Paris, le 20 novembre 2014
– Communiqué de presse –
41 000 euros… L’(in)juste prix !
Le laboratoire Gilead, qui met sur le marché une nouvelle molécule – le sofosbuvir – très efficace dans le traitement de l’hépatite C, réclamait que son prix soit fixé à 56 000 euros. Il n’a pas eu gain de cause, le Journal officiel publié ce matin mentionne que l’accord trouvé entre le laboratoire et les pouvoirs publics a conduit à fixer le prix de ce traitement à 41 000 euros (pour la cure de trois mois requise).
Rien ne bouge
Ainsi donc, rien ne bouge dans la fixation du prix d’un médicament : alors que de nombreuses voix se sont élevées, dans le monde associatif comme dans celui des responsables publics, pour protester contre de tels prix, le gouvernement a donc cédé.
A tort, car d’autres médicaments très efficaces pour d’autres maladies vont arriver dans les prochains mois et prochaines années. Les meilleurs observateurs du domaine, et les pouvoirs publics eux-mêmes, parlent d’une vingtaine de molécules nouvelles. A ce niveau de prix, notre assurance maladie n’y résistera pas.
Il fallait donc se saisir de cette situation, un cas d’école, pour changer le mode de fixation du prix du médicament et que soit notamment pris en compte le coût réel de son développement et de sa fabrication. La France y renonce. C’est terrible.
41 000 euros pour trier les malades !
La décision du gouvernement ne règle pas non plus la question du tri des malades. Car, à ce prix-là, le traitement ne sera pas délivré à tout le monde. Il sera réservé aux cas les plus graves, à des stades médicalement qualifiés de F4, F3 et « F2 sévères ». Les autres cas devront donc se passer de traitement innovant, en attendant que leur situation ne s’aggrave et au risque que l’épidémie continue à se répandre. Ce sera aux médecins eux-mêmes de faire la police de l’accès à l’innovation !!!
Il ne faudra pas s’étonner que rapidement, ou d’ici quelques années, des patients se voyant refuser le traitement, ou leurs ayants droit en cas de décès, fassent des procès pour mise en danger de la vie d’autrui ! Un comble pour la cinquième puissance mondiale…
Alors même que nous avons un traitement efficace, capable d’arrêter la propagation de l’épidémie d’hépatite C en traitant TOUS les malades, la France fait le choix stratégique de laisser l’épidémie continuer à se développer. Quelle leçon de santé publique !
41 000 €, c’est donc en France le prix du statu quo. C’est cher, très cher …
Contact presse :
Collectif interassociatif sur la santé (Ciss)
Marc Paris
Tél. : 01 40 56 94 42 / 06 18 13 66 95
mparis@leciss.org
Lien vers le communiqué de presse :
41 000 euros… L’(in)juste prix !
« Notre challenge c’est la vie » : c’était il y a quelques années le slogan publicitaire affiché dans tous les journaux et à l’aéroport d’Entzheim par la société AVENTIS, un des plus gros laboratoires pharmaceutiques du monde dont le siège était à Schiltigheim jusqu’en 2005.
0,06% du PNB suisse, 84% du PNB ivoirien
Nous savons que seulement 15% du budget de ces labos sont consacrés à la recherche alors que 30% le sont à la publicité et notamment à la réalisation de slogans « à nous faire dormir debout », destinés à faire vendre et à convaincre « à tout prix » les médecins de prescrire les médicaments. Tout ceci dans un contexte de croissance faramineuse du chiffre d’affaire (le titre Aventis avait gagné 60% en valeur pour l’an 2000). Tout le monde connaît les ravages du SIDA. En France, le traitement est heureusement pris en charge par la Sécurité sociale. Ailleurs, il en est tout autrement. L’OMS a calculé que le coût potentiel du traitement de tous les malades infectés coûterait à la Suisse 0,06% de son PNB ,…mais 84% à la Côte d’Ivoire et 265% au Zimbabwe qui seraient ruinés ! C’est l’Afrique sub-saharienne (et en particulier l’Afrique du Sud) qui est le plus frappé par l’épidémie du SIDA ; sur les 46 millions de personnes infectées par le virus, les 2/3(sur)vivent en Afrique alors que la population de l’ Afrique ne représente que 10% de la population mondiale !
«Apartheid social»
Si une véritable politique sanitaire n’est pas rapidement mise en place, ce seront d’ici 2020, 500 millions de personnes qui seront touchées. C’est la carte géographique d’un réel « apartheid social ». La maladie et la mortalité touchent les jeunes adultes de ces pays et menacent des décennies de développement. Elles modifient le fonctionnement des communautés traditionnelles et mettent en péril la sécurité alimentaire. Elles entraînent, selon Kofi Annan, l’ex-secrétaire général des Nations Unies, « une érosion du savoir et un affaiblissement des secteurs de production ». Elles vont jusqu’à affaiblir certaines institutions nationales. Tous ces décès prématurés ont réduit l’espérance de vie. En Afrique Australe nous sommes passés d’une espérance de vie de 44 ans en 1950 à 59 ans en 1990 et nous devrions retomber à 45 ans à l’horizon 2005-2010 ! Dans certaines familles rurales en Thaïlande et urbaines en Côte d’Ivoire, la production et le revenu agricoles des familles touchées par le SIDA ont diminué de plus de moitié.
Non assistance à personne en danger?
C’est dans ce contexte pourtant clairement alarmant et dramatique qu’un cartel de 39 trusts pharmaceutiques a porté plainte contre l’Afrique du Sud, au nom de la protection de « la propriété intellectuelle » en 1998. Le reproche fait à ce pays était de vouloir utiliser des génériques, nécessairement moins chers et plus facilement accessibles aux plus « pauvres ». La conséquence, dans ce pays qui compte plus de cinq millions de personnes infectées, est d’avoir vu mourir entre 1998 et 2001 pas moins de 400 000 personnes des conséquences de maladies opportunistes liées au SIDA. Comment qualifier ce massacre ? Le terme de « non assistance à personne en danger » nous choquerait-il vraiment tant que ça ? Avons-nous conscience que ce comportement à l’échelon individuel serait puni par les tribunaux alors qu’à l’échelon international, cela constitue une performance, dictée par « les lois du marché » et saluée par des cohortes d’actionnaires anonymes. A partir de quel moment la « privation de secours lors de la mort organisée d’un humain » est-elle considérée comme un crime ? Tout se passe comme si une poignée de décideurs, soutenus par des cohortes de petits porteurs, « sélectionnaient » les Hommes ayant le droit de vivre (en payant) et ceux dont la vie n’a aucune valeur marchande.
Condamnation à mort
La pauvreté a, là, valeur de condamnation à mort ! C’est d’autant plus inacceptable que les traitements adéquats existent et peuvent même être fabriqués par les pays concernés. Devant de telles catastrophes éthiques, devrons-nous rester impuissants ? En tant que médecins, rien ne s’oppose, pour protester, à ce que nous refusions de recevoir les visiteurs médicaux de ces laboratoires, que nous utilisions des génériques à la place de leurs produits, que nous refusions de voir une partie de nos soirées de formation sponsorisées par eux.
Le pouvoir exorbitant des multinationales
On voit là combien la politique (non démocratique et menée dans un quasi secret) de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) peut donner aux multinationales des pouvoirs exorbitants, de vie et de mort, en dépit de toute considération de Santé publique.
Que dire de l’impuissance de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) incapable d’encourager la diffusion des génériques dans les pays émergents ?
Les 39 finiront par retirer leur plainte en 2001 malgré le soutien du gouvernement américain et de la Commission Européenne.
J’observe depuis le début de mon exercice professionnel, il y a 30 ans, l’exacerbation d’une dépolitisation de la corporation médicale face à l’évolution du monde.
Les médecins se comportent et exercent (généralement bien, là n’est pas la question) comme si ils étaient extérieurs et étrangers à ce monde et indifférents à l’Histoire. Dans la pratique quotidienne les confrères peuvent vous mépriser si vous sortez de votre domaine d’activité d’élection, la médecine, pour prendre à votre compte le social, le juridique ou le politique. Vous commettez là une véritable faute professionnelle car « la neutralité bienveillante » reste un dogme (religieux) sacré.
Et cette croyance vous permet d’incarner « le bien », depuis Nuremberg, sans qu’on ait jamais eu à vous enseigner l’histoire (de la médecine), le social, le juridique, le politique, la morale et l’éthique à la faculté!
Or ne pas « faire de politique » et rester « neutre, c’est avoir au contraire, selon moi, une posture « hyper-politisée » qui va dans le sens de renforcer les effets du pouvoir en place.
Tout se passe comme si les médecins aidés en cela par la société n’appartenaient pas au même monde que leurs patients. Comment parler alors de l’angoisse, des ruptures, des pertes et de la mort avec eux?
Pourquoi se déconnecter de l’Histoire moderne ( et faire du révisionnisme par défaut) qui est une source inépuisable d’enseignements qui nous permettrait de favoriser l’accueil inconditionnel de tous les usagers au cabinet (et notamment les plus marginalisés), et de remplir notre mission hippocratique plutôt que de les renvoyer au caritatif (Médecins du Monde) ou aux urgences hospitalières ?
G Y Federmann