Un modèle d’action non violente et efficace: les pique-niques en supermarché

L’auteur de ce billet a participé au livre d’Andrew Boyd, Joyeux Bordel, Tactiques, principes et théories pour faire la révolution. Le texte ci-dessous est extrait de ce livre.

Les fins de mois sont difficiles, c’est la crise… mais pas pour tout le monde. Les entreprises de la grande distribution ont consolidé leurs marges et font des milliards de bénéfices. Cet exploit, elles y sont parvenues en augmentant les prix des produits de première nécessité, en sous-payant les producteurs et leurs salariés. L’Appel et la Pioche, un collectif de chômeurs et de précaires, a organisé pendant plus d’un an des pique-niques dans des supermarchés pour redistribuer la grande distribution.

Chaque dernier samedi du mois, autour de midi, les militants se retrouvent dans une grande surface, commencent par faire leurs courses, récupèrent tout ce dont ils ont besoin pour organiser un moment sympathique et festif. Dans les caddies sont empilés du camembert, du pain, des chips, des jus de fruit, des gobelets, des sucreries pour le dessert, etc. Ils prennent aussi des planches à repasser pour faire des tables, et des nappes en papier (le plus souvent à carreaux rouges et blancs) pour les décorer. Une personne se charge de récupérer un lecteur CD (et des piles) pour écouter la chanson de l’action: «Les Cornichons», de Nino Ferrer. La musique adoucit les mœurs, elle crée une ambiance bon enfant.

À l’heure prévue, les activistes se rassemblent au niveau du rayon le plus agréable et le plus central: celui des fruits et légumes. Rapidement, ils installent leurs tables, envoient la musique et lancent le pique-nique. Les clients intrigués sont conviés à la fête et rassurés sur la légalité de l’action, car, selon l’article 1587 du Code civil français, « à l’égard du vin, de l’huile et des autres choses que l’on est dans l’usage de goûter avant d’en faire l’achat, il n’y a point de vente tant que l’acheteur ne les a pas goûtées et agréées». L’action n’est donc pas illégale, et les activistes prennent le temps de le montrer et de le démontrer.

Tout en distribuant des tracts et de la nourriture aux clients, le poing levé et une carotte dans la main, les acti- vistes lancent des slogans humoristiques: « Ils nous carottent, carottons-les!», ou encore: «La grande distribution grignote notre pouvoir d’achat, grignotons ses marges excessives!».

Les médias ont été conviés et sont cruciaux pour l’action: leur présence protège les activistes d’éventuelles violences de la part des vigiles, mais elle leur permet aussi de s’adresser à l’opinion publique. Une action réussie est une action qui passe au journal de 20 heures, touchant ainsi plusieurs millions de personnes: c’est beaucoup plus efficace qu’un tract. Les médias sont une arme (pacifique), et ce d’autant plus que les entreprises tiennent à leur image – la mau- vaise pub qu’entraîne cette action risquerait de faire fuir le client. C’est la société du spectacle! Lors de la première action, le premier réflexe de la direction du magasin a été de demander aux vigiles de tendre des bâches autour des militants pour éviter que des images puissent être filmées. Si les médias n’ont pas eu d’images ce jour-là, les militants ont néanmoins été applaudis par les centaines de clients pré- sents, et plusieurs dizaines d’entre eux ont quitté les caisses en laissant leur caddie.

L’action prend finalement peu de temps (une heure environ), elle est souvent très joyeuse, et permet de dénoncer les arnaques de la grande distribution auprès de millions de personnes.

 

Pourquoi ça a marché

Plusieurs éléments font que ça marche. Le lieu, tout d’abord : en allant au cœur de la société de consommation, là où le citoyen devenu client se fait arnaquer, les activistes donnent du sens à l’action, à leur message. En s’attaquant directement au magasin, on évite les dégâts collatéraux: contrairement à ce qui se passe dans une grève ou un blo- cage, on n’empêche pas les clients de faire leurs courses; grâce à l’humour et à la fête, on leur donne en plus envie de participer. L’action devient vite collective et associe des personnes lambda.

Le côté inattendu de l’action, qui rompt avec les méthodes classiques, crée aussi une surprise chez les agents de sécurité. Ils ne savent pas comment réagir et n’ont pas de bonne solution : violenter les clients devant les caméras ? Laisser faire les militants qui distribuent gratuitement les denrées du magasin? Presque toujours, les militants par- viennent à les convaincre de laisser faire, et la dimension collective de l’action finit de les persuader qu’ils n’ont pas les moyens d’intervenir.

 

La tactique fondamentale employée

L’action directe

L’action se déroule au sein du système, là où se produit l’écœurement des citoyens face à l’augmentation des prix. Cette action coup de poing, qui dure entre une quinzaine de minutes et une heure, présente l’avantage de braquer les projecteurs sur l’augmentation des prix. Mais, surtout, elle permet aux clients, durant l’action, de sortir de leur position passive. Pendant un temps, les militants et les clients ne sont plus ceux qui subissent le système, mais ceux qui en profitent.

Tactiques en rapport

La flash mob
La non-violence stratégique L’occupation

Principe fondamentel à l’oeuvre

Mâchez le travail des médias.
Il ne s’agit pas de se filmer soi-même, mais de faire en sorte que les médias grand public relaient l’action et le message. Pour s’assurer de leur présence, l’événement doit être attractif et correspondre au format des médias: un sujet clair, un méchant (la grande surface), une victime (le client), une solution expliquée en une dizaine de secondes (par le militant), et des images qui illustrent ce discours (le pique-nique). Il faut aussi, en amont de l’action, envoyer un communiqué de presse en ratissant large, et ne pas hésiter à faire des relances téléphoniques pour s’assurer de la présence et de l’intérêt des journalistes (surtout ceux de la télévision). En aval de l’action, une fois sortis du magasin, les militants doivent prendre le temps de donner quelques interviews pour expliquer calmement le sens de l’action et donner du sens aux images du pique-nique que les journa- listes n’auront pas manqué de filmer.

Principes en rapport

Jouez la pièce pour le public qui n’est pas là Ne dites pas : montrez ! Ne perdez pas votre message de vue. Pensez narrativement.

Théories liées

Les lieux d’intervention, la logique d’action

Ceux qui pratiquent

Bizi, Jeudi noir Génération précaire

Pour en savoir plus

•Leila Chaibi, Simon Cottin-Marx et Évelyne Perrin, Désobéir à la précarité, Le Passager clandestin, 2011.

• http://www.dailymotion.com/lappeletlapioche


Pique-nique de “faim” de mois au Leclerc de Pantin par lappeletlapioche

La boîte à outils indispensable du militantisme créatif. Si vous espérez un monde plus beau, plus juste, plus joyeux – sans pour autant savoir comment vous y prendre – ce livre est pour vous. Manifeste du farceur, mode d’emploi de l’action directe façon Greenpeace, manuel d’entraînement à l’organisation des masses, à la pédagogie et aux pratiques émancipatrices, il a été pensé par des activistes du monde entier. Joyeux Bordel présente des dizaines de tactiques – de la Flash mob à l’occupation non-violente en passant par la grève de la dette ou différents canulars. Le manuel indispensable qui reprend de nombre de principes et théories fondateurs de l’action militante, afin que chacun puisse concevoir ses propres actions créatives.

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http://www.huffingtonpost.fr/simon-cottin-marx/action-non-violente-piquenique-en-supermarche-ca-marche-action-revolution_b_6863144.html