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Arrêt Medvedyev de la CEDH: pour une vraie réforme du Parquet !

29 Mars 2010 Par Club Droits Justice …

La Grande chambre de la Cour européenne des droits de l’homme a de nouveau condamné la France dans un nouvel arrêt Medvedyev, mais sans rappeler le considérant par lequel, le 10 juillet 2008, elle adressait une sévère mise en garde au gouvernement français en affirmant que le procureur français « n’était pas une autorité judiciaire, faute d’indépendance suffisante à l’égard du pouvoir exécutif pour être ainsi qualifié ». Cette jurisprudence ne faisait que refléter pour le cas français, la conception que la Cour se fait depuis toujours de l’autorité judiciaire: n’en relèvent que les magistrats indépendants, qui ne sont pas soumis dans l’exercice de leur fonction à une influence extérieure, notamment celle du pouvoir exécutif.

Cette décision du 10 juillet 2008 avait clairement mis en évidence ce que le ministre de la Justice et ses amis tentent désespérément de nier: les nomination des procureurs de la République sont à l’entière discrétion du pouvoir politique, qui passe outre aux avis contraires du CSM, pourtant garant de l’indépendance des magistrats… Il fait et défait les procureurs généraux, qui sont au sommet de la hiérarchie des magistrats du parquet, selon qu’ils plairont ou ont déplu. Il leur adresse, en toute discrétion, les instructions qui lui conviennent dans les dossiers individuels, instructions dont on ne retrouvera jamais la trace écrite qu’impose pourtant le code de procédure pénale!

Les mêmes élaborent un projet de nouveau code de procédure pénale qui, s’il est adopté, aggravera la situation de dépendance du ministère public à l’égard du pouvoir politique. Elle sera alors totale.

Ce texte élargit d’abord de façon considérable les attributions du ministère public, qui va désormais assurer la conduite de la totalité des investigations. Mais il le fera sous l’autorité du procureur et le contrôle du pouvoir politique, alors qu’au terme de ces enquêtes il soutiendra l’accusation devant la juridiction de jugement. Cela sans qu’un véritable juge de l’enquête, doté de véritables moyens de contrôle et d’investigation propres, puisse résoudre cette contradiction et offrir à la partie civile ou à l’accusé les garanties d’impartialité nécessaires.

Dans le même temps, le pouvoir hiérarchique du ministre de la justice sur les procureurs est considérablement renforcé. L’avant projet de réforme étend en effet – articles 221-5 et 221-1 de l’avant projet de loi – ce pouvoir hiérarchique à l’action pénale individuelle, alors qu’auparavant il ne concernait que la politique d’action publique. Il consacre ainsi les instructions dans les affaires individuelles et n’interdit que les seules instructions de classement sans suite.

Il s’agit là d’une évolution inquiétante qui accentue les liens de dépendances introduits dans le Code de procédure pénale de 1958, alors que le Code d’instruction criminelle, en vigueur de 1808 à 1958, ne mentionnait, dans aucun article, l’intervention possible du ministre de la justice dans le cours de la procédure pénale.

En contrepartie, et pour seule garantie d’une Justice impartiale et égale pour tous, il est concédé aux membres du parquet ce que l’on nomme “un devoir de désobéissance”, limité aux “instructions individuelles contraires à l’exigence de recherche de la vérité et de la conduite des investigations à charge et à décharge”. Cette « innovation » renferme d’abord l’aveu de l’existence des instructions individuelles opposées à ce principe d’égalité. Elle fait ensuite obligation au procureur d’obéir à toutes les instructions individuelles, de quelque nature qu’elles soient, à condition qu’elles soient étrangères à la conduite de l’enquête. Ainsi, pour l’engagement de l’enquête, comme pour la décision à prendre à son issue – classement sans suite ou alternative à la poursuite- le procureur devra obéir aux instructions, de préférence verbales, qui lui seront transmises.

Ces dispositions législatives placeront le parquet dans une situation de dépendance quasi totale à l’égard du pouvoir exécutif. Or l’article 64 dela Constitution affirme que l’indépendance de l’autorité judiciaire, à laquelle appartient le ministère public, est garante de l’exercice de leurs droits par les citoyens et du principe d’égalité .

Un autre point de la réforme envisagée, confirme cette évolution inquiétante du ministère public . Alors qu’il a, traditionnellement, le monopole de la défense de l’intérêt général, partagé aujourd’hui avec des associations habilitées à cet effet, une nouvelle entité, « la partie citoyenne », pourra se substituer à lui ,en cas de défaillance, pour la défense de la collectivité.

Cette autre « innovation » confirme l’évolution de la mission du ministère public qui, de défenseur de l’interêt général devient celui de la simple satisfaction des intérêts du pouvoir politique. Cette partie citoyenne n’offrira d’ailleurs qu’une garantie purement illusoire, tant ses conditions de mise en oeuvre sont limitées. Elle ne pourra compenser le rôle joué par un magistrat enquêteur indépendant, tel le juge d’instruction, lorsqu’il sera nécessaire de faire obstacle aux dérives politico-financières.

Cette instrumentalisation du parquet doit s’analyser au regard des enjeux de santé publique, d’environnement ou de lutte contre la corruption, lorsqu’il apparaît nécessaire de mettre en cause des intérêts politiques ou économiques puissants. La réforme de la prescription, projetée par ce même texte, illustre cette volonté de protéger ces intérêts. L’ allongement de la durée de celle-ci – trois à six ans – fait en contrepartie obligation au juge d’inclure dans ce temps celui pendant lequel les infractions occultes, telles la corruption ou l’abus de biens sociaux, ont pu naître et se développer en toute quiétude. Leurs auteurs n’en seront que plus aisément placées à l’abri des poursuites pénales.

Parlons clair: ce qui est présenté comme « la mesure phare » de l’avant projet de code de procédure pénale, la disparition du juge d’instruction, cache une véritable domestication du parquet par le pouvoir politique. Elle sera d’autant plus dangereuse que le texte n’offre aucun contrepoids qui garantisse une enquête impartiale et une justice égale pour tous. Ce n’est pas l’affirmation illusoire d’une enquête « à charge et à décharge » par ce nouveau ministère public qui constituera cette garantie.

L’égalité des armes entre l’accusation et la défense ne peut dépendre de la seule bonne volonté d’un Parquet domestiqué. Il faudra, outre un juge de l’enquête puissant, des avocats mieux organisés et mieux payés pour qu’ils assurent la défense de tous leurs clients même les moins fortunés.

Avec cette réforme, notre pays continue de s’éloigner des exigences européennes qui s’attachent, tout comme notre constitution, à ce que l’organe de poursuite soit à l’abri de toute influence. Le Ministère Public deviendra un démembrement du pouvoir politique, dont il sera contraint à servir les intérêts égoïstes plutôt que l’intérêt général.