samoset

Samoset visiting Pilgrim colonists at Plymouth, 1620s.
Samoset visitant des colons Pèlerins à Plymouth, 1620. Credit North Wind Picture Archives, via Associated Press

Noam Chomsky sur les racines du racisme américain
Par George Yancy et Noam Chomsky
Mars 18, 2015 “ICH” – “NYT” – George Yancy: Quand je pense au titre de votre livre “ On Western Terrorism,” (Sur le terrorisme occidental) cela me rappelle le fait que beaucoup de Noirs aux Etats-Unis ont une longue histoire de terreur par le racisme blanc, depuis des corrections au hasard jusqu’au lynchage de plus de 3.000 Noirs (y compris des femmes) entre 1882 et 1968. C’est pourquoi en 2003 quand j’ai lu au sujet des actes déshumanisants commis à la prison d’Abu Ghraib, je n‘ai pas été surpris. Je me souviens que quand les photos ont paru, le Président George W. Bush avait dit que « Ceci n’est pas l’Amérique que je connais. » Mais ceci n‘est-il pas l’Amérique que les Noirs ont toujours connu ?
Noam Chomsky: L’Amérique que « Noirs ont toujours connu » n’en est pas une qui soit attirante. Les premiers esclaves noirs ont été importés dans les colonies il y a 400 ans. Nous ne pouvons pas nous permettre d’oublier que pendant cette longue période, il n’y a eu que quelques décennies au cours desquelles des Afro-américains, à part quelques-uns, qui ont eu certaines possibilités limitées d’entrer dans la société américaine générale.
Nous ne pouvons pas non plus nous permettre d’oublier que les hideux camps de travail d’esclaves du nouvel « empire de la liberté » ont été une source principale pour la richesse et les privilèges de la société américaine, ainsi que de l’Angleterre et du continent. La révolution industrielle a été basée sur le coton produit principalement dans les camps de travail d’esclaves aux Etats-Unis.
Thomas Jefferson craignait la libération d’esclaves, qui avaient « les dix mille souvenirs » des crimes auxquels ils avaient été soumis.
Comme on le sait maintenant, ils ont été hautement efficients. La productivité augmentait même plus vite que dans l’industrie, grâce à la technologie du fouet et du pistolet et la pratique efficace d’une torture brutale, comme Edward E. Baptist l’a démontré dans son étude récente, “The Half Has Never Been Told.” ( La moitié n’a jamais été racontée). La réalisation comprend non seulement la grande richesse de l’aristocratie des planteurs mais aussi celle de la fabrication, du commerce et des institutions financières américaine et britannique du capitalisme d’état moderne.
Il est bien connu ou devrait l’être que les Etats-Unis se sont développés en rejetant carrément les principes d’une « saine économie » prêchée par les économistes dominants du jour, et familière dans les sobres instructions d’aujourd’hui aux retardataires en développement. Au lieu de cela, les colonies nouvellement libérées ont suivi le modèle de l’Angleterre avec une intervention radicale de l’état dans l’économie, y compris des tarifs élevés pour protéger une industrie naissante, d’abord le textile, plus tard l’acier et d’autres.
Il y avait un autre « tarif virtuel ». En 1807, le Président Jefferson a signé une loi interdisant l’importation d’esclaves de l’étranger. Son état de Virginie était le plus riche et le plus puissant des états, et avait épuisé son besoin d’esclaves. Il commençait plutôt à produire cette marchandise valable pour étendre les territoires d’esclaves du Sud. Interdire l’importation de ces machines à cueillir le coton était donc une promotion considérable pour l’économie de la Virginie. On le comprenait. Parlant pour les importateurs d’esclaves, Charles Pinckney accusait que « la Virginie gagnera en stoppant les importations. Ses esclaves vont augmenter en valeur, et elle en a plus qu’elle en veut. » Et, en effet, la Virginie est devenue une exportatrice majeure d’esclaves pour élargir la société d’esclaves.
Certains des propriétaires d’esclaves, comme Jefferson, étaient conscients de la turpitude morale sur laquelle reposait l’économie. Mais il craignait la libération des esclaves, qui avaient « les dix mille souvenirs » des crimes auxquels ils avaient été soumis. La crainte que les victimes puissent se soulever et se venger était profondément ancrée dans la culture américaine, avec des répercussions jusqu’à aujourd’hui.
Le 13e amendement a officiellement mis fin à l’esclavage, mais une décennie plus tard « l’esclavage avec un autre nom » (aussi le titre d’une étude importante de Douglas A. Blackmon) a été introduit. La vie noire a été criminalisée par des codes particulièrement durs qui visaient les Noirs. Bientôt une forme d’esclavage encore plus rémunératrice a été disponible pour le business agricole, minier, de l’acier – plus rémunératrice parce que c’était l’état et pas les capitalistes qui était responsable d’entretenir la force de travail réduite en esclavage, signifiant que des Noirs étaient arrêtés sans cause réelle et que des prisonniers étaient mis au travail dans l’intérêt de ces business. Le système a fourni une contribution majeure au rapide développement industriel de la fin du 19e siècle.
Le système est resté pratiquement en place jusqu’à ce que la Seconde guerre mondiale ait entraîné la nécessité de travail gratuit pour l’industrie de guerre. Ensuite ont suivi quelques décennies de croissance rapide et relativement égalitaire, avec l’état jouant un rôle même plus crucial dans le développement économique qu’avant. Un homme noir pouvait trouver un emploi décent dans une usine syndiquée, acheter une maison, envoyer ses enfants à l’école avec d’autres opportunités. Le mouvement des droits civils a ouvert d’autres portes, mais de manière limitée. Une illustration en est le sort des efforts de Martin Luther King pour confronter le racisme du nord et développer un mouvement des pauvres, qui a effectivement été bloqué.
La réaction néolibéral qui s’est introduite à la fin des années 1970, grimpant avec Reagan et ses successeurs, a frappé les secteurs les plus pauvres et les plus opprimés de la société même plus que la large majorité, qui a souffert d’une stagnation ou d’un déclin relatifs tandis que la richesse s’accumulait dans très peu de mains. La guerre contre la drogue de Reagan, profondément raciste dans sa conception et son exécution, a initié un nouveau Jim Crow, comme l’a exprimé Michelle Alexander, pour une criminalisation ressuscitée de la vie noire, évidente dans le niveau choquante d’incarcérations et l’impact dévastateur dans la société noire.
La réalité est évidemment plus complexe que toute simple récapitulation, mais ceci est, malheureusement, une première approximation raisonnablement correcte d’un des deux crimes fondateurs de la société américaine, avec l’expulsion ou l’extermination des nations indigènes et la destruction de leurs civilisations riches et complexes.
«L’ignorance intentionnelle » concernant les vérités inconfortables sur la souffrance d’Afro-Américains peut aussi être utilisée pour formuler le génocide des Indigènes américains.
George Yancy : Alors que Jefferson peut avoir compris la turpitude morale sur laquelle l’esclavage était basée, dans ses « Notes sur l’état de Virginie » il dit que les Noirs sont ternes en imagination, inférieurs aux Blancs à raisonner et que les orang-outangs mâles préfèrent même les femmes noires aux leurs. Ces mythes avec les codes noirs qui ont suivi la guerre civile, ont fonctionné pour continuer à opprimer et à surveiller les Noirs. Quels sont, diriez-vous, les mythes contemporains et les codes qui jouent pour continuer à opprimer et à surveiller les Noirs, aujourd’hui ?
Noam Chomsky : Malheureusement, Jefferson était loin d’être le seul. Pas la peine d’examiner le racisme choquant dans d’autre part des cercles éclairés jusqu’à trop récemment. Sur les « mythes contemporains et les codes », je m’en remettrais plutôt aux nombreuses voix éloquentes de ceux qui observent et souvent expérimentent les résidus amères d’un passé scandaleux.
Peut-être que le mythe contemporain le plus épouvantable est que rien de tout cela n’est arrivé. Le titre du livre de Baptist est bien trop convenable, et les séquelles sont beaucoup trop peu connues et comprises.
Il y a aussi une variante commune de ce qu’on a appelé parfois « l’ignorance intentionnelle » ou ce qu’il est inconfortable de savoir. : « Oui, de mauvaises choses ont eu lieu dans le passé, mais mettons tout cela derrière nous et marchons vers un avenir glorieux, partageant tous également les droits et les opportunités de la citoyenneté. » Les statistiques épouvantables des circonstances de la vie afro-américaine d’aujourd’hui peuvent être confrontés avec d’autres résidus amères d’un passé scandaleux, des lamentations sur l’infériorité culturelle noire, ou pire, en oubliant comment notre richesse et nos privilèges ont été créés en grande partie par les siècles de torture et de dégradation de ceux dont nous sommes les bénéficiaires et eux restent les victimes. Quant à la compensation très partiale et désespérément inadéquate que la décence exigerait – cela se situe quelque part entre le trou de mémoire et l’anathème.
Jefferson, à son crédit, reconnaissait au moins que l’esclavage auquel il participait était « le despotisme le plus implacable d’une part, et des soumissions dégradantes, d’autre part. » Le mémorial Jefferson à Washington affiche ses mots que « Effectivement, je frémis pour mon pays quand je me dis que Dieu est juste : que sa justice ne peut pas dormir pour toujours. » Des mots que devraient se trouver dans notre conscience avec les réflexions de John Quincy Adams sur le crime parallèle de fondation pendant des siècles, le sort de « cette race malchanceuse d’indigènes américains, que nous exterminons avec une cruauté si impitoyable et perfide…parmi les péchés odieux de cette nation, pour lesquels je crois que Dieu, un jour, la mettra en jugement. »
Ce qui est important est notre jugement trop longtemps et trop profondément supprimé, et la réaction juste à cela, encore à peine contemplé.
George Yancy : Cette « ignorance intentionnelle » concernant des vérités inconfortables sur les souffrances des Afro-américains peut aussi être utilisée pour formuler le génocide des Indigènes américains. C’était le taxonomiste suédois, Carolus Linnaeus qui au 18e siècle a prétendu que les indigènes américains étaient caractérisés par des comportements comme être « enclins à la colère », un mythe pratique pour justifier la nécessité pour les indigènes américains d’être civilisés par les Blancs. Donc, il y a des mythes ici aussi. Comment « l’amnésie » nord américaine contribue-t-elle à des formes de racisme dirigées uniquement vers des indigènes américains en ce moment et à leur génocide continuel ?
Noam Chomsky : Les mythes utiles ont commencé tôt, et continuent dans le présent. Un des premiers mythes a été établi officiellement juste après que le roi d’Angleterre ait accordé à la colonie de la Baie du Massachusetts en 1629 une Charte déclarant que la conversion des Indiens à la chrétienneté est « l’objectif principal de cette plantation ». Les colons, ont créé immédiatement le Grand Sceau de la Colonie, qui montre un Indien tenant une lance pointée vers le bas en signe de paix, avec un manuscrit sortant de sa bouche implorant les colons de « Venir et de nous aider ». Ceci peut avoir été le premier cas « d’intervention humanitaire » – et, curieusement, s’est terminé comme tant d’autres.
Des années plus tard, le juge de la Cour suprême, Joseph Story, songeait à la « sagesse de la Providence » qui provoquait que les indigènes disparaissaient comme « les feuilles fanées d’automne » même si les colons les avaient « constamment respectés ». Inutile de le dire, les colons qui n’avaient pas choisi ‘l’ignorance intentionnelle » savaient bien mieux, et le plus informé comme le Gén. Henry Knox, le premier Secrétaire de la guerre des Etats-Unis, a décrit « « l’extirpation absolue de tous les Indiens des parties les plus peuplées de l’Union par (des moyens) plus destructeurs pour les Indiens indigènes que la conduite des conquérants du Mexique et du Pérou. »
Photo

Knox a poursuivi en mettant en garde qu’ “un futur historien pourrait indiquer les cause de cette destruction de la race humaine, couleur de sable. » Il y en a eu quelques-uns – très peu – qui l’ont fait, comme l’héroïque Helen Jackson, qui en 1880 a fourni un récit détaillé de cette « triste révélation de mauvaise foi, de traités violés et d’actes de violence inhumaine qui mettra le feu aux joues de honte à ceux qui aiment leur pays. » Le livre important de Jackson n’a pratiquement pas été vendu. Il a été négligé et rejeté en faveur d’une version présentée par Theodore Roosevelt, qui expliquait que « L’expansion de gens blancs ou de sang européen, pendant les quatre derniers siècles …a été chargée de d’avantages durables pour la plus grande partie peuples demeurant déjà sur les terres où l’expansion a eu lieu, » notamment pour ceux qui ont été « extirpés » ou expulsés par destitution ou misère.

Le poète national, Walt Whitman, a saisi la compréhension générale quand il a écrit « The nigger, like the Injun, will be eliminated; it is the law of the races, history… A superior grade of rats come and then all the minor rats are cleared out.” (Les nègres comme les Indiens, seront éliminés; c’est la loi des races, de l’histoire…Un niveau supérieur de rats vient et alors les rats inférieurs sont éliminés.). Ce n’est pas avant les années 1960 que le niveau des atrocités et de leur caractère a commencé à entrer même au niveau scolaire, et dans une certaine mesure dans une conscience populaire plus large, bien qu’il y ait encore un grand chemin à parcourir.

Ce n’est qu’un maigre début du dossier choquant de l’anglosphère et de sa version colonisatrice de l’impérialisme, une forme d’impérialisme qui mène fort naturellement à « l’extirpation absolue » de la population indigène – et à « l’ignorance intentionnelle » de la part des bénéficiaires de ces crimes.

George Yancy : Votre réponse soulève la question de la colonisation comme une forme d’occupation. James Baldwin, dans son essai de 1966, “Un rapport d’un territoire occupé” a écrit, « Harlem est surveillé par la police comme un territoire occupé. » Cette citation m’a fait penser à Ferguson, Mo. Certains manifestants à Ferguson ont même comparé ce qu’ils voyaient à la Bande de Gaza. Pouvez-vous réagir à ce discours de comparaison avec une occupation ?

Noam Chomsky : Toutes sortes de comparaisons sont possibles. Quand j’ai été dans la Bande de Gaza, il y a quelques années, ce qui me venait très vite à l’esprit était l’expérience d’être en prison (souvent pour désobéissance civile) : le sentiment, très étrange pour des gens qui ont eu une vie privilégiée, qu’on est totalement sous le contrôle de quelqu’autorité extérieure, arbitraire et si c’est choisi ainsi, cruelle. Mais les différences entre les deux cas sont bien sûr, vastes.

D’une manière générale, je suis plutôt sceptique sur la valeur de comparaisons du genre mentionné. Il y aura évidemment des formes communes aux nombreuses sortes de diversité d’autorité illégitime, de répression et de violence. Parfois, elles peuvent être éclairantes ; par exemple l’analogie de Michelle Alexander avec un nouveau Jim Crow, mentionné plus haut. Souvent, elles peuvent effacer les distinctions cruciales. Je ne vois franchement pas quelque chose de général à dire de grande valeur. Chaque comparaison doit être évaluée en soi.

George Yancy : Ces différences sont vastes et je ne veux certainement pas les ( ??? conflate). Post 9/11 semble avoir conduit à un espace important pour faire certaines comparaisons. Certains semblent penser que les Musulmans de descendance arabes ont remplacé les Afro-américains comme les parias aux Etats-Unis. Quelles sont vos opinions à ce sujet ?

Noam Chomsky : Le racisme anti-arabe/musulman a une longue histoire, et il y a eu une quantité importante de littérature à ce sujet. Les études de stéréotyper dans les médias visuels de Jack Shaheen, par exemple. Et il n’y a pas de doute que cela a augmenté ces dernières années. Pour donner simplement un exemple frappant actuel, les audiences de foule records pour un film décrit par la section artistique du New York Times comme « un film patriotique, familial, » au sujet d’un tireur d’élite qui prétend avoir un record en tuant des Irakiens pendant l’invasion par les Etats-Unis, et qui décrit avec fierté ces cibles comme « des sauvages, comme méprisables, comme le mal…pas d’autre moyen réellement de décrire ce qu’on rencontre ici. » C’était une référence spécifique à son premier meurtre, une femme qui tenait une grenade sous l’attaque de forces des Etats-Unis. Ce qui est important n’est pas simplement la mentalité du tireur d’élite, mais les réactions à de tels exploits à la maison quand nous envahissons et détruisons un pays étranger, en distinguant à peine une « brimade » ( ??? raghead ) d’une autre. Ces attitudes retournent aux « sauvages indiens impitoyables » de la déclaration d’Indépendance et à la sauvagerie la cruauté démoniaque d’autres qui ont été sur le chemin depuis, particulièrement quand on peut invoquer un certain élément racial – comme quand Lyndon Johnson se lamentait que si on baissait notre garde, on serait à la merci de « n’importe quel nain jaune avec un couteau dans la poche. » Mais à l’intérieur des Etats-Unis, bien qu’il y ait eu des incidents déplorables, le racisme anti-arabe/musulman dans le public a été raisonnablement limité, je pense.

George Yancy : Dernièrement, la réalité du racisme (qu’il soit anti-Noir, anti-Arabe, anti-Juifs, etc.) est toxique. Alors qu’il n’y a pas une solution unique au racisme, spécialement en terme de ses manifestations diverses, que voyez-vous comme exigences nécessaires pour mettre fin à la haine raciste ?

Noam Chomsky : Il est facile de débiter les réponses habituelles : l’éducation, explorer et traiter les sources de la maladie, se mettre ensemble pour des entreprises communes – les luttes du travail ont été un cas important – etc. Les réponses sont justes et ont beaucoup réalisé. Le racisme est loin d’être éradiqué, mais ce n’est pas ce que c’était, il n’y a pas si longtemps, grâce à de tels efforts. C’est une longue route et difficile. Pas de baguette magique, que je sache.
Cette interview a été menée par email et a été éditée. Des interviews précédentes dans cette série (avec Linda Martin Alcoff, Judith Butler, Joy James, Charles Mills, Falguni A. Sheth, Shannon Sullivan et Naomi Zack) peuvent être trouvées here.
George Yancy est un professeur de philosophie à l’Université Duquesne. (…)