Ha¹aretz, 13 mai 2010

http://www.haaretz.com/print-edition/opinion/good-for-the-jews-1.290272

JCall est "bon pour les juifs"
Claude Kandiyoti *

Trad. : Gérard pour La Paix Maintenant

Le 3 mai, le philosophe français Bernard-Henri Lévy se trouvait dans le
train Paris-Bruxelles, pour assister à un événement important dans les
locaux du Parlement européen. Peu avant, il avait reçu un coup de téléphone
surprenant. Au bout du fil était Richard Prasquier, président du CRIF.

Prasquier tenta de convaincre Lévy que c¹était  une erreur d¹avoir signé «
la pétition » et lui conseilla de ne pas assister à ce qui, à son avis,
promettait d¹être un événement anti-israélien : "Bernard, si tu y vas, de
nombreux juifs français ne comprendront pas", lui dit Prasquier, raconte
Prasquier lui-même.

L¹événement auquel il faisait allusion était une réunion de juifs européens
inquiets. Inspirée de l¹organisation américaine J Street sans être un
copié-collé, cette réunion de représentants de diverses communautés juives
d¹Europe s¹est rassemblée, sous le nom de "JCall", autour d¹un texte nommé
"Appel à la Raison", déjà signé en quelques semaines par près de 6 000
personnes (1). 

Ce texte critiquait l¹occupation israélienne et l¹entreprise de
colonisation, et appelait l¹Union européenne à "exercer des pressions sur
les deux parties" afin de parvenir à une solution pacifique du conflit
israélo-palestinien. Les signataires, dont de nombreux intellectuels et
personnalités de premier plan, affirmaient en même temps leur attachement
total au sionisme et à l¹Etat juif qui fait, selon l¹appel, partie de leur
identité.

Le plus frappent ne fut pas tant l¹appel lui-même, qui ne contenait pas
réellement d¹idées nouvelles, que les réactions négatives qu¹il a suscitées
au sein des institutions et communautés juives traditionnelles. Depuis
l¹Initiative de Genève en 2003, nous n¹avions pas vu de débat aussi vif chez
les juifs d¹Europe. Il y eut des éditoriaux, des articles et même une
contre-pétition ("Raison Garder"), signée elle aussi par des intellectuels
français, accusant JCall d¹être partial et de donner du grain à moudre à
ceux qui haïssent Israël. La tempête ne s¹est pas calmée.

Si, comme l¹affirmait récemment Emanuele Ottolenghi dans un article paru
dans l¹édition anglaise d¹Ha¹aretz, « aucune organisation juive
traditionnelle ne prend position aujourd¹hui contre la solution de deux
Etats », alors qu¹y a-t-il dans la lettre de JCall qui ait tant énervé tant
de ces mêmes organisations ? Pourquoi ces réactions aussi disproportionnées,
parfois violentes ? Ottolenghi a suggéré l¹idée que les opposants à JCall
lui en veulent parce que « l¹amour déclaré des signataires pour Israël était
supplanté par le blâme qu¹ils déposaient directement à la porte d¹Israël. »

Il pourrait y avoir une autre réponse. Ainsi que me l¹a dit Prasquier,
"JCall, avec le prestige de ses signataires, pourrait de fait susciter
énormément de confusion et de division dans le judaïsme français et cela
n¹est pas bon."

Car JCall a empiété sur un territoire sacré. Son existence même est un défi
au rôle assumé jusqu¹ici par les organisations juives traditionnelles comme
seule voix politique légitime du judaïsme européen. S¹il y parvient, comme
son homologue américain qui a attiré quelque 150 000 membres pendant ses
deux premières années d¹existence, il pourrait permettre à une autre voix de
représenter les juifs européens et menacer ainsi leur hégémonie.

Ce que leurs leaders, en colère et retranchés sur eux-mêmes, refusent de
reconnaître, c¹est que la bataille est déjà perdue. Le fait est que la
plupart des juifs d¹Europe ne se reconnaissent pas dans les institutions
juives actuelles et ne se sentent pas à l¹aise avec leur soutien servile et
automatique à toutes les politiques israéliennes. Le fait est qu¹ils ne
pensent pas qu¹être partisan d¹Israël, de son droit à l¹existence et de la
légitimité de son idéologie fondatrice ne signifie pas être d¹accord avec
toutes les décisions de son gouvernement. Et le fait est que, tout
conscients qu¹ils soient qu¹au bout du compte, seul le peuple israélien
souverain a le droit de prendre les graves décisions qui concernent l¹avenir
de son pays, ils ne voient pas pourquoi on leur refuserait le droit de
s¹exprimer sur ces sujets (ne serait-ce que parce que ces décisions
pourraient avoir un impact énorme sur leur propre vie).

Au lieu de crier au loup, les dirigeants juifs et leurs institutions
feraient mieux de voir d¹un bon ¦il le débat ouvert et accepter la
dissidence, intellectuelle et politique.

Car JCall n¹est pas l¹ennemi. C¹est une voix légitime qui s¹exprime par
souci authentique pour le sort d¹Israël, et qui aspire à une relation de
confiance entre Israël et la diaspora.

JCall se trouve aujourd¹hui confronté à un grand défi : il doit s¹adresser à
la base, à ceux qui sont d¹accord avec les message exprimé dans l¹appel,
mais qui se posent encore des questions sur le sérieux de son organisation
avant de manifester leur soutien.

Bien que signataire de l¹appel de JCall, je n¹écris pas au nom de
l¹organisation. J¹exprime plutôt ici mon profond espoir que JCall se saisira
du moment pour parler aussi des inquiétudes des juifs européens, au-delà des
problèmes de l¹occupation et de la colonisation. Il sera intéressant de voir
si JCall arrive à évoluer en tant que vecteur de changement, non seulement
sur le front Israël-diaspora, mais sur l¹identité juive européenne en
général. 

Mais, quelle que soit l¹issue, un véritable tremblement de terre s¹est
produit dans le paysage juif européen. Une nouvelle voix est née, et cela ne
peut qu¹être bon pour nous.

(1) http://www.jcall.eu

* Claude Kandiyoti est le propriétaire du mensuel belge Contact J, et
signataire de l¹appel de JCall.