dia­tement à la table de négo­cia­tions. Si Israël ne veut pas, tous ceux qui auront pris position en faveur de la réso­lution devront agir. S’il y a une pro­cla­mation en masse, Israël sera dans une très mau­vaise position. Et plus encore si les États décident d’ouvrir des ambas­sades pales­ti­niennes chez eux, et s’ils décident que leurs consulats à Jérusalem-​​Est deviennent des ambas­sades. Cela pro­vo­quera une grosse crise en Israël. Nous avons déjà vu une pétition d’une cen­taine de per­son­na­lités israé­liennes demandant au Par­lement bri­tan­nique de voter la reconnaissance.

D’autres obs­tacles ne risquent-​​ils pas de venir du côté pales­tinien ? Où en est le Hamas ?

Le Hamas n’a pas accompli une mutation idéo­lo­gique telle qu’il accueille le gou­ver­nement d’union nationale avec enthou­siasme. Il s’y est résolu parce qu’il a jugé que c’était aujourd’hui la seule solution. C’est un acte de réa­lisme. Per­sonne ne demande au Hamas de renoncer à son idéo­logie ni de renoncer au reli­gieux. Il faut dire que, de l’autre côté aussi, il y a beaucoup de reli­gieux. Il ne s’agit donc pas de cela. Il ne faut pas croire que le Hamas ne fait pas de poli­tique, et qu’il agirait uni­quement en fonction de cri­tères théo­lo­giques. Le Hamas tient compte aussi de la réaction de la popu­lation. Il n’y a pas eu en Palestine une guerre civile entre des gens qui étaient reli­gieux et d’autres qui le seraient moins. C’était un affron­tement entre deux partis. Et le peuple n’était que spec­tateur. Et il n’aimait pas du tout ce spec­tacle. J’ajoute que d’autres fac­teurs ont joué. La situation en Égypte a éga­lement compté, et les amis du Hamas l’ont encouragé à « bouger ». Il faut éga­lement pré­ciser que le gou­ver­nement d’union nationale ne com­prend pas de membres du Hamas. Il est agréé par le Hamas. La nuance est importante.

Qu’est-ce qui motive le gouvernement israélien aujourd’hui ?

Ce qui motive les Israé­liens, c’est une idéo­logie colo­niale déli­rante qui nous propose Dieu comme par­te­naire de négo­ciation. N’oublions pas le mot de Rabin, qui détestait les colons : « Dieu n’est pas un agent immobilier. »

Croyez-​​vous que le contexte régional en Syrie et en Irak peut déter­miner les capi­tales occi­den­tales à se mobi­liser davantage pour sou­tenir votre démarche ?

Il y a deux ana­lyses. Il y a ceux qui disent que, même si on règle le conflit israélo-​​palestinien, il n’est pas sûr que ça calme les mou­ve­ments fon­da­men­ta­listes. La seconde analyse s’en tient tou­jours à l’idée de la cen­tralité du conflit israélo-​​palestinien. Il y a du vrai dans les deux. Bien sûr, la réso­lution du conflit ne réglera pas tout méca­ni­quement. Mais ça conso­li­derait énor­mément le dis­cours de tous ceux qui pensent qu’il ne faut pas chercher de solution dans le fon­da­men­ta­lisme. Et n’oublions pas que l’injustice his­to­rique faite à la Palestine mine les sociétés arabes.

Elias Sanbar est ambas­sadeur de la Palestine à l’Unesco, his­torien, poète et essayiste.

[1] La France, dit-​​​​on, serait de ceux-​​​​là. Laurent Fabius, en tout cas, s’y emploierait avec infi­niment de prudence.

[2] Le Par­lement bri­tan­nique s’est pro­noncé le 13 octobre pour la recon­nais­sance d’un État pales­tinien, appelant le gou­ver­nement à faire de même.

http://www.politis.fr/Elias-Sanbar-Des-Territoires,28633.html

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