Syndicat de la Magistrature
Militants solidaires, nouveaux délinquants ?
Communiqué de presse en réaction aux décisions de la Cour d’appel d’Aix-en-Provence condamnant Cédric Herrou et Pierre-Alain Mannoni
Communiqués de presse, publié le 14 septembre 2017, mis à jour le 14 septembre 2017
Les arrêts que la cour d’appel d’Aix-en-Provence a rendus les 8 août et 11 septembre dernier contre Cédric Herrou et Pierre-Alain Mannoni ont le mérite de délivrer un message clair : pas d’immunité pour les militants. Leur solidarité serait viciée par nature.
Le CESEDA prévoit une immunité au bénéfice des personnes ayant aidé des étrangers en situation irrégulière, « lorsque l’acte reproché n’a donné lieu à aucune contrepartie directe ou indirecte, et consistait à fournir des conseils juridiques ou des prestations de restauration, d’hébergement ou de soins médicaux destinées à assurer des conditions de vie dignes et décentes à l’étranger, ou bien toute autre aide visant à préserver la dignité ou l’intégrité physique de celui-ci ». La juridiction de première instance avait analysé les actions de Cédric Herrou et de Pierre-Alain Mannoni comme ce qu’elles étaient : des actes désintéressés de solidarité et d’humanité à destination de femmes, d’hommes et d’enfants en détresse.
Pour écarter cette immunité, la cour, infirmant les décisions de relaxe (même partielle) a considéré qu’aucun élément ne permettait de retenir que l’intégrité des étrangers faisait l’objet d’atteintes graves. L’affirmation est pour le moins audacieuse, à la lumière des détails, rapportés dans les décisions de première instance, sur l’existence précaire de personnes étrangères sans ressources, errant dans la vallée de la Roya à la merci des passeurs.
Le propos péremptoire heurte si frontalement une réalité qu’il n’est aujourd’hui guère possible d’ignorer que la cour prétend le consolider par un second motif. Pour écarter définitivement l’immunité, elle ajoute que les prévenus ont certes agi par humanité, selon leur conscience et leurs valeurs, mais aussi par militantisme, un vice qui corromprait irrémédiablement l’aide apportée.
En somme, puisque l’action de Cédric Herrou ou Pierre-Alain Mannoni met en échec les « contrôles mis en œuvre par les autorités pour appliquer les dispositions légales relatives à l’immigration », elle perdrait son caractère humaniste pour sombrer dans l’activisme. Une vision bien obtuse du militantisme : la solidarité, oui, mais par inadvertance.
En sondant l’âme des aidants, la cour réduit presque à néant le champ de l’immunité selon une curieuse conception de l’application stricte de la loi pénale. Elle fait prévaloir la politique migratoire de l’Etat sur les termes de la loi.
Cet arbitrage est d’autant plus regrettable qu’en matière de solidarité, l’Etat est défaillant. L’accusation n’est pas légère : elle ressort tant de rapports des ONG que des avis du Défenseur des droits et de la CNCDH, dénonçant la carence de l’Etat dans l’accueil des migrants. Mais c’est à Cédric Herrou que la cour reproche de loger des étrangers dans « des conditions extrêmement précaires »…
Il est vrai qu’une des grandes « réussites » étatiques dans la région consiste dans le phénoménal quadrillage policier de cette zone transfrontalière qui concentre tant l’attention gouvernementale qu’il est aujourd’hui question d’y autoriser plus largement encore, au prétexte de lutter contre le terrorisme, les contrôles des exilés et des personnes qui leur viennent en aide.
Il est temps au contraire que l’Etat prenne ses responsabilités, mette en place une véritable politique d’accueil des exilés et cesse de s’employer à interpeller ceux qui, face au drame qui se joue sous leurs yeux, agissent indistinctement par humanité, conviction ou militantisme. Quant à la justice, gardienne de la liberté individuelle, elle s’honore lorsqu’avec rigueur, elle reconnaît la solidarité à sa juste valeur.
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