Alors que Bernard Cazeneuve doit présenter de nouvelles mesures pour lutter contre le terrorisme demain en Conseil des ministres, le philosophe Giorgio Agamben, pendant italien de Michel Foucault, a accepté d’évoquer avec nous les séquelles politiques de l’attaque contreCharlie Hebdo. Vilipendeur de l’état d’exception (qu’il a disséqué dans sa trilogie Homo Sacer), il a consacré une bonne partie de sa vie à pointer les dérives du biopouvoir, ce pouvoir qui s’exerce sur les corps et gouverne les hommes.
Tandis que certaines voix parlementaires réclament déjà un « Patriot Act à la française » (du nom de ce texte américain voté sept semaines après le 11 septembre 2001), il dresse le portrait sévère d’une société où le droit à la sécurité, à la sûreté préempte tous les autres, qu’il s’agisse de la vie privée ou de la liberté d’expression. La conséquence des politiques ultra-sécuritaires ? Un système qui abandonne toute volonté de gouverner les causes pour n’agir que sur les conséquences.
Après le choc de Charlie, la classe politique nous parle beaucoup du « droit à la sécurité ». Faut-il s’en méfier ?
Au lieu de parler de la liberté de la presse, on devrait plutôt s’inquiéter des répercussions que les réactions aux actes terroristes ont sur la vie quotidienne et sur les libertés politiques des citoyens, sur lesquelles pèsent des dispositifs de contrôle toujours plus pervasifs. Peu de gens savent que la législation en vigueur en matière de sécurité dans les démocraties occidentales – par exemple en France et en Italie – est sensiblement plus restrictive que celle en vigueur dans l’Italie fasciste. Comme on a pu le voir en France avec l’affaire Tarnac, le risque est que tout dissentiment politique radical soit classé comme terrorisme.
Une conséquence négative des lois spéciales sur le terrorisme est aussi l’incertitude qu’elles introduisent en matière de droit. Puisque l’enquête sur les crimes terroristes a été soustraite, en France comme aux Etats-Unis, à la magistrature ordinaire, il est extrêmement difficile de pouvoir jamais parvenir à la vérité en ce domaine. Ce qui prend la place de la certitude juridique est un amalgame haineux de notice médiatique et de communiqués de police, qui habitue les citoyens à ne plus se soucier de la vérité.
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