1/ Loi sur la burqa : avis défavorable du Conseil d’Etat (Le Figaro)
« une interdiction absolue et générale du port du voile intégral en tant que telle ne pourrait trouver aucun fondement juridique incontestable» et qu’elle serait «exposée à de fortes incertitudes constitutionnelles et conventionnelles».

2/ 577 députés et 367 burqas : où est le problème ? Un communiqué sur l’affaire “burqa” Par Collectif des Féministes Pour l’Egalité (Les Mots sont importants)
« Croyantes ou non croyantes, musulmanes ou non musulmanes, voilées ou non, nous sommes féministes, et combattons depuis 2004 tous les dénis de droit et discriminations subis par les femmes voilées. Nous luttons contre l’instrumentalisation de notre cause – l’égalité entre les hommes et les femmes – à des fins politiciennes et parfois racistes. L’affaire de la burqa franchit une étape dans cette dérive : assez ! »

3/ Niqab : les socialistes sautent dans le piège, par Carine FOUTEAU (Mediapart)
« En pleine crise européenne, l’UMP et le PS font cause commune… sur le voile intégral. L’Assemblée nationale a en effet adopté, mardi 11 mai dans la soirée, à l’unanimité des députés présents dans l’hémicycle, une résolution «sur l’attachement au respect des valeurs républicaines» visant explicitement le port du niqab. »

4/ Interdiction intégrale, danger pour l’intégrité des libertés, par Jean-Louis Halpérin, professeur de droit à l’Ecole Normale Supérieure (Le Monde)
« La seule exception qu’une démocratie comme la nôtre, conciliant liberté d’expression et préservation de ses valeurs, se soit permise dans ce domaine concerne le port d’uniformes ou d’insignes rappelant ceux d’organisations déclarées coupables de crimes contre l’humanité (article R 645 du code pénal). On conviendra qu’on est très loin du voile intégral… Le port de symboles ou de tenues considérées par nombre de nos concitoyens comme attentatoires à la dignité des femmes relève aussi de la liberté d’expression, comme la défense d’idées anti-républicaines. »

5/ Tchat : faut-il une loi pour interdire le voile intégral avec Raphaël Liogier, directeur de l’Observatoire du religieux (Sciences Po Aix-en-Provence) (La Provence)
« fondamentalisme n’est pas forcément islamisme : prenons l’exemple du boudhisme, la religion qui par excellence ne fait pas peur, vous avez des gens qui font seulement de la méditation (comme les musulmans qui font seulement la prière) et des gens, très rares, mais il y en a (autant que les filles en niqab), qui se rasent le crane, marchent pieds nus et portent une robe safran. Ces derniers sont fondamentalistes mais ils ne veulent pas changer la société, c’est exactement le cas de ces femmes en burqa (c’est le phénomène nouveau), qui sont fondamentalistes mais individualistes, donc pas du tout islamistes. Mais s’il y a trop de gens comme vous, elles risquent de le devenir. »

6/ Burka : ce qu’en pensent deux musulmanes provençales (La Provence)

7/ Dossier du jour France : Loi sur le voile intégral (France Culture) Nombreux liens vers débats, publications…


Loi sur la burqa : avis défavorable du Conseil d’État

Par Cécilia Gabizon
14/05/2010 | Mise à jour : 00:07 Réactions (514)

La haute juridiction estime qu’une interdiction globale ne reposerait sur «aucun fondement juridique incontestable».

Le Conseil d’État a émis un «avis défavorable» au projet de loi du gouvernement visant à interdire complètement le port du voile intégral. Selon nos informations, les Sages réunis en assemblée mercredi, en présence du secrétaire général du gouvernement, ont une nouvelle fois expliqué, comme dans leur étude remise il y a un mois à Matignon, qu’«une interdiction absolue et générale du port du voile intégral en tant que telle ne pourrait trouver aucun fondement juridique incontestable» et qu’elle serait «exposée à de fortes incertitudes constitutionnelles et conventionnelles».

«Pas une surprise»

La Cour européenne des droits de l’homme a consacré le «principe d’autonomie personnelle» selon lequel chacun peut mener sa vie selon ses convictions, y compris en se mettant physiquement ou moralement en danger. Dès qu’il y a consentement, il devient donc difficile d’invoquer la dignité de la femme pour fonder une interdiction générale, avaient analysé les Sages dans leur étude. De la même façon, la restriction des libertés au nom du «Vivre ensemble» «serait sans précédent». Un pari juridique qu’ils n’avaient pas voulu prendre, préférant des interdictions sectorisées. «La sécurité publique et la lutte contre la fraude, renforcées par les exigences propres à certains services publics, seraient de nature à justifier des obligations de maintenir son visage à découvert, soit dans certains lieux, soit pour effectuer certaines démarches», avait alors expliqué le rapporteur, Olivier Schrameck, l’ancien directeur de cabinet de Lionel Jospin. Cette fois, c’est la section de l’Intérieur qui a examiné le projet de loi, pour parvenir aux mêmes conclusions.

«Ce n’est pas une surprise», fait-on savoir à Matignon. «Cela n’entame en rien la détermination du gouvernement à faire évoluer la législation sur ce sujet.» Le gouvernement va passer outre l’avis du Conseil d’État, qui n’est que consultatif. «Il faut assumer les risques juridiques de nos convictions», avait anticipé François Fillon .

La loi au Parlement début juillet

Dans l’exposé des motifs de son projet de loi, que Le Figaro s’est procuré, le gouvernement justifie ainsi son choix d’une interdiction globale : «L’édiction de mesures ponctuelles, se traduisant par des interdictions partielles limitées à certains lieux ou à l’usage de certains services, n’aurait constitué qu’une réponse affaiblie, indirecte et détournée au vrai problème que pose, à notre société, une telle pratique.» Pour bannir le port du voile intégral, les rédacteurs du texte évoquent la notion de dignité de la personne humaine – quand bien même certaines femmes seraient consentantes -, celle de l’ordre public dans son acception large, celle du vivre ensemble, et enfin les questions de sécurité. En somme, ils cumulent les motifs pour interdire le voile intégral.

Ce projet de loi sera présenté mercredi en conseil des ministres. Et devrait être examiné début juillet par les députés et début septembre par les sénateurs, l’objectif étant de le voir adopté définitivement à l’automne. Mais si les députés ont voté à l’unanimité mardi la proposition de résolution du groupe UMP condamnant le voile intégral, comme «attentatoire à la dignité» et «contraire aux valeurs de la République» le consensus s’arrête là. Les socialistes ont déposé leur propre proposition de loi qui préconise une interdiction du port du voile intégral limitée à certains lieux publics. «L’interdire sur l’ensemble de l’espace public ne sera pas opérant, risque d’être stigmatisant et surtout d’être totalement inefficace car inappliqué», a déclaré Martine Aubry.

Si elle est adoptée, la loi devrait entrer en vigueur six mois après sa promulgation, soit au printemps 2011. Car le gouvernement veut croire qu’il n’y aura pas soixante députés pour s’exposer sur la burqa en saisissant le Conseil Constitutionnel. Les premiers contentieux et une éventuelle question préalable de constitutionnalité ne devraient surgir que plus tard. «Ce sera juste avant les élections présidentielles et je pense que le Conseil constitutionnel portera une vision juridique et politique sur ce sujet», pronostique un ministre. En clair, qu’il ne retoquera pas une loi qui invoque la dignité des femmes et le vivre ensemble.

Source TERRA : http://www.lefigaro.fr/politique/2010/05/13/01002-20100513ARTFIG00585-loi-sur-la-burqa-avis-defavorable-du-conseil-d-etat.php


577 députés et 367 burqas : où est le problème ?
Un communiqué sur l’affaire “burqa”

Par Collectif des Féministes Pour l’Égalité, 13 mai

Introduction

Alors que les députés PS ont voté avec l’UMP, une résolution parlementaire “condamnant solennellement le port du voile intégral”, et alors qu’une loi est en préparation pour l’interdire dans les espaces publics, nous republions le communiqué du collectif des féministes pour l’égalité. Nous nous joignons à son refus d’une campagne et d’un projet de loi qui, en plus d’être liberticides, sont tout sauf féministes.

Article

Croyantes ou non croyantes, musulmanes ou non musulmanes, voilées ou non, nous sommes féministes, et combattons depuis 2004 tous les dénis de droit et discriminations subis par les femmes voilées. Nous luttons contre l’instrumentalisation de notre cause – l’égalité entre les hommes et les femmes – à des fins politiciennes et parfois racistes. L’affaire de la burqa franchit une étape dans cette dérive : assez !

Une opération de diversion en pleine crise économique et scandale bancaire

En août, un rapport des Renseignements Généraux a établi à 367 le nombre femmes portant la burqa. Sans revenir sur le ridicule de l’opération (le Ministère de l’Intérieur aurait donc dépêché des policiers dans toutes les chaumières ?), on peut dire que ce chiffre a au moins le mérite de remettre les choses à leur place. Loin d’être la tête avancée d’une déferlante islamique en France, les femmes privilégiant cette tenue traditionnelle sont une infime minorité.

377 femmes portant la burqa : et combien de plans de licenciements depuis le printemps ? combien de Français qui ne sont pas partis en vacances cet été ? De même qu’à l’automne 2003, l’affaire du voile a été orchestrée pour déminer le mouvement social contre la réforme des retraites et l’immense impopularité du gouvernement de l’époque, on assiste à un même stratagème.

Il est bien regrettable qu’un député dit communiste, au lieu de se préoccuper des chômeurs et de s’indigner des bonus faramineux distribués aux traders, reprenne le thème néo-conservateur du « choc des civilisations » en lançant une croisade contre les prétendues « zones de non droit » que sont devenues nos banlieues.

Le sexisme est partout, et notamment au Parlement

Ce stratagème ne fonctionnerait pas si depuis des années, la classe politique et les médias n’avaient pas relayé une campagne de stigmatisation extrêmement violente contre les musulmans. Egorgeurs de moutons selon le Président de la République, soumises et aliénées sauf si elles se conforment au schéma de la beurette abandonnant tout attachement à sa culture, les musulmans et les musulmanes sont décrits comme une population à part ; la majorité sont pourtant nés en France, sont français et veulent tout simplement jouir des mêmes droits que n’importe quel-le autre citoyen-ne.

L’argument féministe est venu conforter cette mise à l’écart. Or, s’il existe bien, au sein du monde musulman, des rapports de domination et des traditions sexistes, nous tenons à rappeler qu’il en existe partout, et en premier lieu au Parlement ! Les travées à 80% masculines de l’Assemblée nationale ne sont pas qu’un « symbole » ; elles sont la traduction concrète d’une réalité claire : les femmes sont encore très largement exclues des postes de pouvoir. « La vision de ces femmes emprisonnées » est, pour André Gérin, « intolérable », « inacceptable » ; le spectacle de l’entre soi masculin que constitue le monde politique ne semble par contre pas le gêner.

Effectivement, les femmes ne se promènent pas en burqa à l’Assemblée ; excepté 107 d’entre elles, elles en sont tout simplement exclues, probablement reléguées au foyer pour s’occuper des enfants, ou conviées aux pince-fesses officiels qui servent la carrière de leurs maris !

Et pourquoi pas interdire la cravate et les talons aiguilles ?

Nous dénonçons l’idée folle qui consisterait à interdire la burqa. De même que l’interdiction des capuches ou des regroupements dans les halls d’immeuble, elle participe d’une logique liberticide, et il est très inquiétant de la voir proposée et même discutée au sein de la classe politique. Nous sommes pour le respect des droits les plus élémentaires, qui sont au fondement des sociétés démocratiques, et à ce titre, nous défendons le droit des individu-e-s à évoluer et à s’habiller comme ils/elles le veulent dans l’espace public.

Nous sommes pour une laïcité qui garantisse la liberté de culte et celle de penser et d’exprimer ses idées dans le respect de tous et toutes. Pas pour une laïcité totalitaire qui implique la soumission à une culture et entend dicter nos choix, qu’ils soient spirituels, vestimentaires ou politiques.

Nous n’avons pas fini d’interdire si nous voulons nous attaquer à tous les « symboles » de la domination masculine. A ce compte-là, pourquoi ne pas interdire ceux que portent tant de femmes blanches supposées émancipées : talons aiguilles, rouge à lèvres… ? Et surtout, au lieu de s’attaquer toujours à des femmes, pourquoi ne pas combattre d’abord les symboles que portent les hommes, par exemple la cravate ?

Pourquoi ne pas constituer une commission d’enquête sur la diffusion quotidienne des normes de beauté oppressantes auxquelles doivent se plier les femmes et sur tous ceux qui y participent : publicitaires, magazines féminins, industrie de la mode, et autres fabricants de produits amincissants ?

Assez du deux poids, deux mesures ! Assez de ces campagnes grotesques menées au nom des femmes mais qui ne conduisent qu’à les pénaliser ! Nous appelons toutes les forces féministes et progressistes à dénoncer cette opération, et à combattre ensemble pour la justice sociale et l’égalité entre les hommes et les femmes – toutes les femmes.

Source TERRA : http://lmsi.net/spip.php?article934


Niqab: les élus socialistes sautent dans le piège

11 Mai 2010 Par Carine Fouteau

En pleine crise européenne, l’UMP et le PS font cause commune… sur le voile intégral. L’Assemblée nationale a en effet adopté, mardi 11 mai dans la soirée, à l’unanimité des députés présents dans l’hémicycle, une résolution «sur l’attachement au respect des valeurs républicaines» visant explicitement le port du niqab. Présenté par l’UMP, ce texte s’inquiète de ce qu’«en France, aujourd’hui, 1.900 femmes vivraient, au cœur de nos villes, en marge de la société, le visage dissimulé» et rappelle «solennellement» les principes «de dignité, de liberté, d’égalité et de fraternité entre les êtres humains».

Outre la majorité, il a été défendu par les élus socialistes et du PRG. Verts et communistes n’ont pas pris part au vote, à l’exception d’André Gerin, à l’origine du débat. Sans force de loi ni pouvoir contraignant, cette résolution, procédure parlementaire née de la révision constitutionnelle de juillet 2008, n’en est pas moins hautement symbolique. Elle est la seconde à être examinée (après celle sur le Tchad), et la première portée par l’UMP.

Avant le vote, Jean-François Copé ne cachait pas sa satisfaction. «C’est un grand jour! Ce n’est pas un hasard si notre première résolution concerne un sujet aussi important que la burqa», a insisté dans la matinée le chef de file de la majorité, avant d’ajouter qu’il se réjouissait du soutien socialiste. Pour lui, ce texte est un préalable au projet de loi qui doit être examiné le 19 mai en conseil des ministres et «début juillet» à l’Assemblée nationale, et dont l’objectif est d’interdire le voile intégral dans tout l’espace public.

Les élus PS sont apparus embarrassés. D’abord globalement opposés à la voie législative, ils s’y sont ralliés tardivement, après la remise, par le conseil d’État, d’un rapport sur la question et la publication de sondages faisant état d’une large adhésion de l’opinion publique au principe d’une loi.

Pour se démarquer de la majorité, néanmoins, ils ont élaboré leur propre proposition de loi. S’ils ont soutenu la résolution, «parce qu’elle rappelle des grands principes républicains», ils ne voteront pas le texte présenté par le gouvernement, indiquent-ils en substance, tout en laissant entendre qu’ils ne lui barreront pas la route, en ne saisissant pas le conseil constitutionnel.

  • Une position alambiquée

Pour justifier cette position alambiquée, un argumentaire détaillé a été préparé et distribué lors de la réunion des députés PS de mardi matin. Il montre les méandres de la pensée socialiste. «La pratique du port du voile intégral est un symbole de soumission des femmes, contraire aux valeurs républicaines de liberté et d’égalité des sexes. Elle relève d’une pratique sectaire qui crée une source de tensions dans la société. C’est la raison pour laquelle nous votons la résolution parlementaire», indique le premier point. Le deuxième vise aussitôt à prendre de la distance par rapport à cette décision: «Mais il est abusif d’en faire le problème central de la société française comme le fait la droite. La crise, la situation des retraites, les difficultés sociales sont des menaces beaucoup plus graves pour la cohésion nationale. Comme le débat sur l’identité nationale ou sur la polygamie, le débat sur le voile intégral est trop souvent la justification cachée de l’islamophobie et du racisme.»

Ce n’est pourtant pas le risque de stigmatisation de la population musulmane qui est mis en avant pour s’opposer à une loi d’interdiction générale, mais les incertitudes juridiques liées à sa mise en œuvre. Selon le troisième point, en effet, «en proposant une loi d’interdiction du voile intégral dans tout l’espace public, le gouvernement ignore l’avis du conseil d’État qui met en garde contre les risques considérables d’application et de conformité à notre droit. Une loi inapplicable ou censurée serait un cadeau inespéré fait aux intégristes et décrédibiliserait le législateur».

C’est ainsi que les socialistes aboutissent à la conclusion, dans un quatrième et dernier point, qu’une loi s’impose pour interdire le niqab «dans les services publics et les lieux publics». Seraient notamment concernés l’école «au moment de la remise des enfants», les mairies lors des cérémonies de mariage ou de pacs, les tribunaux, les bureaux de vote, les hôpitaux, les transports publics et certains commerces. Plutôt qu’une amende, le juge pourrait prononcer une «injonction de soumission à une médiation sociale» à l’encontre des femmes portant le voile intégral. Et un délit serait créé pour punir «toute personne qui aurait exercé des contraintes visant à imposer le port» de ce vêtement. Il serait assorti d’une peine maximale d’un an d’emprisonnement et de 30.000 euros d’amende.

  • «Cela n’a rien à voir avec un revirement»

Volte-face ou ajustement progressif? Le PS a, en tout cas, affiné sa position fin avril. Au retour des vacances de printemps, Jean-Marc Ayrault, le président du groupe PS, à la recherche d’un «esprit de concorde républicaine», s’est dit ouvert à une loi à certaines conditions. Le même jour, un sondage LH2-Nouvelobs.com indiquait que 70% des Français et 63% des sympathisants socialistes étaient favorables à l’interdiction totale du voile intégral. Le lendemain, la première secrétaire Martine Aubry l’a suivi dans cette voie, rompant avec la ligne privilégiée jusque-là: contre la burqa et contre la loi.

«Si nous condamnons totalement la burqa et le port de la burqa, nous pensons que plutôt que de faire une loi, il faut utiliser les instruments que propose le droit pour faire en sorte aujourd’hui que ces comportements soient condamnés quand ils sont encouragés», déclarait ainsi, début janvier, Benoît Hamon, le porte-parole du PS relayant la parole officielle. Fin janvier, les membres socialistes de la mission parlementaire sur le voile intégral avaient refusé de participer au vote, alors même que le rapport plaidait en faveur d’une résolution assortie d’une loi d’interdiction dans les services publics et les transports publics, mais pas dans la rue… À peu de chose près la position du PS aujourd’hui.

«Cela n’a rien à voir avec un revirement, indique Jean Glavany, membre de la mission, interrogé par Mediapart. Nous avons claqué la porte à cause du climat détestable à ce moment-là et parce que Jean-François Copé nous harcelait. Le travail a été saboté par le groupe UMP qui voulait déjà une loi d’interdiction globale.» En se positionnant pour une loi générale, la majorité a, de fait, laissé vacant un espace politique en faveur d’une loi limitée. En mars 2004, le PS avait d’ailleurs voté la loi interdisant le port de signes religieux dans les écoles publiques, après, comme cette fois-ci, de longs débats confrontant liberté de culte et laïcité.

Quant à l’incohérence de la tactique? «Le PS, indique Jean Glavany, ne doit pas donner l’impression d’être indulgent par rapport à des pratiques comme le port du voile intégral. C’est pour cela que nous ne saisirons pas le conseil constitutionnel, même si nous ne soutenons pas le projet de loi et que nous pensons qu’il recèle des risques juridiques.» Également membre de la mission, Danièle Hoffman-Rispal, qui a pris la parole, mardi, dans l’hémicycle pour défendre la résolution, reconnaît, quant à elle, que la stratégie socialiste est «complexe et pas toujours très claire». «Le gouvernement nous a mis dans un piège», regrette-t-elle, résumant son questionnement: comment faire pour empêcher cette pratique sans stigmatiser la population musulmane. «Cela fait un an qu’on est enfermé là-dedans, il faut en sortir», ajoute-t-elle.

Dégagée des contraintes tactiques, et plaçant le PS face à ses contradictions, la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH) a fait savoir, de son côté, qu’elle regrettait que la proposition de résolution se concentre sur le voile intégral, les pratiques radicales ne pouvant, selon elle, se réduire au port du niqab. Dans un récent avis, ses membres avaient émis de sérieuses réserves à l’égard d’une loi d’interdiction, mettant en garde contre «la tendance à ériger en principe des considérations morales et à justifier une surveillance des comportements individuels incompatible avec les principes de liberté sur lesquels se fondent notre société».

Dans le même temps, ils avaient appelé les responsables politiques à faire de la lutte contre les violences faites aux femmes une priorité et insisté sur la nécessité d’enseigner et de réaffirmer «sans cesse» de l’école à la formation des adultes «les grands principes régissant notre société», à savoir «le droit de croire ou de ne pas croire, la laïcité, l’égalité, l’unité indivisible de la République, la lutte contre le racisme, l’antisémitisme, la xénophobie et les discriminations, entre autres».

Lire Aussi

Source TERRA : http://www.mediapart.fr/journal/france/110510/niqab-les-elus-socialistes-sautent-dans-le-piege


Point de vue

Interdiction intégrale, danger pour l’intégrité des libertés, par Jean-Louis Halpérin

LEMONDE.FR | 13.05.10 | 10h44

omme beaucoup de nos concitoyens, j’éprouve une réaction de rejet en croisant dans la rue une personne portant un voile intégral masquant son visage. Parce que nous sommes heurtés, choqués, voire révulsés, faut-il en conclure à la nécessité d’une interdiction légale pénalement sanctionnée ? Les principes qui fondent la réflexion des juristes les amènent à penser que tout acte nous blessant moralement n’appelle pas nécessairement une intervention de la loi pénale.

La plupart des délits qui donnent lieu à des sanctions correspondent à d’authentiques lésions – des atteintes au corps, au patrimoine ou à l’honneur – éprouvées par des victimes qui peuvent porter plainte. Il n’existe qu’un petit nombre d’infractions qui relèvent d’une seule atteinte à l’ordre public en l’absence de victime(s) identifiable(s). C’est le cas du port d’arme non autorisé, illégal car jugé potentiellement dangereux, même si l’arme n’a jamais été utilisée contre quiconque. Si le législateur envisage de pénaliser le simple fait de porter, “dans l’espace public”, une “tenue destinée à dissimuler son visage”, la première question à se poser est sans doute : “quel est le danger potentiel d’une telle tenue ?”. Aucune réponse convaincante n’a été apportée à cette question : le voile intégral n’est pas une arme qui peut tuer ou blesser et, s’il s’agit de se protéger contre toutes les manières de dissimuler une arme (ou une bombe), la liste est longue des manteaux, couvre-chefs, chaussures, sacoches et bagages qu’il faudrait interdire. Faut-il rappeler que notre législation pénale prévoit un strict encadrement (mis à jour en 2001 et 2003 en fonction des menaces terroristes) des possibilités de fouilles au corps (assimilées à des visites domiciliaires requérant l’autorisation de la personne visée en dehors du flagrant délit ou de l’accès à des lieux protégés) par les agents des forces de police ou des sociétés privées de sécurité ?

Si le voile intégral ne menace pas l’ordre public matériel, constitue-t-il une menace pour l’ordre public “non matériel” censé résulter des valeurs républicaines de notre société ? Je ne vois pas bien en quoi le port du voile intégral constituerait une menace pour le régime républicain. Notre République n’interdit pas le port de la fleur de lys ou de quelconques symboles monarchiques, ni même d’insignes représentatifs de groupes appelant ouvertement au renversement de la République ou à la négation des droits des femmes. La seule exception qu’une démocratie comme la nôtre, conciliant liberté d’expression et préservation de ses valeurs, se soit permise dans ce domaine concerne le port d’uniformes ou d’insignes rappelant ceux d’organisations déclarées coupables de crimes contre l’humanité (article R 645 du code pénal). On conviendra qu’on est très loin du voile intégral… Le port de symboles ou de tenues considérées par nombre de nos concitoyens comme attentatoires à la dignité des femmes relève aussi de la liberté d’expression, comme la défense d’idées anti-républicaines.

RESPECT DES LIBERTÉS CONSTITUTIONNELLES

Les juridictions administratives sont hostiles, depuis longtemps, aux interdictions intégrales par lesquelles le pouvoir réglementaire chercherait à restreindre de manière disproportionnée nos libertés publiques. Si le législateur a plus de liberté pour recourir à de telles mesures extrêmes de police, il doit néanmoins agir dans le respect des libertés constitutionnelles. N’y a-t-il pas risque d’atteinte à la liberté de conscience et à la liberté d’expression par une interdiction du voile intégral dans tout l’espace public ? L’on nous dit que la loi projetée utilise une formulation assez générale – sans aucune référence au voile intégral – pour échapper à cette critique. Mais n’est-il pas prévisible qu’en cas de vote de ce projet de très nombreuses (pour ne pas dire de plus en plus nombreuses) personnes n’invoquent des scrupules religieux pour se défendre ? Que ces scrupules soient hétérodoxes pour les autorités musulmanes (on ne peut que s’en réjouir) et qu’ils émanent de comportements sectaires (on ne peut que le constater) n’enlève aucune force juridique à cet argument. La Cour européenne des droits de l’homme vient, le 23 février 2010 (dans l’affaire “Ahmet Arslan et autres c. Turquie”), de condamner la Turquie pour avoir interdit à un groupe religieux de porter une tenue caractéristique (un turban, un saroual, une tunique et un bâton) dans les rues. L’ingérence étatique dans le droit de manifester ses convictions religieuses a été jugée disproportionnée. Comme le diraient les juges américains, les “conduites expressives” (comme le fait de brûler leur drapeau national) sont aussi protégées par la liberté d’expression.

Plus généralement, une interdiction générale paraît constituer une atteinte au “respect de la vie privée” qui, dans le droit français comme dans la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, n’est pas restreint au domicile, mais s’étend aux relations sociales, y compris celles qui se nouent dans l’espace public. Ce droit au respect de la vie privée implique, comme la traditionnelle liberté individuelle, la faculté pour chacun de se déplacer avec l’habillement de son choix et de voir respecter son propre “mode de vie” tant qu’il ne nuit pas à autrui – ce qui nous ramène à l’hypothétique lésion des droits d’autrui provoquée par le voile intégral.

Dans ce débat, où la raison semble trop souvent perdre ses repères, certains vont jusqu’à prétendre que la volonté des représentants du peuple doit l’emporter sur les inutiles précautions des juristes et sur les libertés constitutionnelles, en n’hésitant pas à brandir la menace d’une révision constitutionnelle. L’interdiction absolue (qui serait faiblement sanctionnée par une amende de 150 euros, relevant d’une contravention de 2e classe, contradictoire à la dangerosité invoquée pour justifier cette interdiction) du voile intégral mérite-t-elle une telle atteinte à l’intégrité même de nos libertés constitutionnelles ?

Jean-Louis Halpérin est professeur de droit à l’Ecole normale supérieure.

Source TERRA : http://www.lemonde.fr/opinions/article/2010/05/13/interdiction-integrale-danger-pour-l-integrite-des-libertes-par-jean-louis-halperin_1350591_3232.html


Tchat : faut-il une loi pour interdire le voile intégral ?

Publié le lundi 03 mai 2010 à 15H07

Raphaël Liogier, directeur de l’Observatoire du religieux (Sciences Po Aix-en-Provence), répondra à vos questions mercredi 5 mai de 11 heures à midi.

Interdire le voile intégral : voila le projet de loi que prépare le gouvernement. Etablissant que “nul ne peut, dans l’espace public, porter une tenue destinée à dissimuler son visage“, le texte qui devrait être adopté en conseil des ministres le 19 mai prévoit une amende de 150 euros en cas d’infraction.

Un second article prévoit aussi une peine d’un an de prison et de 15 000 euros d’amende contre ceux qui imposeraient la burqa par “la violence, la menace, l’abus de pouvoir ou d’autorité“. Le gouvernement espère faire voter ce texte en septembre prochain.

Cette loi est-elle nécessaire ? Quelles en seront les effets ? Est-ce un texte destiné à protéger les femmes ? Ou une nouvelle façon de pointer du doigt les musulmans de France ? Et qui porte le voile intégral en France ? Posez vos questions à Raphaël Liogier, directeur de l’Observatoire du religieux (Sciences Po Aix-en-Provence).

L’auteur d'”Une laïcité légitime. La France et ses religions d’Etat” a notamment publié une tribune dans Le Monde où il se s’interroge sur la pertinence d’un loi interdisant le voile intégral. Il a répondu à vos questions mercredi 5 mai de 11 heures à midi.

Il participera à une conférence débat sur le thème : “Le voile intégral en France : phénomène religieux ou phénomène de société ?” à la Maison de la Corse à Marseille (69/71 rue Sylvabelle, 6e ; 04 91 13 48 50), samedi 5 juin à 17h. La discussion sera précédée de la projection du documentaire “Sous la burqa”, réalisé par Agnès de Foe.

Bonjour à tous et bienvenue. Ce tchat avec Raphaël Liogier va pouvoir commencer.

Raphaël Liogier J’attends vos questions… s’il y en a !

averell La menace des Islamistes deviendrait-elle plus pressante en France en cas de loi interdisant le voile intégral ?

Raphaël Liogier Il se trouve qu’on assiste à un phénomène nouveau à l’intérieur du fondamentalisme musulman. Le fondamentalisme, c’est revenir aux fondements. Dans l’islam, on assimile souvent fondamentalisme à islamisme et l’islamisme est la version politique du fondamentalisme : volonté de transformer la société, le monde, et c’est cet islamisme qui est à l’origine du terrorisme. Or, le phénomène du voile intégral, dans les sociétés occidentales, est nouveau dans l’histoire de l’islam, c’est du fondamentalisme, mais ce n’est pas du tout de l’islamisme.
Pourquoi ? Parce que ces jeunes femmes sont extrêmement modernes dans leur manière d’appréhender le voile : non seulement il est choisi, mais en plus il est choisi pour se distinguer (vis-à-vis de Dieu mais aussi d’autrui), pour “être soi”, pour se transformer individuellement, spirituellement. Elles sont en général complètement détachées des mouvements islamistes, elles sont complètement dépolitisées, à la limite c’est presque un voile narcissique qui ne cherche pas forcément à convertir les autres donc qui n’est même pas prosélyte puisqu’il s’agit, je le disais, de se distinguer.

laprovence.com Suite de la réponse sur la menace des islamistes.

Raphaël Liogier Cela ressemble, comme mouvement, au mouvement gothique chez certains jeunes, en particulier certaines jeunes femmes : se amquiller en noir, se teindre les cheveux en noir, se percer, faire des choses excentriques qui expriment une transformation radicale. Dans un sens, ce voile intégral mine l’islamisme de l’intérieur : si on fait une loi, on va engendrer une frustration, particulièrement chez les jeunes qui se cherchent, et ce type de frustration pourra être à l’origine d’une volonté, qui n’existait pas avant, de revanche. Et donc d’une repolitisation et d’un intérêt pour les mouvements islamistes qui eux sont dangereux pour la société.

averell Le voile est-il une réelle menace pour la liberté des femmes ?

Raphaël Liogier Toute imposition est une menace pour la liberté des femmes, mais lorsque ce n’est pas imposé ce n’est pas une menace. Si l’on obligeait les femmes à porter des bijoux, ce serait une menace pour leur liberté… mais si elles font ce qu’elles veulent, je ne vois pas le problème. Le cas d’un pays comme l’Arabie Saoudite est différent, elles sont obligées de s’habiller d’une certaine manière…. si, ici, on les oblige à ne pas s’habiller d’une certaine manière, et bien c’est là, à mon sens, où il y a menace pour la liberté non seulement de la femme, mais pour la liberté tout court !!!

watcha73 Pourquoi faut il une loi pour 2000 personnes en marge de la société( d’après celle ci je le souligne) alors que les maires ou préfet ont le pouvoir d’émettre des arrêtés ayant force de loi
Ne serait pas de l’hypocrisie politique car des arrêtes ils en prennent bien en période estivale par exemple?

Raphaël Liogier Vous avez raison, il n’y a aucune raison rationnelle, mais en France il y a un fonction symbolique de la loi, on finit par légiférer sur n’importe quoi histoire d’exorciser les problèmes …

titeuf Pourquoi toujours mettre des gants pour interdire une loi qui choc toute la population et qui gêne considérablement certains fonctionnaires dans le cadre de leur travail (concours, police, hôpitaux, mairies) et bien d’autres encore.

Raphaël Liogier D’abord parce que ça ne les gêne qu’esthétiquement mais pas dans le cours de leur travail comme vous dîtes, puisque jusqu’à présent nous n’avons enregistré aucun cas d’une femme qui refuse de montrer son visage pour identification. Or, lorsque quelque chose me choque, que ce soit le voile, que ce soit l’attitude d’un individu impoli qui refuse de répondre à mon salut dans la rue, tout cela, ne constitue pas une raison légitime de faire usage de la loi c’est-à-dire de la force légale. Si chaque fois que quelque chose me gênait je faisais une loi, nous serions dans ce qu’on appelle une dictature populiste (lorsque c’est la majorité qui impose ses normes esthétiques).

solexine Bonjour. Quand je lis que nul ne peut dissimuler son visage, qu’en est-il du port des cagoules et des écharpes en hiver ? Des foulards et des lunettes de soleil quand il fait grand soleil ?

Raphaël Liogier Tout à fait… une telle loi serait arbitraire…

nihil Peut-on s’exonérer d’un cadre juridique précis si l’on veut préserver la notion de laïcité des dérives sectaires?

Raphaël Liogier Quand on commence à vouloir cibler des mouvements spécifiques, en dehors du cadre strict de l’ordre public, parce que ce serait un fondamentalisme, une secte, un groupe bizarre, que pour le coup on s’exonère d’un “cadre juridique précis” : la laïcité ne devrait pas servir à interdire a priori en fonction de préjugés (ce qui est le propre de sociétés traditionnelles non laïques) mais au contraire de permettre, dans la limite seulement de l’intégrité physique (de ne pas les atteindre) et morale (que l’on ne soit pas insulté, etc.). Aujourd’hui c’est parfois la “laïcité” qui finit par porter atteinte à cette intégrité.