Variations autour du racisme
Introduction : quand les opprimés deviennent oppresseurs
Lorsque j’étais adolescent, à la fin de la seconde guerre mondiale, je pensais qu’un Juif ne pouvait être raciste. Comment les victimes du racisme pourraient-elles être racistes ? Et puis j’ai appris que cette question n’avait aucun sens.
J’ai d’abord été frappé, dans l’enseignement de l’histoire que j’ai reçu au lycée, par le fait que des opprimés pouvaient devenir oppresseurs. Lorsque les Hongrois, après avoir lutté contre l’Empire d’Autriche, obtinrent la transformation de l’Empire autrichien en Empire austro-hongrois, les peuples soumis à l’Autriche furent partagés entre ceux qui dépendaient de Vienne et ceux qui dépendaient de Budapest. Lorsque les peuples dépendant de Budapest revendiquèrent les mêmes droits que les Hongrois avaient conquis sur les Autrichiens, ils furent réprimés par les Hongrois. Ainsi ceux qui se révoltèrent contre l’Autriche surent à leur tour s’opposer aux revendications de ceux qu’ils dominaient.
Cette situation n’a rien d’exceptionnel, elle est courante dans l’histoire, l’exemple emblématique étant celui des Chrétiens qui, après avoir pris le pouvoir dans l’Empire Romain avec l’arrivée de l’empereur Constantin, n’eurent de cesse d’imposer le christianisme aux habitants de l’Empire. Ainsi les Chrétiens persécutés dans l’Empire Romain devinrent à leur tour persécuteurs.
Dernier exemple, lorsque, en 1954, les Algériens se soulevèrent contre l’occupation française, les Français qui avaient lutté contre l’occupation allemande de leur pays menèrent une guerre brutale contre les Algériens jusqu’à ce qu’ils comprennent que, même gagnant sur le plan militaire, ils ne pourraient vaincre ceux qui se battaient pour la liberté de l’Algérie.
Plus tard, je me souviens avoir été choqué par cette réflexion d’un Touareg qui m’expliquait qu’après avoir été colonisés par les Français, les Touareg étaient aujourd’hui colonisés par les Algériens. Quant aux discours sur l’unité algérienne au ton très jacobin, ils m’ont rappelé combien était difficile la question de la libération des peuples.
Pour revenir aux Juifs, je pourrais rappeler combien les Juifs d’Algérie, devenus Français par la grâce du décret Crémieux de 1870, se sentaient, au milieu du XXe siècle bien plus français qu’algériens, et que, dans leur grande majorité, ils ont choisi la France contre l’Algérie1. Ce que le FLN algérien n’a pas compris. C’était la première fois que j’ai compris que des Juifs pouvaient, malgré leur histoire, devenir racistes.
Et c’est bien plus tard que j’ai compris combien le sionisme allait conduire au développement d’un racisme anti-arabe parmi les Juifs, rappelant une fois de plus qu’aucun groupe humain n’est préservé de cette gangrène qu’est le racisme.
Jouer à la science
On peut considérer que le racisme est une invention récente liée au développement du colonialisme, c’est une vision quelque peu simplificatrice. Il est vrai que le colonialisme a su utiliser le racisme particulièrement en contribuant à son développement parmi les populations européennes qui allaient s’installer dans les colonies (cf. ci-dessous le paragraphe consacré aux “petits blancs”), mais réduire le racisme à une conséquence du colonialisme revient à oublier sa signification anthropologique2. Encore qu’il faille savoir distinguer entre le racisme et les différents phénomènes de rejet telle la xénophobie ou l’intolérance religieuse. Le terme “barbare” qui désigne, chez les Grecs de l’Antiquité, ceux qui ne savent pas parler parce qu’ils ne parlent pas grec est-il une forme de racisme ? Quant à l’intolérance religieuse, en particulier celle des monothéismes, participe-t-elle du racisme ? En principe les Infidèles qui se convertissent entrent dans la communauté des croyants3.
Le racisme s’appuie sur la notion de race, mais qu’est-ce qu’une race ? On a donné à ce terme un sens biologique renvoyant aux races animales et végétales, mais peut-on réduire le racisme entre les hommes à un phénomène d’ordre biologique. Il est vrai que le XIXe siècle scientiste a tenté d’élaborer une classification des hommes et que les adeptes du racisme ont cherché à s’appuyer sur la biologie pour non seulement définir une classifications des races humaines mais encore définir une hiérarchie entre ces races, plaçant la race blanche au sommet4. D’une certaine façon leurs prétentions scientifiques allaient conduire à un déplacement de la question. Tandis que certains, s’appuyant sur la biologie, cherchaient à donner une légitimité scientifique au racisme, d’autres, pour contrer ce “racisme scientifique”, loin de se contenter de montrer l’inanité de cette légitimation “scientifique” du racisme, cherchaient au contraire à montrer que la biologie était antiraciste. Ainsi se développaient deux discours en miroir, l’un proclamant la vérité des races et du racisme, l’autre rétorquant qu’ils n’existaient pas de races à l’intérieur de l’espèce humaine et proclamant la fausseté du racisme.
Mais qu’est-ce que cela veut dire que le racisme est faux ? Le racisme est une idéologie qui s’intéresse aux relations entre les hommes et il faut critiquer le racisme en tant qu’idéologie. S’il est important de démonter les arguments pseudo-scientifiques qui justifient le racisme, il est illusoire de penser que cette nécessaire critique soit suffisante pour lutter contre le racisme.
Du racisme
Le racisme est une façon pour un groupe humain (qu’on l’appelle peuple, civilisation ou autre chose importe peu ici) de se défendre contre les autres groupes humains, attitude d’autant plus forte que les mœurs de ces autres groupes peuvent apparaître comme “une sorte de monstruosité ou de scandale” comme l’explique Lévi-Strauss dans Race et Histoire5, une façon aussi de marquer sa spécificité voire sa supériorité. Le racisme consiste alors non seulement à classer les divers groupes humains mais à les essentialiser au sens où les membres de chacun des groupes possèderaient des caractères immuables, bons ou mauvais, auxquels il ne saurait échapper. Il devient alors facile de “scientifiser” cette essence, la biologie apparaissant comme l’une des formes les plus pertinentes de cette “scientifisation”6. La lutte contre le racisme exige de lutter contre cette essentialisation. Cela renvoie à l’opposition “nature / culture” entre ce qui caractérise l’espèce humaine du point de vue biologique, et on sait aujourd’hui qu’il existe une seule espèce humaine, et ce qui participe de la culture, laquelle prend des formes différentes dans les divers groupes humains. Contrairement à la biologie, la culture ne définit pas une essence dans la mesure où elle se transforme au cours de l’histoire, transformation dont les hommes sont acteurs. C’est bien la distinction entre l’évolution des espèces mise en avant par Darwin, phénomène naturel, et l’histoire des hommes faite par des hommes. Si le ressort de l’évolution est lié à ce que Darwin appelait la sélection naturelle, laquelle est indépendante des espèces qui la subissent, la situation est différente en ce qui concerne l’histoire des hommes. Darwin explique lui-même que la sélection naturelle a produit une espèce qui échappe à la sélection naturelle, une espèce qui est devenue responsable de son histoire. C’est en cela que l’on peut dire que l’espèce humaine est sortie de l’état de nature.
Le racisme des petits blancs
L’expression “petit blanc” est une expression de mépris. Elle désigne, dans les colonies de peuplement, les plus pauvres des colonisateurs, ceux qui sont au bas de l’échelle mais qui trouvent une compensation dans le fait d’être au dessus des colonisés. C’est ce sentiment de supériorité qui les conduit à être solidaires de la colonisation et qui les conduit à un racisme exacerbé contre les indigènes. C’est ainsi que les “petits blancs” de l’Algérie française, qui représentaient une grande partie de la population européenne, se sont retrouvés dans l’OAS luttant à la fois contre les Algériens et contre le gouvernement français, croyant défendre leurs “privilèges” de soutiers de la colonisation alors que les plus riches des colons préparaient leur venue en France7. Ce phénomène “petit blanc” s’est étendu en France avec le développement de l’immigration venue des anciennes colonies françaises dont les enfants et petits-enfants, même devenus français, sont encore considérés comme des étrangers comme le montre le numérotage des générations8. Ainsi se développe un racisme populaire qui fait les délices d’un mouvement comme le Front National qui met en avant le slogan “Les Français d’abord”. Reste qu’il faut se garder de renvoyer ce racisme de “petit blanc” au seul Front National, la référence à ce mouvement permettant d’occulter un mouvement raciste plus large qui s’étend jusqu’à la gauche comme le montre le rôle des gouvernements de gauche dans l’élaboration de lois contre l’immigration ou, plus proches de nous, le projet de déchéance de la nationalité française pour les binationaux qui participeraient à des actions terroristes ou mettraient en danger l’Etat. Dans ce cas, ceux qui sont visés ne sont pas les étrangers ou les Français d’origine étrangère mais ceux d’entre eux qui viennent des pays arabes. On rejoint ici ce qu’on appelle l’islamophobie, laquelle est essentiellement un racisme anti-arabe, jouant sur une confusion classique entre Arabe et Musulman.
Le racisme comme essentialisme
Ce qu’on appelle islamophobie est essentiellement un racisme anti-arabe jouant sur la confusion classique entre Arabe et Musulman. On semble ignorer qu’il existe des Arabes non musulmans et que la majorité des Musulmans ne sont pas arabes. Mais cela importe peu aux islamophobes qui, en bon racistes, ont essentialisé les Musulmans. Comme tout essentialisation d’un groupe humain, cette essentialisation repose sur une ignorance : l’Islam serait “un” comme s’il n’y avait pas une multiplicité de courants dans l’Islam. Cette croyance en un Islam monolithique conduit les uns à voir dans tout Musulman un fanatique proche de DAESH et les autres, au nom du refus de l’islamophobie, à refuser de voir que DAESH est un courant de l’Islam, un courant parmi d’autres. Ces deux attitudes ont en commun une volonté d’essentialisation de l’Islam. On voit ainsi apparaître d’autres formes d’essentialisation que celle qui s’appuie sur la biologie ; c’est alors moins la notion de race au sens biologique qui est en cause, la notion de race n’est qu’une forme d’essentialisation qui consiste à classer et à hiérarchiser les groupes humains. Mais quelle que soit la forme de cette essentialisation, elle est présentée par ses adeptes comme naturelle. Ainsi à côté de l’essentialisation “biologique”, on peut voir des essentialisations “culturelles”, lesquelles sont peut-être plus anciennes et plus importantes que l’essentialisation biologique qui n’est, somme toute, qu’une caricature de science.
Si l’essentialisation “biologique” est théoriquement facile à démonter, les essentialisations “culturelles” sont plus sournoises dans la mesure où elles s’appuient sur une occultation de l’historicité. On oublie ainsi que les religions s’inscrivent dans l’histoire et que, loin de relever de quelque transcendance, elles sont œuvre humaine. De même, on oublie que les nations se construisent dans l’histoire et on définit la nation comme une entité transcendante comme le montre par exemple le classique discours sur la France éternelle9.
C’est cette volonté d’éternité qui conduit à oublier que le monothéisme est un phénomène historique et que l’apparition de ses différentes formes, la juive, la chrétienne et la musulmane, relève de l’histoire. Indépendamment des jugements que l’on peut porter sur le monothéisme et ses diverses formes, ce qui importe c’est de rappeler qu’il s’agit de phénomènes historiques. S’il est difficile pour un croyant d’accepter que sa foi s’inscrive l’histoire, c’est la prise en compte de cette historicité qui permet à la fois de lutter contre l’intolérance religieuse et contre cette forme de racisme que constituent les agressions contre les croyants10.
Cet oubli de l’historicité a deux conséquences. D’une part il conduit certains courants religieux, dans les trois monothéismes, à chercher dans la tradition un modèle de vie, oubliant que la tradition est une réinvention permanente. D’autre part il conduit à voir dans une religion un bloc monolithique, et cela autant chez les adeptes que chez les adversaires, oubliant la diversité des courants et les oppositions entre ces courants.
De la critique du racisme
Le racisme est une idéologie aux effets dangereux par les violences auxquelles elle conduit. En cela la lutte contre le racisme est nécessaire moins pour des raisons éthiques que pour le maintien de l’équilibre social, c’est en cela que l’antiracisme relève du Droit. Mais lutter contre le racisme demande d’abord de chercher à comprendre les ressorts de cette idéologie et les raisons qui amènent certains à y adhérer. Il y a une forme de lutte contre le racisme qui consiste à trouver les coupables, ainsi le colonialisme déjà cité, l’intolérance religieuse, y compris lorsque l’on transforme la laïcité en dogme, autrement dit en une nouvelle religion, et certaines formes de nationalisme. Mais si trouver les coupables peut nous éclairer sur le fonctionnement du racisme, cela est insuffisant. On oublie trop souvent que si une idéologie réussit, c’est parce qu’elle donne l’illusion de résoudre un problème. Si le racisme réussit, c’est moins parce que des “manipulateurs” réussissent à convaincre qu’ils ont raison que parce que ceux qu’ils veulent convaincre sont prêts à accepter leurs arguments, autrement dit si des “manipulateurs” réussissent c’est parce qu’ils savent que les “manipulés” sont prêts à accepter ce qu’on leur propose. Lutter contre le racisme demande de regarder autant du côté des “manipulés” que du côté des “manipulateurs”.
Nous avons cité ci-dessus l’exemple des “petits blancs” et la tendance à la transformation des populations de certains pays d’immigration en “petits blancs” ; c’est le cas en France avec l’arrivée d’immigrés venus des anciennes colonies françaises. Face à cette tendance, il est alors facile de s’attaquer aux immigrés comme on le voit avec les succès relatifs du slogan du Front National “Les Français d’abord” qui reprend le vieux slogan d’extrême-droite “La France aux Français” mais plus encore avec les politiques de contrôle des immigrés mises en place par des gouvernements de droite ou de gauche qui ont su montrer leur incapacité, voire leur refus, de lutter contre le racisme. On le voit encore avec cette politique “sécuritaire” qui, pour répondre aux attentats islamistes11, ne peut qu’augmenter la méfiance envers les Français d’origine arabe ou africaine, comme si ces Français considérés comme “pas tout à fait français” étaient complices des auteurs d’attentats. On le voit encore avec le refus européen des réfugiés baptisés “migrants” comme si cette nouvelle appellation rendait moins insupportable le refus d’accueillir en Europe des étrangers considérés comme des intrus12.
Contre cette transformation d’une partie des populations européennes, il ne suffit pas de crier au populisme comme on l’entend souvent. Il faut revenir sur ce qui fonde le racisme, l’essentialisation des étrangers et en particulier aujourd’hui l’essentialisation des Musulmans. Comme si l’Europe voulait réaffirmer ses racines chrétiennes et rappeler que la guerre entre le monde chrétien et le monde musulman est toujours actuelle13. C’est d’ailleurs au nom de cette guerre que l’on a inventé la “tradition judéo-chrétienne” qui permet de substituer au racisme antijuif un racisme antimusulman14.
Mais la lutte contre le racisme essentialiste doit être claire. Cette lutte est politique et renvoie au Droit avant que de participer d’une éthique ou de relever de l’affectif. De même que la notion d’amour du prochain des religions monothéistes peut conduire à distinguer parmi les hommes qui a droit au titre de prochain et qui ne l’a pas, la notion de droits de l’homme, si elle est posée en termes d’affects, peut conduire à distinguer parmi les hommes qui a droit au titre d’homme et qui n’est que sous-homme, distinction qui relève du racisme le plus brutal et qui traduit le fait que pour nombre d’Etats, les droits de l’homme consistent à défendre ceux qui sont opprimés par les Etats ennemis et d’oublier les autres. Ici l’affectif ne peut que conduire à entretenir des discriminations.
La question n’est pas de refuser toute sympathie envers les victimes du racisme mais de rappeler que la sympathie ne saurait être le ressort de la lutte contre le racisme et plus généralement de la lutte contre les oppressions15. C’est cela qui nous conduit à revenir sur la distinction entre fraternité et solidarité telle qu’est explicitée par Hannah Arendt16.
Annexe 1 : fraternité et solidarité
Pour préciser ce que nous disons, nous revenons sur la distinction entre fraternité et solidarité
La fraternité exige l’amour de tous, autant dire qu’elle n’exige rien tant la notion d’amour de tous est vague et n’est souvent qu’un masque destiné à permettre la distinction entre ceux qui sont dignes d’être aimé (le prochain des religieux) et les autres. . En ce sens la fraternité participe de l’affectif et non du politique, elle marque à la fois une proximité entre ceux qui se reconnaissent frères et une exclusion des autres. Comme le dit Hannah Arendt, on peut considérer que la fraternité est “le grand privilège des peuples parias”, entendant par cela que la fraternité est une manifestation “des peuples persécutés”. Que l’on partage ou non le point de vue de Hannah Arendt, on peut considérer que la fraternité joue un rôle important dans la lutte que mènent les opprimés pour leur libération.
Mais si le sentiment de fraternité a joué et joue encore un rôle dans les luttes des opprimés dans la mesure où elle renforce les liens entre eux, il ne saurait être question d’étendre ce sentiment et cela pour deux raisons. La première signalée par Hannah Arendt, est que la fraternité, en tant qu’elle est un privilège des parias, n’est pas transmissible. La seconde est que, si la fraternité des parias est la marque d’une réelle solidarité entre les membres d’un groupe humain persécuté, elle ne peut s’étendre à moins de se réduire à un ersatz de l’amour prôné par les religions monothéistes, celui du commandement “aime ton prochain comme toi-même”. Il n’y a a priori aucune fraternité entre les parias et les autres, celle-ci ne peut-être qu’un sentiment artificiel, aussi sincère soit-il, qui peut conduire pour des raisons diverses le non-paria à aimer le paria, mais cela risque de n’être qu’une forme de condescendance, et le paria à aimer celui qui prend la peine de se pencher sur son triste sort. La fraternité devient ainsi inégalitaire, ce qui ne remet pas en cause la sincérité des uns et des autres mais la sincérité est ici secondaire17.
Toute autre est la notion de solidarité. Elle s’appuie sur les liens effectifs qui existent entre les hommes et qui les conduisent à se regrouper devant un danger commun18, il n’est point question d’amour mais de nécessité et en cela elle engage de façon impersonnelle au sens qu’elle construit des liens qui dépassent les sentiments individuels ; c’est dans cette dépersonnalisation des rapports qu’il faut comprendre la notion de droit.
Annexe 2 ; des droits de l’homme
La notion de droits de l’homme, aujourd’hui trop souvent galvaudée, se définit via la dépersonnalisation des relations, c’est cette dépersonnalisation qui permet d’assumer la tension entre un universalisme formel et les particularismes autour desquels se groupes humains19, ce que l’on résumer en disant que pour préserver l’universalisme, c’est-à-dire l’égalité entre les hommes20, il faut que les particularismes puissent s’exprimer. Ce que Levi-Strauss résume succinctement sous la forme suivante :
“L’humanité est constamment aux prises avec deux processus contradictoires dont l’un tend à instaurer l’unification, tandis que l’autre vise à maintenir ou rétablir la diversification.”21
Pour que le droit atteigne l’universel, il faut qu’il se débarrasse de toute notion d’amour ; l’amour n’existe qu’à travers des affinités nécessairement subjectives (que ce soit la subjectivité des personnes ou la subjectivité des groupes humains). En ce sens la démocratie au sein de la nation se définit moins à travers la fraternité qu’à travers les solidarités de fait qui se construisent entre les membres de cette nation22. Je ne suis pas obligé d’aimer mon voisin mais je dois le considérer comme mon égal du point de vue du droit, et c’est parce qu’elle se situe au-delà des sentiments personnels que l’égalité des droits se relie à la solidarité.
En ce sens la lutte contre le racisme relève moins du “aimez-vous les uns les autres” des religions monothéistes que du “respectez-vous les uns les autres” de l’égalité des droits.
[…] http://la-feuille-de-chou.fr/archives/86318 […]
[…] http://la-feuille-de-chou.fr/archives/86318 […]
Sur la fraternité.
Sans tenir particulièrement à ce terme, j’affirme que la fraternité est du ressort du politique – peut-être contrairement à la solidarité.
Justement parce que le politique est situé; toujours local.
Votre conclusion semble directement issue des considérations quant au droit, reprises dans l’annexe 2.
En effet, ce n’est que depuis cette fiction – très située, elle aussi – qu’est «l’humanité» qu’il est possible d’en appeler à l’universel et d’ensuite réduire à des «particularismes» ce qui constitue, en fait, des formes de vie irréductibles – et, certes, non «transmissibles».
Le monde se décompose, dès lors, en nations, en voisins, en «les uns» et «les autres», en subjectivités (et, du coup, objectivités), en obligations, etc’. Il est plein de «liens effectifs», «entre les hommes», qui les conduisent à faire des choses; de «nécessités»…
C’est, en quelques paragraphes, un aperçu du moteur idéel de l’entreprise impérialiste occidentale. «Le droit» en est un fragment.
Si la fraternité est «le grand privilège des peuples parias», des peuples persécutés, c’est en tant que corps et production de leurs combats; non en tant que principe.
La solidarité, l’universalité, l’égalité des droits, le respect, l’homme, etc’, comme conceptions et sources du politique, sont le privilège des assis, et leur infirmité.