ISABELLE RIMBERT (REPORTERRE)

Les attentats début janvier ont poussé le gouvernement à franchir un nouveau cap en matière de surveillance et de répression, via une procédure accélérée. Une première ? Pas vraiment. Depuis trente ans, quinze lois antiterroristes ont été adoptées, qui enfreignent peu à peu les libertés publiques.

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Chaque vague d’attentats perpétrés sur le sol français – ainsi qu’à l’étranger – a donné lieu à une surenchère en matière de législation sécuritaire. Mais les gouvernements successifs n’ont pas légiféré uniquement dans ces périodes post-traumatiques.

Le Parlement concocte en moyenne une loi antiterroriste tous les deux ans. On en dénombre ainsi une quinzaine depuis 1986, sans compter la multiplication d’autres lois ou décrets sécuritaires qui viennent, mois après mois, garnir le journal officiel. D’une mesure à l’autre, les peines s’alourdissent, la garde à vue s’étend, les moyens de contrôle et de surveillance sont démultipliés.

Pour quel résultat ? La question mérite d’être posée. Car si cet arsenal judiciaire n’a pas prouvé son efficacité dissuasive sur les personnes ciblées, chacun de nous devient, au regard de la loi, un suspect potentiel, les mesures antiterroristes envahissant toujours plus le droit commun. De quoi laisser craindre, au nom de la sécurité, une généralisation de l’arbitraire dans la mise en oeuvre de ces lois grignotant petit à petit les libertés fondamentales.

Tour d’horizon non exhaustif du millefeuille judiciaire en matière d’antiterrorisme.

La loi n° 86-1020, 9 septembre 1986

Votée en urgence à la demande du gouvernement Chirac après la vague d’attentats perpétrés à Paris en février 1986, c’est la première législation spécifique en matière de terrorisme. Elle le définit comme la combinaison entre un crime ou délit de droit commun avec “une entreprise individuelle ou collective ayant pour but de troubler gravement l’ordre public par l’intimidation ou la terreur”. Cette loi institue un régime dérogatoire au droit commun, étend la durée possible de garde à vue à quatre jours, reporte l’intervention de l’avocat à la 72e heure.

La loi n° 86-1322 du 30 décembre 1986

Complète la loi pré-citée. Les crimes terroristes sont désormais jugés par une cour d’assises spéciale, composée exclusivement de magistrats, sans présence de jurés.

La loi n° 92-686 du 22 juillet 1992

Traduit la réforme des dispositions du code pénal relatives à la répression des crimes et délits contre la nation, l’État et la paix publique. Elle insère les actes de terrorisme dans le nouveau code pénal, pour en faire des infractions spécifiques et plus sévèrement sanctionnées.

La loi n° 92-1336 du 16 décembre 1992

Maintient et précise la procédure dérogatoire applicable aux actes de terrorisme. Les perquisitions, visites domiciliaires et saisies de pièces à conviction pourront être faites sans l’assentiment de la personne chez laquelle elles ont lieu.

La loi n° 95-125 du 8 février 1995

Allonge la prescription des crimes et délits terroristes : la prescription des délits passe de 10 à 20 ans, et celle des crimes à 30 ans.

La loi n° 96-647 du 22 juillet 1996

Crée le un délit d’“association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste”. Considéré comme un acte terroriste, il est puni de 10 ans d’emprisonnement. La loi autorise ainsi les autorités à prendre des mesures préventives avant la commission d’un crime, et étend la déchéance de la nationalité française.

La loi n°96-1235 du 30 décembre 1996

Permet les perquisitions de nuit en enquête de flagrance, préliminaire ou au cours de l’instruction.

La loi n° 97-1273 du 29 décembre 1997

Permet la possibilité de délocaliser, si nécessaire, les juridictions spécialisées en matière d’antiterrorisme ailleurs qu’à Paris.

La loi n° 2001-1062 du 15 novembre 2001

Renforce le pouvoir des officiers de police judiciaire en matière de contrôles d’identité. Elle crée un délit de financement du terrorisme, autorise, “à titre temporaire” la fouille des véhicules à des fins de recherche ou de poursuite d’actes de terrorisme, élargit la possibilité de mise en œuvre de perquisitions domiciliaires, permet la mise à disposition de l’autorité judiciaire des données de communication, prévoit une peine de confiscation des biens des personnes reconnues coupables d’actes de terrorisme.

La loi n° 2003-239 du 18 mars 2003

Elle fait partie d’un projet plus global : la loi d’orientation et de programmation pour la sécurité intérieure (LOPSI), votée le 29 août 2002. Les contrôles, vérifications et relevés d’identité sont rendus possibles sur toute personne à l’encontre de laquelle existent “une ou plusieurs raisons plausibles” de suspecter qu’elle entre dans le cadre de l’antiterrorisme.

La possibilité de fouiller les véhicules devient permanente, et les compétences des officiers de police judiciaire sont étendues. Cette loi permet d’inscrire de nouvelles informations dans les fichiers de recherche criminelle, notamment le fichier des empreintes génétiques (FNAEG).

Elle permet en outre d’étendre le fichier génétique à toutes les personnes à l’encontre desquelles il existe « des raisons plausibles de soupçonner qu’elles ont commis une infraction ». Elle punit tout « outrage au drapeau national » ou à l’hymne national de 7.500 euros d’amende, plus six mois de prison si le geste est commis « en réunion ».

Par ailleurs, les occupations illégales d’appartements ou d’immeubles constituent une nouvelle infraction, celle de violation de propriété. Avec la création d’un délit à part entière, le nouveau texte pénalise le squat et le réprime par six mois d’emprisonnement et 3 000 euros d’amende.

La loi n° 2004-204 du 9 mars 2004 (loi Perben II)

Instaure notamment de nouvelles possibilités d’investigations policières : infiltrations, écoutes téléphoniques, sonorisations et perquisitions. Elle légalise la pratique des indics de police (dorénavant rétribués), modifie le fichier des personnes recherchées (FPR), prolonge la garde à vue à 96h.

La loi n° 2006-64 du 23 janvier 2006

Impose à tout opérateur de télécommunications et tout fournisseur d’accès la conservation des données de connexion pendant un an. Elle assouplit les conditions d’installation de la vidéosurveillance, et permet d’augmenter la durée de garde à vue de quatre à six jours (144h) en cas de risque d’attentats, contraint les compagnies ferroviaires, aériennes, maritimes de transmettre les données PNR (concernant les passagers) à la police et à la gendarmerie, données qui peuvent être comparées avec le Fichier des personnes recherchées (FPR).

La loi n° 2011-267 du 14 mars 2011

Elargit les possibilités de vidéosurveillance, crée un régime de protection des agents de renseignement et de leurs sources, simplifie les procédures d’alimentation du fichier national automatisé des empreintes génétiques. Cette loi d’orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieures (LOPPSI II) permet, sur commission rogatoire d’un juge, de capter en temps réel (grâce à un logiciel espion), les informations contenues dans le disque dur d’un ordinateur et celles apparaissant sur l’écran.

La loi n°2012-1432 du 21 décembre 2012

Modifie le code pénal en permettant de poursuivre les actes de terrorisme commis par des ressortissants français à l’étranger ou par des étrangers résidant habituellement en France, ainsi que les personnes ayant participé à des camps d’entrainement terroristes à l’étranger.

Par ailleurs, depuis 2005, la surveillance des données de connexion (internet, géolocalisation, factures détaillées de téléphone) est autorisée. La loi n°2012-1432 prolonge jusqu’au 31 décembre 2015 cette disposition temporaire qui arrivait à expiration le 31 décembre 2012.

La loi n° 2014-1353 du 13 novembre 2014

Permet l’interdiction administrative de sortie du territoire, ainsi que l’invalidation provisoire du passeport et de la carte d’identité. Cette nouvelle loi pénalise“l’entreprise individuelle à caractère terroriste”, renforce la répression de l’apologie de terrorisme et la provocation en faveur de tels actes.

Elle permet le blocage administratif de sites internet vecteurs de telles initiatives, ou jugés comme tels. Les enquêteurs peuvent perquisitionner les“clouds”, et intercepter les discussions sur les logiciels d’appels téléphoniques sur Internet et simplifie la procédure de mise en ouvre d’une opération de déchiffrement de données. Cette loi élargit le champ d’intervention du tribunal de grande instance de Paris, visant à favoriser une meilleure circulation de l’information entre les parquets locaux et le parquet spécialisé.

… Et ce n’est pas fini : Manuel Valls présentera au printemps une nouvelle loi dédiée au renforcement des services de renseignements.


- Complément d’info : Une semaine de résistance aux violences policières se poursuit à Nantes jusque dimanche (infos ici :).


Lire aussi : Comment assimiler les écologistes aux terroristes : la leçon du Canada


Source et photos : Isabelle Rimbert pour Reporterre

http://www.reporterre.net/Toujours-plus-de-lois

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« A terme, rien n’empêcherait d’utiliser l’arsenal anti-terroriste contre les mouvements sociaux »

http://www.reporterre.net/A-terme-rien-n-empecherait-d