Paris, le 24 octobre 2016
Monsieur le garde des Sceaux,
Les pouvoirs publics ont décidé de disperser les occupants du bidonville de la Lande, à Calais, dans des centres d’accueil et d’orientation provisoires disséminés sur le territoire national.
Dans le cadre de cette opération, il est notamment prévu de disperser un millier de mineurs isolés. C’est sur la situation de ces enfants et de ces adolescents que nous souhaitons appeler votre attention.
Un petit nombre seront sans doute admis au Royaume Uni, tandis que les autres seront dirigés vers des centres dédiés, ouverts dans l’urgence, sans agrément des départements et en dehors du dispositif d’évaluation et de prise en charge prévu par les textes.
C’est ce que précise expressément l’arrêté ordonnant cette évacuation pris ce 21 octobre par Madame le préfet du Pas de Calais (en pièce jointe), considérant que « les mineurs étrangers isolés feront l’objet d’un accueil temporaire et adapté au centre d’accueil provisoire et au centre Jules Ferry, afin de permettre leur admission au Royaume-Uni, dans le cadre d’accords avec ce pays, puis, pour ceux ne pouvant y être admis, d’un accueil en centre d’accueil et d’orientation dédié avant de pouvoir être pris en charge par les services de l’aide sociale à l’enfance ».
C’est ce que confirme encore l’article 3 dudit arrêté aux termes duquel « Les mineurs étrangers isolés souhaitant rejoindre le Royaume-Uni, au titre de la réunification familiale ou d’un autre dispositif juridique, seront pris en charge, dans des conditions adaptées à leur statut, au sein du centre Jules Ferry et du Centre d’accueil provisoire, dans l’attente d’un examen de leur situation en lien avec les autorités britanniques. A défaut d’une possibilité de réadmission dans ce pays et d’une prise en charge par les services de l’aide sociale à l’enfance, ils feront l’objet d’une prise en charge en centre d’accueil et d’orientation dédiés aux mineurs ».
Par ailleurs, une proposition de cahier des charges présentée à plusieurs associations le jeudi 20 octobre 2016 par les ministères de l’intérieur, du logement et de la justice (également en pièce jointe) précise les missions et les modalités de fonctionnement de ces futurs « centres provisoires de mise à l’abri spécialisés pour mineurs non accompagnés » : il est notamment prévu que les équipes de ces centres pourront procéder à une évaluation sociale de l’isolement et de la minorité des jeunes qui y seront accueillis.
Il résulte que certains de ces mineurs seront placés dans des centres sans intervention du conseil départemental ou de tout autre acteur de la protection de l’enfance, sans décision d’accueil provisoire ni décision judiciaire de placement et ce, à l’issue d’une évaluation sociale qui sera, elle aussi, réalisée en dehors du cadre légal puisque ces jeunes ne seront, à ce stade, ni confiés aux services de l’aide sociale à l’enfance d’un département, ni signalés à l’autorité judiciaire.
Ainsi ce dispositif méconnaît-il, notamment, les dispositions de l’article L 226-3 du code de l’action sociale et des familles, telles que modifiées par la loi du 14 mars 2016, aux termes desquelles « Le président du conseil départemental est chargé du recueil, du traitement et de l’évaluation, à tout moment et quelle qu’en soit l’origine, des informations préoccupantes relatives aux mineurs en danger ou qui risquent de l’être », étant précisé au surplus que « L’évaluation de la situation d’un mineur à partir d’une information préoccupante est réalisée par une équipe pluridisciplinaire de professionnels identifiés et formés à cet effet. »
Dans l’attente d’un hypothétique accueil par un département et d’un nouveau transfert, ces jeunes ne se verront offrir qu’une prise en charge éducative au rabais, loin du cadre de protection auquel ils peuvent prétendre, alors même qu’ils représentent une population particulièrement vulnérable. Le taux réel d’encadrement prévu par le cahier des charges et la référence aux « animations éducatives » en attestent.
Il nous apparaît inacceptable que les missions incombant à l’autorité judiciaire en matière de protection de l’enfance en danger puissent être ainsi ignorées et contournées par l’autorité administrative.
C’est pourquoi nous vous demandons instamment de prendre sans délais les mesures nécessaires pour que la juridiction de Boulogne sur Mer soit rétablie dans ses attributions et soit dotée des moyens qui lui permettront d’assurer une protection et une prise en charge effective de ces mineurs dans le respect des textes applicables.
Compte tenu de l’importance de l’enjeu et de la gravité de la situation, vous comprendrez que nous soyons contraints de donner la plus large publicité à la présente lettre.
Nous vous prions de croire, Monsieur le ministre de la Justice, l’expression de notre considération respectueuse.
Laurence BLISSON
Secrétaire générale du Syndicat de la magistrature
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Un référé-liberté contestant l’arrêté préfectoral, du 23 octobre 2016, créant « une zone de protection sur le camp de la Lande » a été déposé aujourd’hui devant le tribunal administratif de Lille. A l’origine de cette action, l’association Avocats pour la défense des droits des étrangers (ADDE) et un avocat qui dit avoir été empêché d’accéder à la jungle de Calais.
L’arrêté interdit à toute personne de pénétrer dans cette zone, à l’exception de certaines personnes listées. Dans cette liste, les avocats ne sont pas mentionnés. Quant aux bénévoles et salariés d’associations, ils doivent disposer de l’accréditation « association » pour pouvoir entrer, précise l’arrêté.
La requête évoque « une atteinte injustifiée et disproportionnée » au « droit à l’assistance d’un avocat (…), au droit d’asile, à la liberté d’aller et venir, mais aussi au droit de la vie privée ».
Par Caroline Fleuriot
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